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Le consensus de l’Apocalypse Neutralité présidentielle ou neutralité libanaise ?

Le livre de l’Apocalypse est bien étrange. Il commence par sept lettres envoyées à sept églises. Dans la dernière, adressée à l’église de Laodicée (Lattaquieh), celui qui se déclare lui-même le « Principe de la création » dit à son destinataire : « Tu n’es ni froid ni chaud. Mieux vaut pour toi être chaud ou froid. Mais, parce que tu n’es ni chaud ni froid et que tu es tiède, je te vomirai de ma bouche » ( Ap. 2 :15-17 ). Ledit « Principe » semble particulièrement détester le tiède consensus entre le froid et le chaud. On pourrait longuement méditer ce verset de l’Apocalypse par les temps qui courent où on nous promet un avenir pour le moins apocalyptique. Il suffit de remplacer « chaud » et « froid » par « 8 » et « 14 » Mars, et de ne pas oublier de mettre à la place de « tiède » ce délicieux « consensus » que la terre entière semble nous recommander. En soi, un consensus n’a rien d’infamant pour autant que les parties prenantes soient à pied d’égalité et que les concessions faites de part et d’autre soient de nature à préserver la paix civile des deux parties, les intérêts des deux parties, ou du moins à ne pas porter une atteinte grave à l’une ou à l’autre. Pourquoi se précipite-t-on avec tant d’empressement pour nous recommander l’élection d’un président consensuel ? Qui sont les parties en conflit ? Personne ne pourrait prendre au sérieux le fait que les chancelleries de la planète se mobilisent si l’affaire devait simplement porter sur un homme qui saurait garder une distance sage et raisonnable entre Koraytem et Haret Hreik. Si le monde entier s’active autant, c’est pour protéger les intérêts des uns et des autres. L’intérêt des Libanais passe, depuis longtemps, par profits et pertes, notamment aux yeux du régime stalinien de Damas et du régime ultraclérical de Téhéran et de leurs agents au Liban, pudiquement appelés « opposition ». Le citoyen libanais est en droit de se demander : Sommes-nous en guerre, en conflit ou en crise ? Une guerre est un face à face entre deux protagonistes, appelés « ennemis », excluant toute tierce partie. Une guerre est par définition une atteinte violente au principe d’altérité. La guerre a pour but de casser la volonté de l’autre (guerre de basse intensité ), voire d’éliminer l’autre si besoin en est (guerre totale ). C’est pourquoi la connaissance de l’ennemi est un prérequis indispensable. En état de guerre, on prend parti, on commence par dire qui est l’ennemi. Un conflit est aussi un face à face, mais qui ne porte pas atteinte au principe d’altérité. Les protagonistes ne sont pas des « ennemis », mais des « adversaires ». Leur face à face porte sur des points ponctuels, des intérêts bien compris qu’on appelle stratégiques. Au fond, la guerre est un crescendo armé du conflit où les adversaires deviennent des ennemis et sont donc obligés de passer à l’étape de devoir briser l’autre. Quant à la crise, elle ressemble aux états de fièvre de la clinique médicale. C’est une sorte de déstabilisation généralisée, un état de pure hostilité sans ennemi, parce que sans adversaire. « Est-elle alimentée par la rumeur ? » (J. Beauchard). Le rôle de tout bon stratège et de tout bon diplomate consiste en une double tâche : primo, transformer les conflits en crises. Deuxio, manipuler, au besoin, la crise pour en faire un conflit à condition de trouver le bon bouc émissaire. Les diplomates et les stratèges de tout bord nous recommandent d’aller vers un président de consensus. Mais qui sont les ennemis ou les adversaires en place ? Le Liban, dans le meilleur des cas, n’est que le dindon de la farce mais, dans le pire, il en est le bouc émissaire. Les enfants des crèches savent que le conflit actuel est géostratégique. Il n’a rien à voir avec Bkerké, Haret Hreik, Moukhtara, Aïn el-Tiné, Koraytem et autres hauts lieux de notre tourisme politico-sectaire. Les adversaires sont bien connus : l’axe Iran-Syrie et ses cohortes auxiliaires miliciennes (Hezbollah, Hamas ) ou carrément terroristes (Jound el-Cham, Galaxie el-Qaëda, Fateh el-Islam et « tutti quanti »), d’un côté. De l’autre côté, le reste du monde ou presque. Un président de « consensus » ? Un « ni-8-ni-14 » ? Un « tiède » ? Un « tawafoqi » ? Un asexué géostratégique ? Un caméléon métaphysique ? Un « neutre » donc, dirait n’importe quel être de bon sens. Pourquoi alors se contenter d’un président « stratégiquement neutre » et ne pas aller vers un « Liban stratégiquement neutre » ? Pourquoi seulement la neutralité géostratégique du chef de l’État et non de l’État lui-même ? Accepter le consensus dans ces conditions est dans l’intérêt des « autres », de tous les « autres », mais pas dans l’intérêt du Liban. Le consensus dans ces conditions est un consensus d’apocalypse, il ne résoudra absolument rien, car le conflit n’est pas libanais. Si les uns et les autres nous recommandent d’aller vers le consensus, c’est parce que, en bons stratèges, ils souhaitent transformer le conflit géostratégique actuel en une crise domestique interne, purement libanaise. Les crises, ça se gère durant des décennies ou des siècles s’il le faut. Et puis, on peut toujours manipuler les crises pour obtenir, au moment opportun, quelque chose de l’adversaire. Le consensus dans les conditions actuelles consiste à sacrifier les espoirs de liberté des Libanais sur l’autel des intérêts stratégiques des « autres » dont certains sont des meurtriers avérés. Pr Antoine COURBAN
Le livre de l’Apocalypse est bien étrange. Il commence par sept lettres envoyées à sept églises. Dans la dernière, adressée à l’église de Laodicée (Lattaquieh), celui qui se déclare lui-même le « Principe de la création » dit à son destinataire : « Tu n’es ni froid ni chaud. Mieux vaut pour toi être chaud ou froid. Mais, parce que tu n’es ni chaud ni froid et...