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COMMENTAIRE Vers un partenariat Asie-Europe Par Frank-Walter STEINMEIR*

L’émergence de l’Asie en tant qu’acteur économique et politique est une illustration très juste de la mondialisation. D’ici à la fin de la décennie, l’économie de la Chine aura dépassé celle de l’Allemagne. Avant 2040, trois des cinq plus grandes économies mondiales – la Chine, l’Inde et le Japon – seront en Asie. C’est une des facettes de l’image asiatique. L’autre arbore une pauvreté persistante, un manque de développement, une dégradation environnementale massive, un fossé rural/urbain énorme, des problèmes démographiques et des systèmes bancaires tourmentés. La situation est aggravée par des risques en termes de sécurité comme la prolifération des armes nucléaires, le fondamentalisme et un gouvernement faible ou en échec. Les grands changements en cours en Asie ne sont pas seulement économiques, ils ont aussi créé des réalités politiques qu’il est impossible d’ignorer. Les pays asiatiques agissent maintenant avec davantage de confiance en eux que par le passé. Leurs budgets militaires augmentent et des rivalités régionales existent. Ainsi, outre les immenses opportunités qu’implique la mondialisation, il convient aussi de s’attaquer aux risques politiques. Les décideurs allemands et européens doivent exposer clairement ce que l’Europe a à offrir à l’Asie, et ils en ont l’occasion lors des sommets UE-Asean et UE-Chine de ce mois-ci. Le « soft power » du modèle politique et social européen est bien connu. Comme me l’a dit un jour un dirigeant asiatique, les Européens ont ce que de nombreuses sociétés asiatiques aspirent à avoir : un gouvernement démocratique, des infrastructures de pointe, des droits civiques, des entreprises de classe mondiale, des standards éducatifs et sociaux élevés, et un riche héritage culturel. Cela nous permet de jouir d’un standing considérable. Il est primordial de s’assurer que notre modèle européen, si attaché au principe de donne équitable pour tous, reste compétitif. En tout cas, l’Allemagne a plus à perdre que tout autre pays d’une quelconque retraite protectionniste de la mondialisation. Rien qu’au cours des six premiers mois de 2007, la valeur des exportations allemandes a presque dépassé les 55 milliards d’euros. Mais le libre-échange fonctionne dans les deux sens. Des taux de change maintenus artificiellement à des niveaux bas, des restrictions sur les flux de capitaux et des réserves excessivement abondantes créent tous des déséquilibres mondiaux. Tout partenariat stratégique entre l’Europe et l’Asie doit encourager la responsabilité économique mondiale basée sur la coopération et la transparence. L’Europe et l’Asie doivent s’engager ensemble sur un programme qui mette en évidence les ressources mondiales et la durabilité. Les questions environnementales, climatiques et énergétiques concernent tout le monde. La Chine est déjà un grand émetteur de dioxyde de carbone. La dégradation environnementale en Asie nuit non seulement à la santé de sa population, mais va devenir une entrave à sa croissance. La croissance est importante pour nous en Europe, et elle l’est encore plus pour les économies émergentes d’Asie. Mais comme le montre l’expérience européenne, il vaut souvent la peine de sacrifier des bénéfices à court terme pour en récolter sur le long terme. L’histoire de l’intégration européenne suggère que la coopération régionale, les concessions, la poursuite d’objectifs communs, et même dans certains domaines le transfert de souveraineté sont les meilleures manières de vaincre les tensions et de promouvoir la recherche pacifique de solutions. Certains éléments de cette voie européenne peuvent s’avérer utiles pour la coopération régionale de l’Asie. En effet, les flux commerciaux et de matières premières sont de plus en plus interconnectés. Les membres de l’Asean conduisent presque 50 % de leur commerce à l’intérieur de l’Asie. Les relations économiques entre de grands acteurs comme la Chine et le Japon sont de plus en plus étroites – pas seulement grâce à l’explosion du commerce, mais aussi à l’investissement direct et au réseau de production régional. Les liens économiques ouvrent la voie à un rapprochement politique et à des relations plus étroites. L’Asean, avec ses affiliés comme le forum régional de l’Asean et le Sommet de l’Est asiatique, est la force maîtresse derrière l’intensification de la coopération asiatique, dans laquelle la sécurité aussi est un facteur. L’Asean travaille avec ses partenaires sur des questions mondiales comme la sécurité, l’énergie et le changement climatique, et ses projets de charte sur la coopération avancée est un premier pas encourageant vers la création d’une architecture politique. Cette année, les contacts de l’UE avec l’Asean et ses membres sont devenus bien plus étroits. La réunion des ministres des Affaires étrangères, organisée pendant la présidence de l’Allemagne de l’UE, a produit la déclaration de Nuremberg, qui établit une structure pour un partenariat plus proche entre l’UE et l’Asean. L’Europe doit devenir un actionnaire de l’Asie si les deux régions veulent retirer un maximum de bénéfices de leur coopération et contribuer à modeler le monde de demain. En Asie, les gens comprennent de mieux en mieux que partager la prospérité mondiale signifie aussi partager les responsabilités de la paix mondiale et du développement. C’est visible dans l’importance prise par la Chine lors du désamorçage de la crise nucléaire nord-coréenne et dans la rédaction de la récente résolution du Conseil de sécurité sur le Darfour. Avec la future présidence chinoise du G8 et les Jeux olympiques de Pékin l’année prochaine, l’Asie va se retrouver sous les projecteurs comme elle ne l’a jamais été. À la lumière des développements comme ceux de Birmanie, l’Asean doit établir clairement ses positions. Ce rééquilibre des responsabilités mondiales devra être un processus progressif favorisant le dialogue et la stabilité. Là aussi, il serait néfaste d’adopter une approche du tout ou rien. L’Europe doit adopter sérieusement la vision asiatique du mode de gouvernance mondial. De même, les nouveaux acteurs asiatiques doivent prendre en compte les progrès accomplis dans ce domaine dans la seconde moitié du XXe siècle. Le défi de l’habileté politique du XXIe siècle consistera à échafauder des solutions communes à des problèmes communs. C’est ce qui a inspiré le processus de Heiligendamm lancé lors du G8 de cette année, qui pour la première fois réunissait les dirigeants du G8 et ceux des principales économies émergentes du monde, comme la Chine, l’Inde, le Brésil, le Mexique et l’Afrique du Sud. Il n’y a pas de contradiction inévitable entre les valeurs européennes d’un côté et ce qu’on estime être les valeurs asiatiques de l’autre. Là où conflits d’intérêt et opportunités cohabitent avec des tensions, la bonne volonté et la capacité au dialogue sont les seuls moyens d’aller de l’avant. Nous possédons des traditions mutuellement enrichissantes qui peuvent servir de base pour un tel dialogue. C’est dans ce contexte que l’engagement de l’Europe à la réforme interne, au respect des droits humains, de la loi internationale et de la gouvernance responsable doit se voir. Les valeurs mondiales représentent une cause que l’Europe a l’intention de promouvoir dans le monde entier. De toute évidence, cela signifie que nous soyons à la hauteur de nos exigences envers les autres. Dans cette transformation progressive du système international, la politique étrangère allemande et européenne jouera un rôle actif. Ce n’est pas de rhétorique dont nous avons besoin, mais d’efforts pondérés afin de trouver des solutions pratiques et tournées vers l’avenir à des problèmes-clés pour lesquels la coopération régionale et internationale est aussi urgente que nécessaire. * Frank Walter Steinmeier est vice-chancelier et ministre des Affaires étrangères d’Allemagne. © Project Syndicate/Internationale Politik, 2007. Traduit de l’anglais par Bérengère Viennot.
L’émergence de l’Asie en tant qu’acteur économique et politique est une illustration très juste de la mondialisation. D’ici à la fin de la décennie, l’économie de la Chine aura dépassé celle de l’Allemagne. Avant 2040, trois des cinq plus grandes économies mondiales – la Chine, l’Inde et le Japon – seront en Asie.
C’est une des facettes de l’image asiatique....