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DISPARITION - De la grotte de Jeïta à Kùrten Karlheinz Stockhausen à l’écoute des vibrations du cosmos

La grotte de Jeïta résonne encore de son concert aux sonorités étranges... Entre gargouillis d’eaux, borborygmes hoquetant, silence de stalactites ou échos en pointe des stalagmites, la musique de Stockhausen, en cette (si lointaine déjà !) période d’avant-guerre libanaise, avait alors un remarquable parfum d’audace culturelle, un relent de snobisme intellectuel et le panache d’une intrépide avant-garde musicale. Curieux mélanges de notes sérielles où l’inspiration électroacoustique d’un compositeur pionnier de la musique contemporaine se faufilait dans les interstices, les strates et les béances d’une grotte à la magie particulière. Une magie lacustre, aux reflets de glace, livrée aux démons des sonorités entre futur et passé immémorial… Un demi-siècle plus tard, la musique de Stockhausen est toujours en chasse de lieux à la magie particulière et inédite. A-t-on jamais entendu d’un concert à partir d’hélicoptères tournoyant au-dessus de la tête du public autrement qu’avec Stockhausen ? Arrêt sur image avec un musicien hors norme qui, à l’âge de 79 ans, est décédé à Kùrten en Allemagne où il vivait. La musique a toujours été sa raison d’être. Karlheinz Stockhausen, né d’une modeste famille à Môdrath, près de Cologne, a été initié très tôt au piano. Mais sa vocation essentielle était ailleurs que dans les gammes, les accords ou la mélodie sur un clavier… Elle était dans cette narration originale qui allait le conduire aux confins de l’univers de Luigi Nono, John Cage, Pierre Boulez, Messiaen et allait permettre, grâce à ses fabuleuses expérimentations, des ouvertures nouvelles à Miles Davis, Frank Zappa ainsi qu’au groupe Radio Head et à certaines expressions pop et techno qui font tant de ravages aujourd’hui. Il y a à peine quelques jours, à l’annonce de la mort du compositeur du monumental opéra Licht, Pierre Boulez n’hésite pas à dire que « Stockhausen est considéré comme l’un des plus grands créateurs de la seconde moitié du XIXe siècle ». Dimension beethovenienne, dans son aspect de grandeur, d’innovation et de jamais entendu, qu’on s’accorde parfaitement à donner à celui qui révolutionne, avec tant d’aplomb, l’expression musicale moderne. Pour lui, son « tout est possible » le conduit, en toute sécurité et sérénité, dans les périlleuses voies d’une aventure permanente. Une aventure qu’on juge aujourd’hui, après toute une vie vouée à la recherche des sons, comme un monumental et exceptionnel accomplissement. Du piano à la multiplicité du silence… Très tôt, il s’affirme, dans sa volonté et sa détermination, de faire et d’écrire de la musique différemment ! Et très tôt, son originalité, controversée, haïe ou adulée, est perçue pour certains comme un trait révulsif, pour d’autres comme un trait génial, et sans nul doute à retenir, pour la musique contemporaine. Ses premières partitions pour chœurs a cappella. En fait trois lieds sont retenus par le jury de la ville de Darmstadt. Mais le public lui emboîte le pas avec Kreuzspiel, accueilli avec un succès incroyable, bien plus que simplement honorable. Et que dire alors de cet engouement sans précédent pour pareille musique sèche et syncopée que celle de ce retentissant Chant des adolescents, d’une criante et provocante modernité ? Et dès lors, c’est le séjour à Paris, sous la férule de Darius Milhaud et pour des cours d’analyses musicales avec Olivier Messiaen, qui ouvre des horizons encore plus nouveaux. Investigations, recherches, expériences, expérimentations et approches nouvelles vont de pair. Le laboratoire sonore de Stockhausen est illimité et ses créations sont étonnantes, insérant, mine de rien et en douce, émotion et sentiments à un univers d’apparence glaciale, d’une poésie froidement mécanisée… Ainsi pointent des préoccupations mystiques ou refluent de douloureux souvenirs de la période nazie (notamment la mort de sa mère par euthanasie suite à un état démentiel) où la musique a le don de tout faire vibrer en une inventive et singulière mélodie en rupture avec ce que l’oreille est habituée à écouter… Mysticisme et goût du rituel émergent de ces œuvres à souffle long et que l’on connaît actuellement par les Cycles. De Sirius (fresque sonore des quatre saisons inspirée par la planète du système solaire !) au Klang (dédié aux vingt-quatre heures de la journée), en passant par le gigantesque opéra Licht (opus articulé autour des sept jours de la semaine), chiffres, rigueur et précision sont au rendez-vous des partitions de Stockhausen. Partitions que certains auditeurs avaient considéré (ou même considèrent toujours !) inacceptables fantaisies ou élucubrations sans fondements… Musique « hypercalculée » que celle de ce compositeur qui n’hésite pas à écrire pour quatre archets et chœur (Carré), trois ou quatre orchestres à la fois, ou même une musique mixte associant électronique, piano et percussion (Kontacte). À l’écoute des vibrations du cosmos, entre les Portes du ciel (titre de l’un de ses derniers opus) et un monde dominé par les éructations aux bonds vertigineux de l’électronique, Stockhausen a érigé une œuvre sonore colossale. Plus de 300 opus à son actif. C’est monumental. D’autant plus que souvent ces opus, intimement imbriqués, sont eux-mêmes de dimensions gigantesques. À son départ de cet univers dont il a tant voulu percer le secret et le mystère, Stockhausen lègue une vision « sonore » unique. Une vision où lyrisme et onirisme ont des accents entre grincement et effacement. Des accents faisant joindre le froissement des ailes des anges au rougeoiement de l’enfer, l’éclat des étoiles qui palpitent aux sourdes rumeurs du ventre de la terre… Edgar DAVIDIAN
La grotte de Jeïta résonne encore de son concert aux sonorités étranges... Entre gargouillis d’eaux, borborygmes hoquetant, silence de stalactites ou échos en pointe des stalagmites, la musique de Stockhausen, en cette (si lointaine déjà !) période d’avant-guerre libanaise, avait alors un remarquable parfum d’audace culturelle, un relent de snobisme intellectuel et le panache...