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Actualités - OPINION

À propos de l’émission de France 2 « Liban, pays des esclaves » Loi du plus fort et loi du silence

L’article et le reportage télévisé de Mme Dominique Torrès ont fait couler beaucoup d’encre ces derniers jours. Et c’est tant mieux. Un débat qui était habituellement le monopole des diverses agences humanitaires locales ou internationales s’ouvre au « grand public ». Loin du sensationnalisme et réductionnisme qui vont souvent de pair lorsqu’un sujet se rapportant aux abus des droits de l’homme est traité, je m’arrête aujourd’hui sur deux points soulevés par quelques-uns des lecteurs de L’Orient-Le Jour. Le premier concerne la qualification des domestiques étrangers présents au Liban d’esclaves. Le second relève du fait que le Liban n’est pas le seul pays où le mauvais traitement des domestiques a lieu. Ce faisant, j’explique la nature particulière de ce genre d’emploi occupé par des émigrées de par le monde, qui génère souvent maints abus et conflits. Le concept d’« esclavage moderne » (modern slavery) est récurrent dans les diverses documentations qui s’intéressent aux femmes émigrées travaillant comme domestiques. Ce concept, même quand il est utilisé d’une manière prudente et contextuelle, porte un poids moral et émotionnel qui est (parfois intentionnellement) choquant. De plus, l’usage moderne du terme esclave implique en quelque sorte l’absence de choix chez les domestiques en question. Le choix d’émigrer, de prime abord, n’est pas seulement motivé par des raisons économiques. D’autres considérations entrent en jeu, telles que le désir d’indépendance loin du contrôle ou abus du mari, l’attirance de l’aventure et la recherche d’une vie meilleure. Si ces femmes sont en réalité « forcées » à émigrer, pourquoi certaines le font-elles alors que d’autres, qui partagent les mêmes conditions de vie, restent dans leur pays d’origine ? Comme Momsen1 observe : « Ce sont souvent les plus aventureuses qui émigrent et, pour de nombreuses d’entre elles, la recherche d’une liberté personnelle ajoutée au rejet des rôles traditionnels des sexes sont aussi importants que la raison économique. » Le choix de rester dans le pays d’accueil, en second lieu, existe, que ce soit pour des gratifications financières, morales ou émotionnelles. J’ai rencontré des domestiques sri lankaises au Liban qui, malgré de difficiles conditions de travail et de vie, choisissent de renouveler leur contrat. Nombreuses sont celles qui voulaient rester parce qu’elles se sentaient « étrangères » quand elles rentraient au Sri Lanka pour de courtes visites. D’autres étaient mues par leur désir (et pas nécessairement besoin) de gagner plus d’argent au Liban. Si l’emploi du terme esclavage est déplacé, il est vrai cependant que les conditions de travail et de vie de la plupart de ces femmes émigrées sont, de nos jours, simplement inacceptables. Le travail domestique est une forme particulière d’emploi, où les domestiques ne travaillent pas seulement pour leurs employeurs, mais, dans de nombreux cas, vivent avec eux. La vie privée et le travail sont emmêlés, le travail devenant une façon de vivre en elle-même. Il est donc très difficile de réguler ce genre de travail (qui est, par définition, un amalgame du privé et du public) et, par conséquent, d’éviter une situation d’abus de pouvoir. Quand est-ce que le travail s’arrête et la vie privée commence ? Cela ne revient-il pas au bon vouloir des employeurs, qui détiennent l’ultime autorité dans ce cadre précis ? De nombreux employeurs libanais (pour ne pas dire la plupart) jugent que la domestique n’a pas droit à une vie privée et est supposée oublier son identité, ses désirs, besoins et humeurs. Il est vrai que la maltraitance des domestiques n’est pas l’exclusivité des Libanais. De nombreuses études ont dénoncé de par le monde les abus d’employeurs européens et américains envers leurs domestiques. Cependant, ces abus sont « normalisés » chez nous alors qu’ils ne le sont pas dans les pays développés. Il est normal et même recommandé au Liban d’interdire à sa domestique toute vie sociale, de lui refuser un jour de congé par semaine, de saisir son passeport, de décider de son coucher et réveil, etc. Avez-vous jamais entendu une personne dire à son amie à propos de sa domestique : « Pourquoi tu ne la laisses pas sortir les dimanches ? » N’entendons-nous pas plutôt : « Ah, tu la laisses sortir ? Mais t’es folle ! » Il est temps de changer cet état des choses. Et cela peut commencer aujourd’hui par tout un chacun. Celui ou celle qui abuse de son pouvoir envers sa domestique se reconnaîtra (malgré tous les dénis et multiples justifications qui tentent de convaincre qu’il est nécessaire de contrôler ces « filles »). Celui ou celle qui ne le fait pas ne manquera pas de reconnaître quelqu’un de ses voisins, amis ou membres de sa famille… La loi du plus fort doit cesser, mais aussi celle du silence. Dr. Nayla MOUKARBEL PhD, Migration Studies (University of Sussex, United Kingdom) 1- Momsen, H.M. (ed.) (1999) Migration and Domestic Service, London : Routledge.
L’article et le reportage télévisé de Mme Dominique Torrès ont fait couler beaucoup d’encre ces derniers jours. Et c’est tant mieux. Un débat qui était habituellement le monopole des diverses agences humanitaires locales ou internationales s’ouvre au « grand public ». Loin du sensationnalisme et réductionnisme qui vont souvent de pair lorsqu’un sujet se rapportant...