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Actualités - REPORTAGE

CORRESPONDANCE - Un nouvel ouvrage raconte la vie du célèbre danseur Noureïev, prince de la danse et de la jet-set

WASHINGTON, d’Irène MOSALLI Sa famille, installée dans une petite ville industrielle de la république soviétique de la Bachkirie, était si pauvre qu’elle n’avait pu lui procurer des chaussures qu’à son cinquième anniversaire. Sa mère le portait sur son dos pour le conduire à l’école. Ses camarades de classe l’appelaient le « mendiant ». Un jour, il s’était évanoui parce qu’il avait trop faim... Cinquante-deux ans plus tard, une paire de ses chaussons de ballet a été vendue aux enchères pour la somme de 9 000 dollars. Ce ne sont là que quelques détails de l’existence hors du commun de Rudolf Noureïev que l’on trouve dans un nouvel ouvrage qui lui est consacré. Son auteur, Julie Kavanah, spécialisée dans la critique chorégraphique, propose là une biographie d’une remarquable recherche... Au total, 782 pages pour brosser le portrait d’un étonnant artiste au visage comme sculpté, au corps puissant, à l’âme triste qui, durant 30 ans, a connu un succès fulgurant sur toutes les scènes du monde. Né en 1938 dans la pauvreté la plus totale, il meurt en 1993 dans les îles mythiques Li Galli (évoquées dans l’odyssée d’Homère) qu’il avait acquises. Il laissait un legs de 21 millions de dollars. Fortune fabuleuse pour une profession qui, en principe, ne nourrit pas son homme. Il s’était constitué une importante collection de peintures, de meubles anciens et de tapis kilims. Il possédait également sept maisons : à Monaco, à Paris, au sud de la France, en Angleterre, aux États-Unis et dans les îles méditerranéennes. Déserteur des « années pommes de terre » On se souvient qu’en 1961, Noureïev avait fait le grand saut qui avait créé l’événement : se trouvant à Paris avec le ballet du Kirov, dont il était l’une des étoiles, il avait choisi de déserter l’Union soviétique. Ainsi, au moment de prendre l’avion qui devait le ramener à Moscou, il s’était mis sous la protection de la police française à l’aéroport du Bourget. Dès cet instant, c’en était fini de ce qu’il appelait ses « années pommes de terre » (son enfance misérable) et de sa carrière de danseur « régimenté ». Commençait alors pour lui une vie en or, côté ville et côté scène. En même temps que les plus grandes troupes du monde lui ouvraient leurs portes, il se retrouve projeté dans l’univers de la jet-set. Car il avait tout pour lui : la beauté, le génie, la passion, l’impétuosité, le charme et le sex-appeal. La marque de Noureïev sera indélébile. Il réinventera la technique du danseur mâle, il défoncera les portes de la danse moderne, dépoussiérera les sacro-saints ballets classiques et, fait historique, il établira un partenariat avec la prima ballerina assoluta britannique Margot Fonteyn, qui avait le double de son âge. Il sera l’interprète des grands noms de la chorégraphie contemporaine. Également chorégraphe et danseur, il sera une sorte de Diaghilev mentor pour des étoiles montantes, dont Sylvie Guillem. Le Marlon Brando du ballet Son magnétisme était inégalable. Son audience lui était acquise avant même qu’il ne commence à danser. Il avait été surnommé le Marlon Brando du ballet pour l’indépendance qu’il cultivait dans une profession si réglementée. Son grand rêve, danser avec Balanchine qui, le voyant sollicité de partout, lui avait dit : « Quand vous serez fatigué de jouer les princes, venez me voir. » Et lorsque Noureïev a pu le faire, Balanchine a eu un ennui de santé. En amour, le célèbre danseur, à la fois prince charmant et prolétaire, aimait à jouer la dualité. À la fois homosexuel et hétérosexuel, il a accumulé les conquêtes féminines et masculines. À ses dires, le grand amour de sa vie a été le danseur danois Eric Bruhn qu’il appelait, « l’être le plus humain au monde ». Côté amitié, il se plaisait en compagnie de Jackie Onassis, Andy Warhol, Richard Avedon, Marlene Dietrich, Mick Jagger et Peter O’Tool. Atteint du sida en 1984, il continue à mener sa carrière. Apprenant, en 1987, que sa mère, qu’il n’avait pas revue depuis 26 ans, se mourait, il avait obtenu, grâce à François Mitterrand, un visa de 36 heures pour aller la voir en Union soviétique. Lui est décédé en 1993 dans les îles Li Galli, où il avait fait construire un mausolée couvert de tuiles sur lesquelles était inscrit, en arabe calligraphié, le nom de sa mère. Un jour, l’une de ses amis l’avait trouvé couché sur le sol et mangeant des pommes de terre : une réminiscence de son enfance.
WASHINGTON, d’Irène MOSALLI

Sa famille, installée dans une petite ville industrielle de la république soviétique de la Bachkirie, était si pauvre qu’elle n’avait pu lui procurer des chaussures qu’à son cinquième anniversaire. Sa mère le portait sur son dos pour le conduire à l’école. Ses camarades de classe l’appelaient le « mendiant ». Un jour, il s’était...