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Actualités - OPINION

Marre, marre, marre ! Vivien AUDI

Marre des travaux publics engagés en grand sur toutes les artères à la fois, comme s’il s’agissait de dissuader définitivement les Libanais de circuler dans leur capitale. Marre des parkings qui débordent sur la rue et des places condamnées le long des trottoirs « pour raison de sécurité », c’est sûr que garer sa voiture dans la rue aux alentours immédiats d’un parking représente un danger… pour la poche du proprio du parking en question ! Marre de tous ces cordons, blocs de béton, barrières métalliques qui gardent les emplacements devant les boutiques de tout genre. Marre de se faire cabosser sa voiture dans les parkings de la ville par des gardiens sans scrupule qui, lorsque vous récriminez, vous envoient promener d’un «  rouhi tchakki » (va te plaindre, mais à qui Bon Dieu !) Marre des barbouzes aux gueules de bouledogue qui, dès 18h00, gardent en les parsemant de leurs motos tous les emplacements possibles le long des rues de certains quartiers fréquentées par les noctambules. Et que les habitants de la rue aillent se faire voir ailleurs ! Marre des autorités qui ferment les yeux sur ces pratiques parce qu’elles leur rapportent. Marre de voir des jeunes crever sur la route parce qu’il n’y a personne pour faire respecter les limitations de vitesse et les sens interdits. Marre de bouffer du mazout par grosses bouffées noires lorsqu’on a le malheur de se retrouver derrière un camion ou un bus. Marre de subir l’agressivité de mes concitoyens parce qu’ils subissent les mêmes pressions que moi. Marre des adjudications juteuses qui prétendent par exemple rénover la Corniche (la priorité des priorités, n’est-ce pas ?) alors que les égouts continuent à déverser leurs eaux fangeuses directement dans la mer, à 3 mètres de là, rendant l’air irrespirable, mettant en danger la santé des baigneurs et des pêcheurs amateurs qui n’ont que ce loisir à leur portée. Marre de ces adjudications qui, sous couvert d’améliorer le réseau électrique, implantent dans nos montagnes, au surplomb même des agglomérations, ces lignes de haute tension qui partout ailleurs sont démantelées et transférées en sous-sol pour ne pas nuire à la santé des citoyens. Encore si cela servait à quelque chose : les pilons ont éventré, écrasé, démoli nos paysages et nous sommes revenus aux rationnements du temps de guerre ! Faut croire que l’importation de fuel rapporte moins que la construction de ces géants d’acier. Marre que des requins de la politique usent de leur pouvoir pour, sous prétexte qu’elles sont établies sur le domaine public, ordonner la destruction des jolies petites bicoques construites il y a 50 ou 60 ans par des villageois sur une crique attenante à leur village, lieux de convivialité et de beauté ouverts à tous. Ces mêmes requins se rueront, aussitôt le jugement rendu, sur le même domaine public pour y ériger leur propre complexe balnéaire. Marre de ne plus pouvoir apercevoir la mer. Marre qu’on nous vole jusqu’à la vue de la mer, sans parler de son accès. Qui veut s’approprier ainsi la capitale entière, ses rues, ses avenues, ses terrains, son littoral ? Qui cherche à en expulser les habitants, faire place nette ? Qui cherche à faire oublier aux Libanais que leur pays a une côte, qu’il borde la Méditerranée ? Qui est derrière les vexations quotidiennes, interdictions de stationner, détournements de travaux d’urbanisme pourtant bien pensés mais qu’on rend totalement inadéquats par des ajouts improvisés au jour le jour, tracés de ronds-points ineptes, itinéraires obligatoires dangereux ? Qui sont donc ceux qui cherchent sciemment à pourrir la vie des citoyens, à mettre leur vie en danger ? Le scénario semble fou, parano, sorti tout droit d’un roman d’anticipation catastrophiste, mais ceux qui se sont déjà un tant soit peu frottés au pouvoir des affairistes de ce pays savent bien que rien n’est hors de leur portée, que les projets les plus aberrants, les plus criminels, les spoliations les plus voyantes, les plus incroyablement arrogantes se réaliseront coûte que coûte. Ils ont l’argent. Ils ont le temps. Si on veut lutter, il faut une vigilance de tous les instants parce qu’aucun revers ne les rebute, ils reviennent à la charge, dès qu’on a le dos tourné. Et il y en a, des dossiers qu’il faudrait surveiller si on veut vraiment faire quelque chose pour ce pays. La loi, dites-vous ? Mais rien n’est acquis. Celui qui peut profiter de la somnolence du citoyen a le droit de le faire, quelle que soit la loi, par des moyens détournés, et les affairistes connaissent tous les chemins de traverse. C’est au citoyen conscient et prêt à en payer le prix (son temps, sa santé, parfois sa vie) à brandir la loi pour la rappeler au souvenir des autorités. Mais de grâce, ne nous laissons pas endormir. On nous jette en pâture des querelles de clocher, on exacerbe nos sentiments claniques, on nous occupe avec un quotidien de plus en plus compliqué, les pénuries, les transports qui nous bouffent nos journées, les prix qui grimpent et que personne ne contrôle, pas plus que la qualité des produits, surtout alimentaires. L’état de santé de la population ne fait qu’empirer : taux maximum de cancers, gastro-entérites… et qui pense à intervenir sur la pollution ? Nous passons de plus en plus de temps à nous soigner, à lutter pour notre survie. Et à suivre à la télévision les débats débiles et incroyablement répétitifs de nos « pôles » politiques. Nous reste-t-il du temps, des forces pour penser à nos droits, à notre dignité ? Et pourtant il faut se réveiller, réagir, se manifester. Ne nous laissons pas endormir, oublions la politesse, la douceur levantine, montrons les dents, exprimons notre rogne : marrrrrr ! Article paru le vendredi 7 décembre 2007
Marre des travaux publics engagés en grand sur toutes les artères à la fois, comme s’il s’agissait de dissuader définitivement les Libanais de circuler dans leur capitale.
Marre des parkings qui débordent sur la rue et des places condamnées le long des trottoirs « pour raison de sécurité », c’est sûr que garer sa voiture dans la rue aux alentours immédiats d’un...