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Actualités - interview

« Le président de la République n’est pas un arbitre. Il gouverne », affirme le chef du Parlement Berry à « L’Orient-Le Jour » : « Toutes les parties doivent se conformer aux conseils du patriarche »

«Les musulmans sont bien plus attentifs à ce que dit le patriarche (maronite) que les chrétiens. Les chrétiens le sont plus que les maronites, et les maronites le sont plus que les candidats à la présidence de la République. » C’est ainsi que le chef du Parlement, Nabih Berry, résume les relations qu’entretiennent les différentes parties libanaises avec le patriarcat maronite, notamment depuis l’initiative lancée par ce dernier pour parvenir à un consensus sur l’échéance présidentielle. Le président de l’Assemblée a certes le sens des formules, qui lui sont d’autant plus chères qu’elles expriment un souci certain pour l’avenir du pays, menacé sur toutes ses frontières par les tensions régionales. Dans une interview accordée à L’Orient-Le Jour, le président de l’Assemblée a systématiquement refusé d’évoquer la bourse des noms à la présidentielle, affirmant que son seul candidat s’appelle l’Entente. Selon lui, c’est le futur immédiat de la nation qui importe et non les noms. Le mot d’ordre est le suivant, dit-il : « Ce qui est aujourd’hui demandé à toutes les parties en présence, c’est de se conformer aux conseils du patriarche qui est seul habilité à présenter les noms des candidats à la première magistrature. » Question - Êtes-vous de ceux qui estiment que la visite du ministre égyptien des Affaires étrangères et du chef des renseignements égyptiens s’est soldée par un échec ? Réponse - « Voyons d’abord quel était l’objectif des Égyptiens pour savoir si la visite a échoué ou non. Ils ont clairement affirmé qu’ils sont venus pour soutenir l’initiative du chef du Parlement dans la direction d’une entente interlibanaise et pour encourager en même temps l’initiative de Bkerké. En bref, ils sont venus dire explicitement qu’ils sont en faveur de l’entente. Ils n’étaient pas porteurs d’un projet ou d’une initiative égyptienne. La presse libanaise a toutefois laissé entendre que cette visite avait pour objectif de soutenir la candidature du commandant en chef de l’armée, le général Michel Sleimane, ou encore de paver la voie à des médiations entre l’Arabie saoudite et la Syrie. En réalité, il n’en est rien, d’après moi. Au contraire, (les membres de la délégation égyptienne) ont affirmé qu’ils n’avaient aucun nom de candidat. D’autre part, ils ont souligné qu’ils gardaient certains de leurs contacts loin des feux de la rampe. Cependant, les tentatives de médiation (entre l’Arabie saoudite et la Syrie) sont déjà en place depuis un certain temps, depuis l’incident diplomatique entre les deux pays, et non pas à l’occasion de leur dernière visite libanaise. « J’ai d’ailleurs insisté, en présence de Saad Hariri, sur l’importance de voir l’Égypte jouer un rôle important entre Ryad et Damas, nonobstant le dossier libanais, car j’estime que l’Égypte doit jouer un rôle de rassembleur au niveau du monde arabe, d’autant plus que le Liban est concerné. » Q- Pourquoi la presse a-t-elle fait le lien entre la visite du général Sleimane en Égypte et l’arrivée à Beyrouth, simultanément, du ministre des AE et du chef des renseignements égyptiens ? R- « La réponse est à chercher dans les propos du ministre Geit, et ceux du général Sleimane. Tous les deux ont affirmé que la visite du commandant en chef de l’armée avait pour objectif de consolider l’armée. Le quotidien Acharq al-Awsat a même indiqué aujourd’hui (hier) que c’est moi qui ait proposé le nom de Michel Sleimane. Il faut savoir une fois pour toute que mon seul candidat s’appelle “l’Entente”. Depuis que j’ai lancé mon initiative, j’affirme cela. Car avec tous les respects que je dois à tous les candidats en présence, j’estime que le salut du pays est plus important que les personnes. » Q- Vous vous présentez aujourd’hui en tant que champion par excellence de l’entente. Certaines parties au sein du 14 Mars se demandent pourquoi ce revirement soudain ? Êtes-vous véritablement sincère ou s’agit-il de simples manœuvres politiques ? R- « Vous me donnez l’occasion d’adresser un grand merci à l’opposition représenté par le Hezbollah et le CPL. En réalité, j’ai lancé des initiatives en exerçant sur eux des pressions énormes et en les poussant à faire des compromis auxquels ils n’étaient pas prêts, que ce soit lors du dialogue national, du round des concertations, ou lors de mon initiative de Baalbeck. Concernant mon initiative de Baalbeck, et sans avoir auparavant consulté aucun pays, j’ai lancé ma proposition “Made in Lebanon”. Maintenant, tout le monde est convaincu, y compris les Occidentaux, que mon initiative est 200 pour cent libanaise (100 pour l’étranger et 100 pour l’intérieur). Un sondage publié par le Nahar avait montré que 80,6 % des Libanais avaient approuvé mon initiative, et parmi les Occidentaux, tous les pays catholiques, et 27 pays européens se sont exprimés positivement, sans qu’aucun État arabe n’ait objecté. C’est dire l’impact de cette proposition libano-libanaise. J’ai lancé mon idée sans avoir consulté les parties de l’opposition qui se sont dépêchées, quatre jours plus tard, d’avaliser mon initiative. On m’a reproché d’avoir placé des conditions, ce qui n’était pas le cas. Je voulais simplement faire appliquer la Constitution. Rien d’autre. Mes partenaires dans la nation le resteront tant qu’ils respectent la loi. L’opposition s’est pliée à cette demande en acceptant le compromis, mais la majorité n’a pas marché, du moins une partie d’entre elle. À ce jour, une partie de cette majorité continue de brandir la menace de la moitié plus un. Pour moi la question est claire : le président de la République est chrétien, maronite, et il le restera. Le président n’est pas un arbitre. Il gouverne. Il doit être un homme sage et éclairé. » Q- Mais que reste-t-il donc des prérogatives du chef de l’État pour qu’il puisse gouverner au vrai sens du terme ? R- « Celui qui sait bien lire la Constitution sait pertinemment que toutes les prérogatives passent par le chef de l’État, contrairement aux pratiques actuelles. Rien ne se passe sans l’avis et la participation du président. Ce qui lui est aujourd’hui demandé c’est qu’il soit sage, et non despote. Les prérogatives dont on dit qu’elles lui ont été arrachées n’ont pas été données à quelqu’un d’autre. Elles lui ont été accordées à lui et à d’autres dans le cadre du Conseil des ministres réuni. » Q- Où en sommes-nous aujourd’hui de toutes ces initiatives et du ballet diplomatique dont nous sommes témoins ? R- « Mon initiative et celle de Bkerké sont complémentaires. Il n’y a ni divergence ni contradiction entre les deux. J’ai visité le patriarcat et dès mon retour de Genève, j’avais affirmé que j’attendais de voir la fumée blanche se dégager de Bkerké. Je me suis engagé à me conformer à toute décision qui émanerait du patriarcat maronite. Car ce dernier est le plus à même de choisir les noms. Il faut par conséquent que les noms ou “Le Nom” émanent de Bkerké et nous nous y conformerons. Tout au long de l’année, on n’a entendu rien d’autre que des hommages adressés à Bkerké qui est seul habilité à trancher. Or dès que le patriarche a demandé une simple réunion au niveau du leadership pour œuvrer en direction de la reconstruction d’un meilleur avenir, les réactions sont venues mitigées et hésitantes. Nous savons pertinemment que les comités ne font pas long feu. Il est demandé un seul président et les candidats sont nombreux. Il est donc impératif d’aider le patriarche et de suivre religieusement ses conseils. Saad Hariri et moi avons pris discrètement nos distances par rapport à l’élection pour ne pas que l’on nous reproche le fait que ce sont les musulmans qui choisissent le chef de l’État maronite. » Q- Comment qualifiez-vous vos relations avec Saad Hariri aujourd’hui ? R- « Elles sont bonnes. Nous sommes d’accord sur toute la plate-forme pour la phase à venir. Cela est bien plus important que le nom du candidat en lui-même. Pour en arriver là, cela nous a pris trois longues sessions ensemble. Nous avions commencé à évoquer les noms. Mais dès que le patriarcat a lancé son initiative, nous nous sommes discrètement retirés du processus. » Q- Et si les efforts de Bkerké n’aboutissent pas ? R- « Si l’on ne parvient pas à des résultats à Bkerké, ni à travers un processus d’entente, il faudra trancher et faire des choix. À ce moment-là, il vaudra mieux opter pour une personne à égale distance des deux camps que de laisser le pays à la dérive. Pour ma part, je n’ai qu’un seul candidat : Il s’appelle l’Entente. » Q- Qui pourrait être contre l’Entente selon vous ? R- « Tout ce que je peux dire à ce sujet, c’est que certaines personnes verront leur dimension réduite si l’entente se réalise. Je n’en dirai pas plus. » Q- En définitive, qui est le grand électeur aujourd’hui au Liban, à la lumière notamment des tensions et des nouveaux équilibres régionaux ? R- « Le Liban n’est pas un îlot. Et les Libanais ont chacun leur lien. Je ne leur demande pas de renoncer à leurs relations externes. Je les exhorterai simplement à préserver leurs liens dans une proportion de 49 %, en laissant les 51 % de leur engagement pour le Liban, pour que le pays devienne gouvernable. C’est là et seulement à ce niveau que j’exige la “moitié plus un”. Je crains fort que le Liban n’ait une fois de plus à payer le prix des confrontations régionales. La région est actuellement en ébullition. Des frontières turco-iraniennes, en passant par l’Afghanistan, le Pakistan, l’Irak, la Palestine, sans compter le dossier nucléaire pour aboutir au Liban-Sud, sont autant de points chauds qui pèsent lourd dans la région. J’espère simplement que les Occidentaux, et les Européens en général, réalisent ce qui se passe notamment au Liban-Sud, où il ne se passe pas deux heures sans que les avions israéliens ne sillonnent l’espace aérien libanais. » Q- Et la Syrie dans tout cela ? R- « Je suis satisfait de ce que Bachar el-Assad a affirmé en Turquie, à savoir qu’il ne posera pas d’obstacles à l’élection du président libanais. » Q- Comment comprenez-vous la récente déclaration de Condoleezza Rice qui a affirmé que les États-Unis n’accepteront pas un « président élu de manière illégale » ? R- « S’ils ont voulu entendre par là le consensus sur base du respect de la Constitution – il s’agirait là d’une position très avancée –, cela n’est toujours pas suffisant, à mon avis. L’Administration US devrait être plus claire et affirmer explicitement qu’elle n’acceptera pas un président élu à la majorité simple. À ce moment-là, la crise sera résolue au Liban. « Les Américains doivent clairement savoir que ce pays pourrait être le début de la solution, ou à défaut, le début de l’explosion. C’est un conseil que nous avons déjà adressé à plusieurs reprises à la communauté internationale. La lutte contre le terrorisme peut se faire dans un État-modèle et selon une recette précise qui est la coexistence entre les religions. Il n’y a pas un meilleur pays que le Liban pour incarner ce combat. Le danger guette si un président est élu à la majorité simple, en violation de la Constitution. J’ai bien peur que mon pays ne se transforme un jour en un foyer de terrorisme qui ne tardera pas à se propager dans des régions où les Américains et d’autres peuples ne l’imagineraient pas. ». Propos recueillis par Jeanine JALKH
«Les musulmans sont bien plus attentifs à ce que dit le patriarche (maronite) que les chrétiens. Les chrétiens le sont plus que les maronites, et les maronites le sont plus que les candidats à la présidence de la République. » C’est ainsi que le chef du Parlement, Nabih Berry, résume les relations qu’entretiennent les différentes parties libanaises avec le patriarcat maronite,...