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Actualités - OPINION

Impression Mur-mures

Ciel radieux, froid tonique. Les passereaux qui viennent encore nicher dans les vieux éclats d’obus des façades se croient réellement au printemps. Faut-il être linotte… Qui se souvient quelle somme de terreurs, de désastres, de destructions, de morts, de blessures et de meurtrissures a engendrée chacune de ces cicatrices ? Dans mes flâneries d’adolescente, le long du boulevard Saint-Germain, j’ai souvent repéré au bas des massives murailles haussmaniennes le souvenir d’une fusillade, la trace d’un bombardement. Parfois, la patrie reconnaissante a même marqué d’une plaque d’émail « Ici est tombé untel, fusillé pour la France ». Venant de Beyrouth, il ne m’était pas difficile d’imaginer Paris au temps de l’occupation. Convaincue que rien, jamais, n’apaise ces brûlures, je m’étonnais de l’indifférence des passants. On croit que les murs ont des oreilles, mais les murs murmurent. Construits de main d’homme, ils en portent la disgrâce. L’innocence de la pierre leur est définitivement perdue. À l’heure où la capitale libanaise, contre toute logique apparente, poursuit sa croissance dans la fièvre, à l’heure où les investisseurs se disputent à prix d’or le m2 d’incertitude, il nous faut déceler la vieille douleur muette qui point sous les plâtres et les emplâtres. Certains jours, d’ignorer volontairement les propos irresponsables et belliqueux de la classe politique, de fermer les yeux sur la faille qui menace d’écarteler ce pays ou de le dénaturer à jamais, on se sent pris d’euphorie. Il s’en faudrait de peu que le bonheur s’installe. Les choses nous paraîtraient si simples, si seulement ils se taisaient. Nous vaquerions à notre quotidien déjà difficile, sans illusion il est vrai, mais sans désespoir. Ce serait oublier que la gesticulation télévisée, avec force mobilisation (ou mobilisation forcée) de la claque, est leur unique forme d’existence. Il suffirait pourtant de zapper, mais il vaut mieux laisser dire. Paradoxalement, leur chahut est nécessaire au maintien de la paix. Tout se passe comme si la violence verbale n’était qu’un bouclier sonore pour neutraliser le langage des armes. Jusqu’à quand ? Les murs de la ville, avec leurs hiéroglyphes gravés au shrapnel, nous parlent d’un temps pas si lointain que nous sommes encore nombreux à pouvoir comprendre. Sans être expert en balistique, on peut encore y déchiffrer, selon l’orientation de l’impact, à quelle étape de la guerre (qui contre qui ?) ils se sont incrustés. Ni vainqueur ni vaincu. La vie continue sur ce qui devint le terrain de jeu de diverses bandes de mercenaires, de vandales et de vulgaires pilleurs. Sait-on jamais ce que fait le chaos des causes les plus nobles, des engagements les plus sincères ? D’en être, par chance, les témoins vivants, sommes-nous vaccinés contre ce grand dérapage ? Par quelle malice de l’urbanisme ces trous d’obus viennent-ils encore taquiner notre mémoire ? L’histoire est-elle une science divinatoire ? Fifi ABOU DIB
Ciel radieux, froid tonique. Les passereaux qui viennent encore nicher dans les vieux éclats d’obus des façades se croient réellement au printemps. Faut-il être linotte… Qui se souvient quelle somme de terreurs, de désastres, de destructions, de morts, de blessures et de meurtrissures a engendrée chacune de ces cicatrices ? Dans mes flâneries d’adolescente, le long du...