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Actualités - RENCONTRE

Reportage À Bagdad, des enfants armés jusqu’aux dents jouent à la guerre

Ibrahim George, un homme d’affaires de Bagdad, a tout essayé pour que sa petite fille de 11 ans dépose les armes. Mais « elle adore son fusil », soupire-t-il en regardant Sandy – cheveux courts, pantalon et t-shirt –, qui manie sans complexe une mitraillette en plastique, ornée d’une belle étiquette « Made in China ». « Et elle ne joue jamais à la poupée », ajoute-t-il, avec du regret dans la voix, dans une conversation avec un journaliste de l’AFP devant sa résidence dans le quartier relativement calme de Karrada. L’arme à la main, la gamine explique tranquillement : « Elle a un viseur laser et peut tirer en position automatique ou manuelle. » Cette réplique d’un fusil d’assaut lance des plombs de 6 mm capables d’arracher un œil, et elle est vendue avec la mention : « Pour 18 ans et plus. » « Tous les enfants dans les rues possèdent de tels jouets », se lamente Ibrahim George montrant du doigt une bande de gamins avec qui Sandy joue aux gendarmes et aux voleurs. « Toute la journée ils voient des adultes avec des armes, qui peut les blâmer ? » ajoute-t-il. L’engouement des enfants pour ces jouets guerriers a provoqué l’inquiétude de leurs parents et de leurs enseignants. Le gouvernement irakien s’est lui-même ému et le ministre du Commerce, Abed Falah al-Soudani, a envisagé d’interdire ces jouets parfois trop réalistes. Sans succès. Une anecdote circule parmi les enfants, qui illustre les risques réels ou imaginaires d’un divertissement qui imite trop bien la violence des grandes personnes et les affrontements qui, depuis des mois, ensanglantent leur pays. « Un petit garçon a été tué par un soldat américain qui a pris son jouet pour une véritable arme », raconte un ami de Sandy, Zain, 12 ans. Selon Oudai Mohammad, un marchand de jouets, « cet incident est arrivé il y a un an dans la province de Diyala » (Nord-Est), et il met en garde les enfants contre le fait de jouer avec ces armes en public. Le marchand affirme que les ventes de jouets imitant toutes sortes d’armes ont fait un bond lors de la fête du Fitr, célébrant la fin du mois de ramadan, mi-octobre, lors de laquelle les enfants reçoivent traditionnellement des vêtements neufs. « Habituellement, je vends 10 à 12 fusils par jour », dit-il en montrant sa collection allant du pistolet en plastique au fusil automatique ultrasophistiqué doté de lunettes de tir, de viseurs laser ou infrarouge. Mais « pour la fête, les ventes ont explosé », insiste-t-il. Les prix varient de 5 000 à 40 000 dinars (4 à 32 dollars) pour ces substituts trop réalistes pour être totalement inoffensifs. Celui qui a le plus de succès est la copie du fusil américain MP7AI, qui est vendu 10 000 dinars. Le marchand, un ancien ingénieur en informatique reconverti dans le commerce pour gagner sa vie, se dit toutefois inquiet de la forte demande de ce type de jouets, affirmant : « Les enfants deviennent agressifs quand ils jouent avec des armes. » Un avis partagé par une étude scientifique sur ce phénomène, menée par l’Association des psychologues d’Irak (API) en 2006, constatant que la violence affecte profondément les enfants. « La seule chose qu’ils ont en tête ce sont les armes, les balles, la mort et la peur de l’occupation américaine », souligne le porte-parole de l’API, Marwan Abdallah, dans son étude. À Sadr City, le vaste quartier chiite de Bagdad, les jeux guerriers des enfants ont pris récemment une nouvelle dimension. Les uns posent en miliciens chiites, et les autres en insurgés sunnites. Ailleurs dans la ville, les bandes se divisent les rôles entre policiers et « terroristes », ou encore entre armée irakienne et el-Qaëda. Philosophe, Hassan, 27 ans, un marchand de jouets du centre de Bagdad, confirme lui aussi que les temps ont changé dans l’Irak en guerre. « Ce sont les armes que les enfants préfèrent, pas les trains ou les ballons », assure-t-il. Bryan PEARSON (AFP)
Ibrahim George, un homme d’affaires de Bagdad, a tout essayé pour que sa petite fille de 11 ans dépose les armes. Mais « elle adore son fusil », soupire-t-il en regardant Sandy – cheveux courts, pantalon et t-shirt –, qui manie sans complexe une mitraillette en plastique, ornée d’une belle étiquette « Made in China ». « Et elle ne joue jamais à la poupée »,...