Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

Délices refoulés de la « dhimmitude » Archéologie du néofascisme

Ainsi, l’opposition libanaise a commencé l’année 2008 comme elle avait terminé 2007, par la polémique et l’invective. On est surpris de constater à quel point sa frange chrétienne continue à cultiver les imprécations de l’identitaire alors que le partenaire musulman fait preuve d’une plus grande retenue. Nul ne conteste qu’à défaut d’établir un authentique état laïque, il serait sage et équitable de ne pas heurter la sensibilité identitaire de ceux qui se sentent « minorisés » ou marginalisés. Mais de telles revendications, fussent-elles fondées, n’en demeurent pas moins inopportunes quand l’existence même de la patrie est en jeu. Ces revendications révèlent une dangereuse dérive fasciste, particulièrement chez de nombreux jeunes, chez plus d’un intellectuel, ainsi que chez des membres du bas clergé et leurs ouailles. À entendre certains discours de « chrétiens », on a l’impression de revenir à l’époque des « cheikh el-chabab », ces « chefs de bande » de la période ottomane dont certains étaient de véritables petits tyrans qui exerçaient un pouvoir discriminatoire sur leur petit cheptel de « dhimmis », les protégés du sultan. Fascisme et totalitarisme Le caractère fasciste du discours des nouveaux « cheikh el-chabab » se laisse aisément deviner : populisme, démagogie, antilibéralisme bourgeois et corporatisme ; sans compter l’identification du pouvoir avec la personne de celui qui l’exerce. De plus, ces chefs mettent toujours en place une stratégie qui court-circuite la primauté des lois écrites et privilégie les rapports d’allégeance personnelle. À ce bagage traditionnel de tout fascisme s’ajoute, dans le cas des Libanais chrétiens, l’ingrédient sectaire que sécrète naturellement la monstruosité de notre système confessionnel. Nul ne peut se dire à l’abri de la tentation fascisante. Présente partout, elle se laisse plus facilement déceler dans les différents milieux de l’opposition que dirige le Hezbollah. Ce dernier se distingue, en outre, par la dimension totalisante de son idéologie qui n’est pas tenue secrète. Le fascisme a pour but le pouvoir autocratique d’un seul individu, son fondement est toujours la volonté de puissance. L’objectif du totalitarisme est, par contre, la personne humaine qu’il souhaite diluer et englober dans une vision totalisante et un système totalitaire. Son fondement est idéologique et doctrinal. Les deux systèmes se recoupent dans leur opposition affichée au grand capital, à la bourgeoisie libérale et aux idées démocratiques. L’un comme l’autre demeurent irrémédiablement imperméables à toute idée de citoyenneté. Chez l’un comme chez l’autre, l’espace public est rempli, non par les libertés individuelles que la loi protège, mais par l’ordre et la discipline que le pouvoir autocratique et/ou corporatiste impose(nt). L’Italie fasciste de Mussolini fut l’alliée naturelle du régime nazi de Hitler, lui-même fasciste à ses débuts avant de sombrer dans le totalitarisme à partir de 1939. Néofascisme et « dhimmitude » L’étrange succès, auprès d’une frange importante des Libanais chrétiens, du discours fascisant trouve son origine dans un paramètre historique et anthropologique auquel on ne prête pas suffisamment attention, à savoir la condition de « dhimmitude » que les minorités non musulmanes de l’Orient ont connue durant de longs siècles et que les Ottomans ont organisée par le système des « millets ». Tout semble se passer comme si les « minoritaires », actuellement séduits par le discours néofasciste, développent une forte résistance à vouloir abandonner leur condition de « dhimmis » afin d’entrer dans l’espace de la cité. Ce faisant, ils se crispent sur des positions identitaires qui reflètent leur mécanisme de défense privilégié, sinon unique, à savoir l’hypercompensation narcissique par identification collective au « cheikh el-chabab », au chef charismatique et messianique. Cette hypercompensation narcissique a une double conséquence. D’une part, elle entraîne une distorsion du réel qui est vu et vécu sur le mode « victimaire ». D’autre part, ladite victime développe un discours obsessionnel particulièrement polémique et belliqueux, essentiellement dirigé contre un bouc émissaire qui mettrait cette identité collective en danger. C’est ainsi qu’il faut comprendre l’antisunnisme avéré qui scande la rhétorique actuelle des milieux néofascistes chrétiens. Curieusement, ces derniers ne perçoivent pas le parti de Dieu ou Hezbollah comme dangereux pour les libertés, malgré son totalitarisme affiché. De même, ils ne pressentent pas en lui un éventuel protecteur d’une « néo-dhimmitude », en dépit de son idéologie proclamée de révolution islamique. Néofascisme et servitude Ainsi, on en arrive à un incroyable paradoxe qui fait du néofascisme, qui se développe en milieu chrétien, l’expression ou l’exutoire d’un désir inassouvi de « dhimmitude ». Il s’agit d’un désir certes refoulé, mais qui n’en demeure pas moins présent et opérant dans les couches profondes de l’imaginaire du minoritaire. Le « dhimmi » peut souhaiter, fantasmatiquement, ne pas briser les chaînes de la servitude, tout comme l’enfant ne désire pas, tout aussi fantasmatiquement, couper le cordon ombilical afin de demeurer dans l’illusoire confort utérin de la matrice originelle. Dans ces conditions, le fascisme, comme système antilibertaire, anticitoyen et autocratique, serait alors l’expression politique d’un tel fantasme. L’identité et l’identification collectives appartiennent au registre matriciel et utérin, celui du héros de la mère, alors que la citoyenneté du « sujet autonome » relève du registre de la personne libre, du fils du père. Jadis, la communauté « dhimmi » était organisée comme un « tout » insécable. Elle se distinguait fortement par un esprit de corps dont les organes principaux étaient les « notables », les « woujaha’a al ta’ïfa » qu’on appelait en langue ottomane « söz sahibleri » avant que les chefs de bande, les « cheikh el- chabab », ne fassent irruption sur la scène de l’histoire de nos montagnes. Cet esprit de corps est ce qui confère le sentiment d’identité forte aux communautés libanaises. Au sommet de la hiérarchie « dhimmi », l’ethnarque veillait à la bonne perception de l’impôt, mais aussi, à la bonne discipline des « protégés ». Même quand l’ethnarque était un dignitaire religieux, il n’en demeurait pas moins au service de son protecteur, le sultan, le padichah. Le « dhimmi » était, et demeure, sensible aux honneurs qu’il peut acquérir de la part de son protecteur. Aucune forme de démocratie ne peut trouver refuge sur les territoires de la « dhimmitude » car la démocratie implique la présence agissante du grand absent de notre imaginaire, à savoir le « sujet autonome » de la modernité. Au fond, tout se passe comme si le chef politique, souvent autoproclamé, se voit en ethnarque, ce qui explique l’étrange féodalité de notre vie politique où des dynasties monopolisent le pouvoir sur les ex-ouailles protégées du sultan. Néofascisme et retour du refoulé Quand l’Empire ottoman disparut corps et biens, il laissa derrière lui une mosaïque de peuples livrés à eux-mêmes. Certains ont réussi leur transition démocratique. Le Liban est un des morceaux de cette vieille mosaïque. Depuis son émergence en tant qu’entité politique souveraine, son existence est continuellement remise en cause. Bien sûr, on peut incriminer les ingérences extérieures et les appétits des autres. Mais il y a aussi cette constante anthropologique dont nous n’arrivons pas à nous libérer : l’esprit de corps de la « dhimmitude », que nous idolâtrons en l’appelant pudiquement « identité ». C’est ce qui nous empêche de briser les chaînes et d’aller vers l’espace public de la liberté. Le développement du néofascisme, en milieu chrétien, constitue probablement un ultime soubresaut de notre ancienne servitude agonisante. Ce mouvement est donc régressif. C’est pourquoi cette forme de fascisme est si inquiétante au sein d’une société qui se prévaut de sa modernité et de son ouverture à la culture universelle. Pr Antoine COURBAN
Ainsi, l’opposition libanaise a commencé l’année 2008 comme elle avait terminé 2007, par la polémique et l’invective. On est surpris de constater à quel point sa frange chrétienne continue à cultiver les imprécations de l’identitaire alors que le partenaire musulman fait preuve d’une plus grande retenue. Nul ne conteste qu’à défaut d’établir un authentique...