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NOSTALGIE Le plus vieux tailleur de Bagdad habille ses murs de souvenirs

Depuis plus de 50 ans, Kader Nasser Sadek écrit sur les murs de son échoppe, au cœur de Bagdad, l’histoire de sa vie et celle, plus turbulente, de son pays. Collées en rangs serrés, des photos de journaux ou des instantanés personnels racontent les petits moments et les grands événements dont le plus ancien tailleur de la capitale irakienne a été le témoin. « Ce sont mes souvenirs », explique le vieil homme, qui ne sait ni lire ni écrire, en pointant du doigt les centaines de clichés qui, au fil des ans, sont venus tapisser sa boutique. Sur les parois dont la peinture bleue s’écaille, il n’y a plus de place pour poursuivre cette collection, mais retranché dans une ruelle du quartier Rachid, Kader Nasser est bien décidé à braver l’ultime tempête que traverse son pays. Assis bien droit, en gilet et cravate, il assure : « Je reste ! » à un journaliste curieux de savoir si, à 72 ans, il avait l’intention d’abandonner le centre naufragé de Bagdad. « Rien n’a changé dans ma boutique depuis que je l’ai louée en 1947 pour cinq dinars par mois », raconte-t-il, mince, le visage fin et le cheveux argent, entre le fer à repasser de ses débuts et une machine à coudre, achetée il y a 30 ans, pour remplacer sa première Singer mécanique. Depuis, pourtant, le loyer est passé à 35 000 dinars (25 dollars), le monde autour de lui s’est écroulé et la rue Rachid a perdu toute sa splendeur. « Ce souk était le plus beau de Bagdad », explique-t-il avec un regard pour les maisons abandonnées et les trottoirs jonchés de gravats. En début d’après-midi, les commerçants baissent leurs rideaux pour rentrer chez eux. Dès son installation, Kader Nasser a commencé à coller dans sa boutique des photos de tout genre, créant une immense mosaïque d’hommes politiques, de célébrités, d’actrices de cinéma, ou de chanteuses arabes. Son portrait trône au milieu. Le cheveux noir, le regard profond, le costume gris parfaitement ajusté et le nœud de cravate impeccable : « J’étais jeune », commente-t-il, comme pour s’excuser d’avoir vieilli. Il a inauguré sa carrière en 1957 en taillant pour son cousin un uniforme de capitaine. L’année suivante, un coup d’État emportait la monarchie et le colonel Abdel Karim Kassem prenait le pouvoir. « Ce furent les meilleures années de ma vie et les meilleures années de l’Irak », raconte le vieil homme en montrant un portrait de l’officier nationaliste, que les Irakiens regrettent encore. Saddam Hussein, qui détestait ce héros, est sorti de l’anonymat en tentant de l’assassiner en 1959, dans un attentat à quelques pas de la boutique de Kader Nasser. « J’ai entendu les coups de feu et je me suis précipité. Abdel Karim Kassem était encore dans sa voiture, et j’ai aidé à le transporter à l’hôpital. » Kassem, blessé à l’épaule, en sortira deux semaines plus tard. Sur une des photos du tailleur de Bagdad, on peut le voir, entouré de ses médecins en blouse blanche. Quatre ans plus tard, Kassem sera tué dans un coup d’État qui amènera au pouvoir des militaires moins intransigeants, qui feront le lit de la prise du pouvoir baassiste en 1968. « Ce fut le jour le plus triste de ma vie, avec la mort de ma sœur », confie Kader Nasser. Sa sœur, Alya Qatha, était une chanteuse irakienne connue et elle a été tuée en 1964 dans un accident. Kader Nasser lui a réservé un petit mémorial dans un coin de son magasin. Après la mort de ses deux héros, il avoue être devenu plus indifférent à la vie qui s’écoule. Il a pourtant continué de punaiser des photos de vedettes, d’hommes politiques, d’événements importants, ou des grands moments de sa vie. Il écarte un costume en finition pour montrer des portraits de ses quatre enfants, qui sont grands et tirés d’affaire, et de sa femme, Nergis. Et dans un coin, il désigne son ultime ajout : un Saddam Hussein hirsute, le jour de son arrestation par les Américains. Jacques CHARMELOT (AFP)
Depuis plus de 50 ans, Kader Nasser Sadek écrit sur les murs de son échoppe, au cœur de Bagdad, l’histoire de sa vie et celle, plus turbulente, de son pays. Collées en rangs serrés, des photos de journaux ou des instantanés personnels racontent les petits moments et les grands événements dont le plus ancien tailleur de la capitale irakienne a été le témoin. « Ce sont mes...