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Actualités - CHRONOLOGIE

La traduction en français du livre d’Ibrahim Wardé, spécialiste de la finance islamique, vient de sortir à Beyrouth Mythes et réalités de la guerre financière contre le terrorisme New York, de Sylviane ZEHIL

Le huitième ouvrage d’Ibrahim Wardé, spécialiste de la finance islamique et professeur associé à la Fletcher School of Law and Diplomacy de Tufts University dans le Massachusetts, paru en français aux éditions Agone, en coédition avec « le Monde diplomatique », sous le titre « Propagande impériale et guerre financière contre le terrorisme », vient d’arriver en librairie à Beyrouth. Le livre original en anglais, « Price of Fear - The Truth Behind the Financial War of Terror », publié en Grande-Bretagne par les éditions Ibtarus et aux États-Unis par the University of California, est déjà épuisé. Dans ce livre, ce spécialiste de l’économie et de la finance internationales aborde la guerre contre le terrorisme sous l’angle de la finance. Lors d’une interview accordée à « L’Orient-Le Jour », l’auteur dégage les mythes et les légendes de cette guerre contre le terrorisme qui a été dès le départ « politisée », en levant le voile sur cette guerre financière menée par l’Administration Bush contre l’argent du terrorisme et surtout contre l’islam dans le monde. L’auteur souligne d’emblée que dans les jours qui ont suivi les attentats du 11 septembre, l’argent était sans cesse décrit comme l’oxygène du terrorisme. Rares étaient ceux qui osaient suggérer que l’oxygène du terrorisme relevait surtout de facteurs politiques. Par ailleurs, les dirigeants américains, et le président Bush en premier, n’ont cessé de clamer que les « sources de financement du terrorisme ont été taries » et que la guerre financière a été couronnée de succès. Comment dans ces conditions expliquer que le nombre d’attentats terroristes ait été multiplié par sept depuis 2001 ? Souvent, pour les bureaucrates, la mesure du succès n’est pas la baisse du nombre des attentats, mais bien la multiplication des règles et l’hyperactivité de l’appareil bureaucratique. La gesticulation et le mouvement permanent – ce que l’on appelle aussi les « pseudoévénements » –, le gel des avoirs, les sanctions, les nouvelles règles, initiatives et structures, etc., peuvent donner l’illusion de progrès. Le but véritable n’est pas de gesticuler, mais de mettre fin à la menace terroriste. Le premier exemple que Ibrahim Wardé donne est celui de la première bataille marquant la guerre contre le terrorisme, le 24 septembre 2001, lorsque Bush a annoncé la première frappe contre les fondements financiers du terrorisme. On a appris par la suite, grâce aux différents Mémoires publiés depuis et aux rapports de la commission d’enquête du 11 septembre, que cette « frappe financière » était un leurre. En réalité, le secrétaire américain à la Défense, Donald Rumsfeld, avait informé le président Bush au lendemain des attentats du 11 septembre qu’il faudrait au moins six semaines aux États-Unis pour frapper l’Afghanistan. Les frappes financières étaient des frappes de substitution qui donnent l’impression que les États-Unis ont entamé des actions drastiques contre le terrorisme. En réalité, cette frappe financière était totalement sans effet. La fortune supposée de Ben Laden Pour Ibrahim Wardé, un autre mythe concerne la fortune supposée de Ben Laden. « Les premières frappes financières » concernaient également les 300 millions de dollars que Ben Laden était censé détenir. Pendant plusieurs années, des gels de comptes ainsi que des mesures contre les organisations caritatives islamiques étaient justifiés par la recherche de ces 300 millions de dollars. Or en fait, ces 300 millions de dollars n’existaient pas. La rumeur avait été inventée en 1996 par un chercheur du département d’État à qui on avait demandé d’estimer la fortune supposée de Ben Laden. Il avait effectué une estimation grossière entre deux chiffres fictifs. Les cinq milliards de dollars censés être la valeur de Ben Laden Group ont été divisés par vingt, représentant en théorie le nombre de fils ayant hérité de la fortune de Ben Laden. Il était arrivé au chiffre de 250 millions de dollars qu’il a arrondi à 300 millions. Depuis, ce chiffre a été sans cesse répété. En réalité, depuis 1999, date à laquelle une délégation de responsables américains s’était rendue en Arabie saoudite pour éplucher les comptes de Ben Laden, on avait appris que dès 1994, les frères de Ben Laden avaient demandé à Oussama de leur vendre ses parts estimées à l’époque entre 20 et 30 millions de dollars. Cette somme a été immédiatement saisie par les autorités saoudiennes. Il apparaît donc que Ben Laden n’était pas tant un financier du terrorisme que le récipiendaire de fonds envoyés par des réseaux de soutien important de par le monde. Confusion entre blanchiment d’argent et financement du terrorisme Un autre aspect de la guerre financière dont parle ce spécialiste de la finance islamique dans son livre est la confusion effectuée entre le blanchiment d’argent (money laundering) et le financement du terrorisme. Depuis le 11 septembre, ces deux catégories sont devenues interchangeables. En réalité, les deux phénomènes sont fondamentalement différents. Le blanchiment d’argent consiste à dissimuler l’argent du crime au sein du système bancaire international. Il est fondé essentiellement sur les guerres successives contre le crime organisé et contre les cartels de la drogue. Le blanchiment se réfère en fait aux crimes crapuleux et suppose des services importants. En ce qui concerne le financement du terrorisme, il ne s’agit pas de sommes importantes ni de crimes crapuleux, mais de crimes idéologiques ou politique, et les sommes impliquées par ces attentats sont souvent faibles, voire négligeables. Les attentats du 11 septembre n’ont pas coûté 300 000 dollars. La somme envoyée pour subvenir aux besoins des 19 kamikazes était relativement faible. Par la suite, en particulier du fait de la surveillance accrue des réseaux bancaires, les attentats de Madrid, de Bali et de Casablanca ont coûté moins de 20 000 dollars, et les attentats de Londres en juillet 2005 moins de 1 000 dollars. Ibrahim Wardé suggère donc une approche tout à fait nouvelle et différente en ce qui concerne la question du financement du terrorisme, une des conséquences de ces actions financières. « Je pense en particulier que le harcèlement des organismes caritatives islamiques a eu pour effet d’accentuer l’impression que la guerre contre le terrorisme est en fait une guerre contre l’islam. » « Les terroristes savent exactement ce qu’il ne faut pas faire » « Je suis convaincu que les flux financiers peuvent jouer un rôle crucial dans la lutte contre le terrorisme à condition que de telles mesures soient prises de manière intelligente, efficace et dépolitisée, souligne Ibrahim Wardé. Ce qui se passe en ce moment, c’est que les terroristes savent exactement ce qu’il ne faut pas faire pour éveiller l’attention de ce que l’on appelle les guerriers de la finance. On a appris par exemple que grâce à la surveillance du système SWIFT en Belgique qui centralise tous les transferts interbancaires internationaux, des agences du gouvernement américain, telles que le département du Trésor ou la CIA, sont en mesure de surveiller tous les flux financiers internationaux. Cela, les terroristes l’ont longtemps soupçonné et le New York Times l’a formellement révélé en juillet 2006. Cela explique que le gros des flux financiers destinés à financer le terrorisme s’effectue désormais par le biais de la finance informelle et souterraine. Pourtant, les banques continuent de faire l’objet d’une surveillance permanente et totalement inefficace. » Dans son livre, Ibrahim Wardé suggère également que « la guerre financière devrait être du ressort du département d’État qui est plus à même de juger les conséquences politiques des mesures financières en ce moment ». Ce sont les « experts » du département du Trésor qui gèrent la guerre financière. Ce sont des techniciens qui n’ont aucune connaissance du monde islamique. Souvent, il s’agit d’hispanophones spécialisés contre la drogue en Amérique centrale. De ce fait, ces guerres de la finance sont souvent manipulées par les faucons qui, par ailleurs, ont perdu du terrain politique. Menaces de sanctions Parlant du Liban, Ibrahim Wardé donne des exemples des menaces de sanctions contre quiconque affaiblirait le gouvernement Siniora, c’est-à dire que quiconque envoyait des fonds à l’opposition pourrait voir ses avoirs américains gelés. La définition du terrorisme est devenue tellement vague qu’en fin de compte, l’Amérique est en mesure de taxer de terrorisme tous les mouvements politiques avec lesquels les États-Unis sont en désaccord. C’est Karl Rove, le mentor politique de George Bush et l’architecte des victoires électorales de 2000, 2002 et 2004, qui l’a dit après le 11 septembre : « Nous sommes maintenant un empire, et quand nous agissons, nous créons notre propre réalité. » Certains ont certes utilisé ces attentats pour faire avancer ce qu’ils croyaient être les intérêts géostratégiques américains, sans beaucoup de succès il faut bien le dire. Mais c’est surtout l’exploitation de la peur à des fins politiciennes qui aura le plus marqué l’influence de Karl Rove. Quand les gens ont peur, ils ont tendance à suivre aveuglément leurs dirigeants. Aux élections de 2006, cette stratégie a montré ses limites.
Le huitième ouvrage d’Ibrahim Wardé, spécialiste de la finance islamique et professeur associé à la Fletcher School of Law and Diplomacy de Tufts University dans le Massachusetts, paru en français aux éditions Agone, en coédition avec « le Monde diplomatique », sous le titre « Propagande impériale et guerre financière contre le terrorisme », vient d’arriver en librairie à...