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Actualités - CHRONOLOGIE

CONCERT - Tatiana Primak-Khoury au Kulturzentrum (Jounieh) Bourrasques et échappées belles avec Liszt

Un public peu nombreux au Kulturzentrum (Jounieh) pour un concert pourtant de grande qualité. Comment en serait-il autrement avec la pianiste Tatiana Primak-Khoury qui a habitué les mélomanes libanais, surtout les chevronnés du clavier, à la qualité ? Après avoir admirablement servi, dans ses prestations antérieures, sur les scènes beyrouthines, les meilleures pages pour piano de Mozart, Beethoven et les compositeurs russes (cela va de soi pour une championne des touches de l’ivoire originaire de l’Ukraine et formée au Conservatoire supérieur Tchaïkovsky de Kiev sous la férule de Riabov), voilà un programme hors norme, « titanesque », entièrement consacré à Frantz Liszt, l’un des princes les plus racés et les plus redoutables du clavier. Un menu alliant, en toute tranquillité et maîtrise, bravoure, brio, maestria, vélocité, sensibilité à fleur de peau, grands remous romantiques et surtout attestant d’une haute et périlleuse voltige technique des touches d’ivoire… Donc rien que du Liszt dans ses multiples facettes d’incurable romantique. De la passion la plus violente aux rêveries les plus tendres, en passant par le flou de la poésie, le goût des voyages et le besoin de spiritualité et d’élévation, de grands pans de l’œuvre du génial élève de Czerny et Salieri sont restitués ici, le temps d’un concert à la fois dense et lumineux. Toute la consolation du monde avec ce morceau intitulé, à très juste titre, Consolation n°3 où, dès les premières mesures, lentes et rêveuses, de grandes arches sonores s’élèvent en volutes d’un lyrisme vaporeux et insaisissable. Douceur de velours d’une narration tout en contrastes tendrement nuancés. Plus marquées et habitées d’une certaine spiritualité sont les Études d’exécution transcendantes (n°10 en fa mineur et 12 dite chasse neige) et l’Étude de concert “La Leggerezza” , véritables morceaux de bravoure tant la contorsion des doigts laisse pantois et à bout de souffle aussi bien l’interprète que l’auditoire. On retrouve avec plaisir, comme un moment de répit dans ce martèlement effréné des cordes, le célèbre Liebestram (Rêve d’amour) où se coule une mélodie suave et fluide, hantée par une pulsation secrète qui rejoint tous les délices des tourmentes romantiques teintées par le spleen, la mélancolie et le non-assouvissement… Et arrive cette fabuleuse Rhapsodie espagnole, si proche de construction et d’esprit, surtout par la forme, des Rhapsodies hongroises. Inspiré d’un voyage ébloui au pays de Cervantès, ce brillant opus utilise avec efficacité la transition du mouvement lent au mouvement vif dans de remarquables broderies de notes, des appoggiatures avec chromatismes étourdissants, des effets de sonorités et un rubato continuel où l’on change vertigineusement de cadences et de rythmes. Flamboyante et d’une beauté incendiaire, cette œuvre rejoint tous les morceaux casse-cou de Liszt qui a toujours eu le goût, même dans sa vie menée comme un roman de cape et d’épée, de l’emphase et de la théâtralité. Petit entracte et voilà un chef-d’œuvre du répertoire pianistique, dédié à Schumann, La sonate en si mineur, avec ses quatre mouvements (lento assai, allegro energico, andante sostenuto et allegro energico) littéralement éblouissants. De virtuosité et de beauté sonore. Wagner, qui n’avait pas la langue dans la poche, n’a pas manqué de critiquer les « boursouflures » de la musique de Liszt. Mais cela ne l’a pas empêché non plus d’accueillir cette sonate, d’une facture exceptionnelle, en ces termes, en s’adressant par voie épistolaire à Liszt : « Elle est grande, affable, profonde, noble, sublime comme toi. » À la fois céleste et démoniaque, secouée par tous les vents contraires et tissée de toutes les contradictions humaines, cette narration pianistique majeure allie en toute subtilité et savant dosage la tourmente, l’angoisse, l’apaisement, la lumière et la nuit. Avec des thèmes récurrents, entêtés et obsédants, elle enfle majestueusement entre colère, angoisse, exaltation, fougue, impétuosité et espoir fou. Célérité d’enfer ou calme olympien, voilà les deux axes d’une œuvre éruptive, volcanique avec des plages de sérénité où le bonheur est pure transparence comme ce cristal clair dont parlent les poètes… Dernières mesures d’un déchaînement orageux qui s’éteignent dans un recueillement absolu. Entre bourrasques, tempêtes, tornades, éclaircies et échappées belles, Liszt a été admirablement servi par une pianiste au-dessus de tout éloge. Une pianiste rompue à la tâche et qui ne recule devant aucune difficulté. Soutenir plus d’une heure trente un jeu aussi ardu avec des partitions semées d’embûches relève, sans nul doute, du défi et de la gageure. Pari réussi, s’il en fut, que celui de Tatiana Primak-Khoury. Serrant la gerbe de fleurs qui lui a été offerte, souriante, d’une simplicité désarmante et toujours d’une souveraine élégance, la pianiste tire sa révérence sous un tonnerre d’applaudissements. Pas de bis et l’on comprend. La magie et l’intensité des notes ne peuvent déserter de sitôt les lieux… Edgar DAVIDIAN
Un public peu nombreux au Kulturzentrum (Jounieh) pour un concert pourtant de grande qualité. Comment en serait-il autrement avec la pianiste Tatiana Primak-Khoury qui a habitué les mélomanes libanais, surtout les chevronnés du clavier, à la qualité ? Après avoir admirablement servi, dans ses prestations antérieures, sur les scènes beyrouthines, les meilleures pages pour piano de Mozart,...