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Actualités - CHRONOLOGIE

EXPOSITION - « Un sentiment étrange de familiarité » à l’immeuble Kettaneh, Mar Mikhaël Lamia Joreige refait « Surfaces »

Des images vidéo fixes, traitées sur ordinateur, mais aussi une vidéo et une installation interactive. Quatre œuvres distinctes regroupées sous un même titre général, « Un sentiment étrange de familiarité », mais qui sont reliées entre elles par des fils invisibles. C’est ce que donne à voir Lamia Joreige jusqu’au 12 janvier (de 14h à 20h) dans un espace spécialement aménagé pour cette exposition à la rue du Fleuve, immeuble Kettaneh, près de l’Électricité du Liban, Mar Mikhaël. Ces travaux se situent dans la même veine que ses précédentes œuvres. Pour ceux qui n’ont pas suivi le parcours de Joreige depuis ses « Surfaces » en 1997, il faut savoir qu’elle utilise des documents d’archives auxquels elle ajoute des éléments de fiction. Tout cela pour répondre à une ultime question : « Comment approcher l’histoire, quelle image nous en est renvoyée, quelle image pourrais-je en recréer ? » L’histoire et son récit possible. Voilà la matrice déterminante de l’œuvre de Lamia Joreige. « Que reste-t-il des évènements et expériences heureuses ou dramatiques que nous avons pu éprouver dans nos vies, tels que l’amour, la guerre etc.? s’interroge l’artiste. Des souvenirs plus ou moins précis, des sensations plus ou moins fortes, des impressions plus ou moins floues et, surtout, des zones d’obscurité. » Pour elle, ces zones d’obscurité sont dues à la nature même du mécanisme de la mémoire, c’est-à-dire ces distorsions et la possibilité, voire la nécessité pour l’être humain d’oublier. « Ces zones d’obscurité sont dues aussi à l’impossibilité de rassembler la totalité des témoignages et documents relatifs aux faits et aux évènements passés…. Je me trouve alors dans une tension qui réside entre : la tentation, voire la nécessité de raconter cette histoire, et l’impossibilité d’y accéder complètement. À la manière du mécanisme de mémoire, mon travail tente de collecter, enregistrer, effacer, inventer, oublier, capter, détourner, manquer. Ce qui m’a amenée à explorer diverses structures narratives dont je voudrais vous présenter aujourd’hui certaines tentatives. Je dis “tentatives” parce que dans tout ces travaux, je désigne l’impossibilité d’accéder à un récit complet, soulignant ainsi les manques, les “trous” de mémoire et d’histoire. » « Je d’histoires » explore donc les possibilités narratives en donnant la télécommande au spectateur. Ce dernier est en effet invité à s’asseoir sur un fauteuil en cuir noir (très confortable). Devant lui, un écran et, à portée de main justement, une télécommande. Il peut ainsi se faire son propre minifilm cinéma d’une minute trente. Au menu, quatre vidéos, et autant de textes et de musiques. Vous imaginez les versions possibles. De plus, et grâce à un procédé technologique , les sons émis par le spectateur durant sa présence dans la salle sont enregistrés puis intégrés de façon totalement aléatoire à la bande son de l’œuvre. Non seulement il crée son propre film, mais le visiteur devient partie intégrante de l’œuvre. L’illusion de la lune géante Il arrive parfois qu’on n’en croit pas ses yeux. S’élevant au-dessus de l’horizon, on aperçoit une lune géante. Brillante, rosée ou orangée et énorme. Cette vision, Lamia Joreige l’a eue il y a quelques années en passant sur la corniche de Manara. Regrettant de ne pas avoir pu graver sur pellicule ce moment magique, elle refera maintes fois ce travelling de Raouché vers Gemmayzé, vidéo au poing. À la recherche de l’instant perdu. La vidéo qui en résulte est donc nommée Full Moon et elle nous montre le même trajet qui se répète sans se ressembler. Pour se rendre compte, comme l’a fait remarquer Héraclite, « qu’on ne peut se baigner deux fois dans la même rivière ». D’autant plus que la lune géante est insaisissable par une caméra. L’illusion lunaire est un tour bien connu que nous jouent les yeux : une lune basse sur l’horizon semble anormalement grande. En réalité, l’astre a toujours la même taille où qu’il se trouve dans le ciel – les photographies le prouvent –, mais nos yeux et notre cerveau nous disent autrement. « Nights and Days » Une série d’images vidéo fixes présentées en diptyque nous montrent le même panorama de jour puis de nuit. D’où le titre « Nights and Days ». « Cette partie de l’exposition prend comme matière première la guerre de juillet 2006 », indique l’artiste, avant de préciser rapidement qu’elle n’a aucune valeur documentaire. « Elle vise plutôt à inciter une réflexion sur les représentations de la violence et de la guerre, sur les notions de la “beauté” versus “l’horreur” ». De prime abord, le spectateur voit un beau paysage. Mais un détail, une légende ou la différence entre une photo et sa jumelle révèlent la présence de la guerre et de ses horreurs. « The End of… » Le travail que Lamia Joreige présente ici prend ses sources dans une réflexion sur la mémoire et la trace : mémoire de violence ou fantasme d’une réalité absente et lointaine, recherche d’une appartenance sociale, culturelle, urbaine et sexuelle, d’une identité en devenir permanent. Cette recherche rejoint une réflexion que l’artiste avait formulée en 1997 pour présenter sa première œuvre intitulée Surfaces. « Mon travail se situe à la limite entre deux tentations qu’il veut conjurer : faire complètement disparaître ou complètement réapparaître l’objet. En effet, l’œil imagine un référent et le cherche dans l’abstraction : formes et couleurs familières, suggestives. De même que dans l’image figurative, l’œil ne s’arrête pas aux éléments figurés, mais recherche l’essentiel et abstrait les formes, les couleurs... Cette frontière qu’est la surface de la toile est, en même temps, un espace concret de communication, une interface, et une métaphore de ce qui est caché et de ce qui est révélé à la surface, en d’autres termes une métaphore de la mémoire (sélective ou amnésique ), de la société (ses tabous, sa conscience collective, son conditionnement sexuel ), de la violence (celle qui explose et qui s’exprime à travers la guerre, et celle qui s’accumule sans jamais jaillir). Il y a ce que “j’efface”, ce que je “raye” de la surface, et ce que je laisse volontairement ressurgir au premier plan. » Ainsi, la série « The End of… » est composée, selon l’artiste, « d’images mentales faites suite à un photomontage ou à une manipulation d’images réelles tirées d’archives ». Ici également, la mémoire fait sa sélection et passe sur la photo pour en effacer les traces… Qui raconte l’histoire et de quelle manière ? Des questions qui taraudent Lamia Joreige. Nul doute que les réponses ou ébauches de réponse provoquent en chacun de nous un sentiment étrange de familiarité… Maya GHANDOUR HERT
Des images vidéo fixes, traitées sur ordinateur, mais aussi une vidéo et une installation interactive. Quatre œuvres distinctes regroupées sous un même titre général, « Un sentiment étrange de familiarité », mais qui sont reliées entre elles par des fils invisibles. C’est ce que donne à voir Lamia Joreige jusqu’au 12 janvier (de 14h à 20h) dans un espace spécialement aménagé...