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Armelle Andro, auteur d’une étude sur la question, analyse l’évolution des pratiques de mutilation sexuelle féminine L’excision dans le monde en léger recul, mais beaucoup de travail reste à faire Karine JAMMAL

Entre 100 et 140 millions de femmes ont été victimes d’une mutilation sexuelle à travers le monde. Depuis quelques années, les experts notent toutefois un recul de cette pratique, essentiellement présente en Afrique subsaharienne et dans quelques régions du Proche-Orient et de l’Asie du Sud-Est. La lutte contre cette pratique barbare est toutefois loin d’être achevée. Pour venir à bout de l’excision, une pratique ancrée dans la mémoire collective, c’est à un travail de fond sur les mentalités, sur les sociétés elles-mêmes qu’il faut s’atteler. Les racines de l’excision ne sont pas connues de manière certaine, cependant, cette pratique « participe aux rituels de passage à l’âge adulte dans les communautés où elle est pratiquée », explique Armelle Andro, chercheuse associée à l’INED (Institut national d’études démographiques). L’excision est défendue par ses adeptes au nom de trois « principes » : refréner la sexualité des femmes, assurer leur fertilité et respecter des injonctions religieuses, notamment dans l’islam. Et ce alors même qu’« aucun texte religieux ne permet de la justifier », insiste la chercheuse (voir encadré). « Cette pratique est essentiellement présente en Afrique », où l’excision est recensée dans 28 pays, affirme-t-elle. La Guinée, l’Égypte, l’Érythrée, le Mali, le Soudan, le Burkina Faso et l’Éthiopie tiennent le haut du pavé en la matière. « Certaines communautés en Asie y sont confrontées de manière beaucoup plus marginale », ajoute Armelle Andro, comme l’Inde, l’Indonésie, la Malaisie et le Pakistan. L’excision se pratique également dans quelques pays du Moyen-Orient, notamment à Oman, en Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis et au Yémen. Phénomène intéressant, « suite aux mouvements migratoires, les pays du Nord comptent aussi une présence de femmes excisées », explique la spécialiste, qui souligne que des mutilations sexuelles sont désormais recensées en Europe, en Australie, au Canada et aux États-Unis. En Afrique, « le nombre de femmes excisées et la fréquence des différentes formes d’excision sont mieux connus depuis les années 1990 », précise une étude de l’INED réalisée par Armelle Andro et Marie Lesclingand et intitulée Les mutilations sexuelles féminines : le point sur la situation en Afrique et en France. D’un pays à l’autre, la proportion des femmes excisées varie beaucoup, allant de 1,4 % au Cameroun à 96 % en Guinée au début des années 2000. Trois groupes de pays se distinguent : les pays où plus de 80 % de la population féminine est excisée ; ceux où « la proportion varie selon l’ethnie, la catégorie sociale et la génération » ; enfin, les pays « où seules quelques minorités ethniques sont concernées », comme au Sénégal, où l’excision est pratiquée parmi les minorités (peul, toucouleurs, soninkés, malinkés) et non chez les wolofs majoritaires. Si la situation reste critique, les mutilations sexuelles sont néanmoins « en recul en Afrique depuis quelques années », souligne Mme Andro. Une tendance que l’on peut repérer en comparant la proportion de femmes excisées âgées de 30 à 49 ans et celles ayant subi une mutilation sexuelle dans la catégorie des 15-29 ans. Ainsi, en Guinée, selon l’étude de l’INED publiée en octobre dernier, la proportion de femmes excisées dans la catégorie des 30-49, en 2005, est de 98 %, contre 93 % pour la catégorie des 15-29 ans sur la même période. « Dans la plupart des pays, les femmes les plus jeunes sont moins souvent victimes de mutilations que leurs aînées. Ce décrochage générationnel est particulièrement visible dans les pays où l’excision est très répandue », expliquent les deux chercheuses. Cependant, « ce recul dépend beaucoup de la mobilisation des États », insiste Mme Andro. Selon l’Unicef, seuls 13 pays africains disposent de lois réprimant les mutilations sexuelles et les autres types de violences faites aux femmes. Si dès 1952, ces pratiques ont fait l’objet d’une résolution de la Commission des droits de l’homme des Nations unies, « ce n’est qu’à partir des années 1990 que des recommandations internationales explicites sont diffusées et il faut encore attendre 2003 pour que l’ensemble des pays membres de l’Union africaine signent un protocole condamnant officiellement les mutilations sexuelles et les interdisant », indique l’étude de l’INED. Il est nécessaire que les sanctions juridiques soient effectivement appliquées pour rendre « vraiment effective l’interdiction qui est aujourd’hui votée dans la plupart des pays concernés », insiste Armelle Andro. L’aspect juridique du dossier n’est en outre pas le seul paramètre à prendre en compte pour lutter contre l’excision. Cette pratique est en effet intimement liée à la société et aux mœurs. Dans certains pays, les parents pensent encore que si leurs filles ne sont pas excisées, elles ne trouveront jamais de mari. « Changer les mentalités est très difficile et demande du temps », souligne Mme Andro. Ce recul dépend beaucoup de la « mobilisation des États et des élites. Beaucoup de parents voudraient aujourd’hui éviter cette mutilation, mais il faut que toute la société se mobilise pour rendre sa démarche possible », affirme la chercheuse. L’éducation, un moyen de protection Des moyens existent toutefois pour faire avancer les choses. L’éducation des femmes est notamment primordiale pour engendrer un changement des mentalités. « La scolarisation des femmes a un effet favorable, l’instruction ayant un rôle protecteur, soulignent Armelle Andro et Marie Lesclingand dans leur étude. Dans tous les pays, le risque de mutilation décroît avec l’augmentation du niveau d’instruction. » Il faut également travailler sur la sensibilisation. « Il faut faire un lent travail de prise de conscience des terribles conséquences des mutilations sexuelles sur la santé ainsi que sur la vie sexuelle et affective de ces femmes », ajoute Mme Andro. Une sensibilisation qui doit commencer dès l’école. Certains organismes des Nations unies s’occupent de ce problème. La lutte contre l’excision fait notamment partie des grands programmes de l’Unicef et de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Depuis 2006, l’OMS a d’ailleurs fait du 8 février la « Journée internationale de tolérance zéro pour les mutilations génitales féminines ». Le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) s’intéresse également au problème de l’excision. En outre, nombre d’ONG luttent contre ces pratiques de mutilation sexuelle. « Le plus important est d’ouvrir le débat et de libérer la parole sur cette question qui reste très tabou. C’est souvent comme cela que l’on fait changer les choses », conclut Armelle Andro.
Entre 100 et 140 millions de femmes ont été victimes d’une mutilation sexuelle à travers le monde. Depuis quelques années, les experts notent toutefois un recul de cette pratique, essentiellement présente en Afrique subsaharienne et dans quelques régions du Proche-Orient et de l’Asie du Sud-Est. La lutte contre cette pratique barbare est toutefois loin d’être achevée....