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Actualités - OPINION

LE POINT À court de méchants Christian MERVILLE

Enfant terrible de la littérature américaine, véritable conscience d’une intelligentsia qui refuse obstinément de baisser les bras, Noam Chomsky avait feint jadis de s’étonner : le premier des États voyous, avait-il noté, mais n’est-ce pas l’Amérique, citant entre autres le bombardement de la Libye en 1986 et les raids contre l’Irak ordonnés par Bill Clinton en 1993 au prétexte que deux mois plus tôt, Saddam Hussein aurait parrainé l’assassinat de Bush père, alors en visite au Koweït. À l’époque, Washington avait ses « méchants », qu’il importait de punir, en agitant le bâton ou même, à l’occasion, en l’abattant sur les épaules du dirigeant récalcitrant. Que reste-il aujourd’hui de la liste établie dans les années quatre-vingt dix et qui comportait six noms : Corée du Nord, Pakistan, Irak, Iran, Afghanistan et Libye ? Pyongyang a fait amende honorable, vaincu par la disette ; le régime de Pervez Musharraf est rentré dans les bonnes grâces de l’Administration républicaine après le 11-Septembre ; Bagdad n’est plus qu’un champ de ruines « pacifié » par les GI en attendant de connaître les bienfaits de la démocratie à la yankee ; l’ordre terrible des talibans ne règne plus à Kaboul où l’opium est roi. Quant au bouillonnant colonel Mouammar Kadhafi, il s’est considérablement assagi et vient même de recevoir un certificat de respectabilité du président français. Les « egg heads » qui inspirent sa politique à George W. en perdent, dit-on, le sommeil : qu’adviendra-t-il au lendemain des révélations fournies par un National Intelligence Estimate sur l’arrêt dès 2003 du programme nucléaire iranien à des fins militaires ? Et aussi depuis le flirt entamé avec Damas à la faveur de la toute récente rencontre d’Annapolis ? Car l’Amérique, tout comme le Moloch des Ammonites, a sans cesse besoin de victimes censées incarner le Mal contre lequel se bat le Bien. C’est John F. Kennedy qui, le premier, avait abordé le thème du « bloc monolithique et impitoyable » (comprendre l’Union soviétique) cher au cœur de son conseiller spécial Theodore C. Sorensen. La paternité de la variante à cette expression revient à Ronald Reagan, ou plutôt à sa plume, Anthony R. Dolan, auteur de la formule qui a longtemps fait florès : « Evil empire », avant d’être détrônée par l’actuel « Axis of evil ». Cruel, le New York Times relevait le week-end dernier qu’après sept longues années de froid polaire entre les États-Unis et les six « méchants » de la planète, s’ouvre maintenant l’ère du dialogue, même indirect. La Maison-Blanche, note le journal, a adressé à Kim Jong-il – hier encore traité de dictateur sanglant – une missive qualifiée de cordiale par le porte-parole officiel. La conséquence, en ces mois d’une campagne électorale particulièrement précoce, pourrait être incalculable. Le quotidien le plus influent de la côte Est a posé la question à Robert Einhorn, un éminent politologue du Centre des études stratégiques et internationales : « Allons-nous reprendre langue avec les États voyous ? » Réponse : « Bien sûr. » D’où cette conclusion, d’une évidente logique pour son auteur : qu’il soit républicain ou démocrate, le prochain président américain empruntera en douceur le virage amorcé par son prédécesseur. Étrangement, les premières dissensions à propos de cette nouvelle realpolitik sont apparues dans les rangs du Grand Old Party. De Mike Huckabee qui avait dénoncé, dans la revue Foreign Affairs, « la mentalité de bunker arrogante de l’Administration Bush, contre-productive à l’intérieur comme à l’étranger », un autre prétendant à l’investiture, le Mormon Mitt Romney, a exigé des excuses, estimant que le chef de l’Exécutif avait « garanti notre sécurité pendant six ans », une opinion, selon les derniers sondages, que deux tiers des Américains sont loin de partager, qui qualifient d’erreur la guerre déclenchée voilà plus de quatre ans en Irak. Il est certain que la dernière ligne droite menant vers un changement de régime sur les bords du Potomac s’annonce plutôt cahoteuse, à l’heure où se multiplient les défections au sein du dernier carré de fidèles. Au moment aussi où le Congrès, sous l’impulsion de l’intraitable Nancy Pelosi, refuse de céder aux injonctions de l’Attorney General (ministre de la Justice) exigeant l’arrêt de l’enquête sur le scandale des vidéos de la CIA. Certes, ce n’est pas encore l’hallali trop souvent prédit par certains ténors du parti adverse mais tout de même, il existe dans la capitale fédérale une atmosphère de fin de règne qui n’augure rien de bon. C’est que le 43e président des USA – « le diable », comme l’a souvent décrit le Vénézuélien Hugo Chavez – ne s’est jamais autant démené que lorsqu’il a le dos au mur. De lui donc, et plus que jamais, on peut attendre le meilleur comme le pire. Avec une préférence pour le second terme de l’alternative.
Enfant terrible de la littérature américaine, véritable conscience d’une intelligentsia qui refuse obstinément de baisser les bras, Noam Chomsky avait feint jadis de s’étonner : le premier des États voyous, avait-il noté, mais n’est-ce pas l’Amérique, citant entre autres le bombardement de la Libye en 1986 et les raids contre l’Irak ordonnés par Bill Clinton en 1993 au...