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Actualités - OPINION

Impression Accoutumance

Il pleut des trombes et le jour est tombé à peine sorti du sommeil. Dans le flot des voitures, tragiquement visqueux dès qu’il prend au ciel de se répandre, j’observe le Niagara inopiné qui se déverse sur mon pare-brise. Une chorégraphie d’essuie-glaces efface puis révèle un réel tour à tour ondoyant et strié. Impuissance des automobilistes engourdis dans leur habitacle. Impatience au ralenti, vociférations amorties contre les parois aqueuses, évanouies dans le fracas de la pluie, absorbées par le chuintement continu des pneus, le bouillonnement roux du torrent. Le klaxon lui-même, invective mécanique, se perd en échos glou-gloutants, pouet-pouets effilochés, dont personne n’a cure. Où allons-nous ? Dans cet arrêt forcé du temps et du mouvement, la destination s’éloigne. Derrière moi, devant moi, de tous côtés, parfaitement synchrones, les automobilistes ont le même geste. Le corps penché vers la droite, ils scannent les ondes en quête d’une dose d’informations que réclame déjà leur métabolisme. Comme eux, je cherche le générique, la voix aux accents homériques, la mauvaise nouvelle du jour dont la perspective m’obsède et dont la confirmation, étrangement, me soulage. Le cœur s’emballe, puis feint de s’arrêter. Frisson glacé et coup de chaud. Attente, échec, attente, pas encore, dans quelques jours, un jour, bientôt, une date, une autre, plus tard. Montagnes russe. Ma biochimie est comblée. Adrénaline, sérotonine, bienfaisantes endorphines. Je croyais inavouable cette douce apesanteur où plonge le corps quand tout semble perdu. Autour de moi, après quelques instants d’hébétude, je constate comme une vigueur nouvelle, de celles que procure le trac ou la peur, un appel d’air, de vie, tout redémarre de concert. Générique de fin. Ça roule enfin. La destination reprend le pas sur le destin. Sommes-nous pervers ! Ils nous sont désormais nécessaires, ce shoot, ce fixe, cette ligne, cet acide du jour, cette épreuve de force où nos vies se jouent par coups de dés sous les lambris, ces bulletins aboyés dont les satellites saturent notre atmosphère. Il a pourtant neigé cette nuit. Les marrons s’écalent dans la chaleur du four. Leur parfum boisé embaume la cuisine. C’est l’hiver, saison rare et tendre. Fifi ABOU DIB
Il pleut des trombes et le jour est tombé à peine sorti du sommeil. Dans le flot des voitures, tragiquement visqueux dès qu’il prend au ciel de se répandre, j’observe le Niagara inopiné qui se déverse sur mon pare-brise. Une chorégraphie d’essuie-glaces efface puis révèle un réel tour à tour ondoyant et strié. Impuissance des automobilistes engourdis dans leur...