Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

Danger dans Taëf ou Taëf en danger ?

Par Alain Aoun* La crise politique que traverse le Liban, perçue dans la perspective présente, semble inextricable. Fruit d’un cumul d’événements, elle est en réalité tributaire des nombreux changements et développements fondamentaux survenus depuis 30 ans et jusqu’à nos jours tant au niveau national que régional et international. En effet, le Liban, qui a recouvré son indépendance et sa souveraineté en 2005, n’est pas le même Liban qui les a perdues en 1975. Le pays, depuis la fin de la guerre en 1990, n’a pas encore eu l’opportunité de vivre sainement sa deuxième République dans tous ses constituants. L’occupation syrienne l’a gouverné d’une main de fer, faisant fi de sa Constitution, de ses lois et de l’interaction naturelle sur le plan de sa vie politique. Il n’est plus donc étonnant que le Liban libéré du joug de cette occupation traverse une crise politique majeure, après s’être heurté à la difficulté de rétablir les équilibres nécessaires tant au niveau de la formule du pouvoir qu’au niveau des choix nationaux essentiels. Depuis que l’ultime et unique pouvoir de décision n’est plus du ressort de la Syrie, le Liban est confronté à des crises successives du fait de ses nombreuses contradictions, menaçant le principe même de son unité si les différentes parties libanaises n’arrivaient pas aujourd’hui à une vision consensuelle, tant sur le plan interne dans l’exercice du pouvoir, que sur le plan externe dans les options se rapportant aux dossiers régionaux dits « chauds ». Nul doute qu’au Liban, le problème du partenariat au sein du pouvoir est un problème complexe et chronique dont l’accord de Taëf représente l’un des derniers épisodes. L’application dudit accord, qui n’a vraiment débuté qu’en juin 2005, a rapidement dévoilé ses limites et ses faiblesses. Mais ce qui est encore bien plus dangereux que les lacunes constitutionnelles qui caractérisent Taëf, c’est son application erronée et abusive par une partie libanaise, mettant ainsi en danger la forme même du pouvoir. Ainsi, l’accord de Taëf n’a pu être un régime politique majoritaire simple comme cela est le cas dans les démocraties occidentales du fait des normes et des exigences de la démocratie consensuelle, fondement même du système libanais. Sans oublier les tares de l’actuelle majorité issue d’une loi électorale inique et ayant bénéficié de l’abolition du Conseil constitutionnel. De plus, l’accord de Taëf n’a pu être une fédération de communautés du fait de la non-application des mêmes critères de représentativité au sein de toutes les institutions de l’État. Ce qui a été accepté et adopté pour les communautés chiite et sunnite pour la présidence du Législatif et de l’Exécutif et pour leur bonne représentativité au sein du gouvernement a été refusé aux chrétiens pour la présidence de la République et au sein du gouvernement. Par ailleurs, les sunnites ont mal interprété Taëf de par leur monopolisation du pouvoir, violant ainsi l’esprit consensuel, raison d’être d’un Liban uni, et provoquant une crise aiguë au sein du pouvoir. Les chrétiens ont, quant à eux, refusé, et à juste titre, de valider une majorité qui a vu le jour aux dépens de leur représentativité tant au niveau de la loi électorale qu’au niveau des recours présentés devant le Conseil constitutionnel, avortant de ce fait la création, après la seconde indépendance, d’un système politique dont ils feraient les frais. De leur côté, les chiites, et suite à l’effondrement politique de l’alliance quadripartite, ont eu recours à une forme de fédéralisme confessionnel pour préserver leurs droits de décision au sein du gouvernement, à travers la monopolisation des ministres chiites et, par la suite, à travers leur démission. Tout cela ne peut que refléter la profondeur et l’acuité des problèmes du système confessionnel libanais, à l’équilibre fragile et instable, système qui s’enraye à chaque dérèglement politique ou structurel. Et ce n’est pas la Constitution, riche en textes flous et en lacunes, et pauvre en mécanismes constitutionnels simples, comme la dissolution de l’Assemblée ou la révocation du gouvernement, qui permet de résoudre ces problèmes. À l’heure de l’unilatéralisme communautaire et de la divergence profonde des choix politiques entre les communautés, les institutions de l’État furent les principales victimes du conflit politique dont elles furent le théâtre : la présidence de la République a été marginalisée puis rendue vacante ; le gouvernement a été monopolisé ; et l’Assemblée nationale a été fermée. Apparaît donc clairement le danger du régime actuel de Taëf qui est un régime hybride fédéral-majoritaire, sans être vraiment l’un des deux, transformant chaque conflit entre les communautés en conflit entre les institutions elles-mêmes. Tout cela ne peut qu’entraver la résurgence et le bon fonctionnement de l’État et menacer toutes les échéances électorales présentes et futures, projetant le Liban au rang d’État manqué. Pire, les liens qu’entretiennent plusieurs parties libanaises avec des parties étrangères représentent un fardeau supplémentaire pour le Liban, car à sa crise de pouvoir intérieure se greffe une dimension extérieure. Le problème du partenariat dans l’exercice du pouvoir entre les différentes composantes communautaires est devenu tributaire des conflits régionaux et internationaux autour de dossiers importants et épineux, comme Israël et les armes du Hezbollah, l’implantation des Palestiniens, le tribunal international et la Syrie. Cela a considérablement réduit la marge de manœuvre de ces parties pour résoudre leurs problèmes avec leurs partenaires de l’intérieur indépendamment des desiderata et des objectifs de leurs alliés de l’extérieur. Ce que vit le Liban aujourd’hui à l’ombre de ses divisions est bien plus qu’un désaccord politique. Il s’agit d’une véritable guerre, même si pour le moment elle est toujours froide. Pour preuve, l’abîme politique, confessionnel et psychologique qui sépare les deux parties en conflit et qui rend toute possibilité de rapprochement difficile. Mais comme toutes les guerres, celle-ci aussi devrait un jour prendre fin par un compromis qui jetterait les bases d’une nouvelle équation pour gouverner le pays. À cette fin, il faudrait que les politiques mettent fin à leurs débats stériles autour de la présidence et du futur gouvernement, car cela ne résoudrait pas leurs problèmes, mais transposerait ultérieurement leurs querelles au sein même de ces institutions. Tous les précédents engendrés par les deux parties antagonistes lors de cette crise sont garants de paralyser l’État et son fonctionnement même si de nouvelles élections génèrent une inversion des rôles. Le Liban a urgemment besoin aujourd’hui d’entente et d’harmonie. Il a également urgemment besoin que ses fils, dans toutes leurs composantes confessionnelles et communautaires, renouvellent clairement leur volonté de vivre en commun. Cela n’est possible que si l’on aborde avec courage et franchise la crise de régime actuelle, non pas forcément dans une optique de renversement de la Constitution ou de l’accord de Taëf, mais dans une optique où l’on comblerait ses lacunes, le perfectionnerait et l’appliquerait de manière juste et efficace. Le pouvoir libanais pluraliste a besoin aujourd’hui d’une autorité-référence discrétionnaire, qui transcenderait les conflits. Dans la première République, elle était assurée par de larges prérogatives dévolues à la première magistrature de l’État. Dans la deuxième République, elle devait être assurée à travers le pacte consensuel, mais la crise de pouvoir actuelle a démontré les limites et les faiblesses de cette théorie. Il faudrait donc que les Libanais se mettent d’accord sur une nouvelle formule d’autorité-référence à laquelle ils se plieraient tous. Évidemment, cela ne serait qu’un premier pas étant donné les problèmes nationaux complexes restants qui ne peuvent être résolus que graduellement et qu’une fois la crise de pouvoir terminée. Il faudrait enfin que soit accordée aux Libanais une couverture extérieure parrainant et garantissant leur accord, car leur stabilité est susceptible de voler en éclats à n’importe quel moment si persistent au-dessus de leurs têtes les tiraillements régionaux et internationaux. Cela est-il possible ou impossible ? Impossible, dira-t-on, tant que le statut quo et l’immobilisme prévalent, entrecoupés de temps à autre de joutes oratoires enflammées à travers médias interposés. Joutes qui, il faut le dire, ne font qu’envenimer la situation. Ce statut quo, qui ne bénéficie qu’à certains, signifie un désistement de la part des Libanais de toute initiative nationale, en attendant des développements extérieurs qui feraient pencher la balance dans un sens ou un autre, ce qui se répercuterait positivement ou négativement sur l’une des deux parties antagonistes. Le danger d’une telle logique, dont l’aboutissement n’est aucunement garanti, est qu’elle approfondit les clivages entre Libanais et encourage chez eux la logique « du vainqueur et du vaincu », aux dépens d’une solution consensuelle. Néanmoins, il y a lieu de souligner une dernière spécificité libanaise qui pourrait représenter une chance, fut-elle mince, pour sortir de la crise. L’étrangeté et la singularité du Liban résident dans le pouvoir que détiennent 5 à 6 leaders de changer le cours des événements, tant leur influence sur leur base populaire est importante. Preuve en est la détente et la cohésion populaire qui se dégagent à chaque rapprochement entre deux leaders, même venant d’horizons politiques opposés. D’aucuns disent que le Liban souffre, en sus de sa crise de pouvoir, d’une crise d’hommes. Pour les démentir, il appartient à ces leaders de prouver devant les Libanais et l’histoire qu’ils sont capables d’un geste spontané et courageux visant à faire tomber ne serait-ce que quelques barricades entre eux et de sortir la situation, même temporairement, du cercle vicieux de la désunion et de l’effritement. Le « fédéralisme des leaders » réussira-t-il, alors, là où toutes les autres formules ont échoué ? *Membre du directoire du Courant patriotique libre
Par Alain Aoun*

La crise politique que traverse le Liban, perçue dans la perspective présente, semble inextricable. Fruit d’un cumul d’événements, elle est en réalité tributaire des nombreux changements et développements fondamentaux survenus depuis 30 ans et jusqu’à nos jours tant au niveau national que régional et international.
En effet, le Liban, qui a recouvré...