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PORTRAIT D’ARTISTE Glenn Gould, pianiste hors pair Excentrique, lui ?

Il aurait eu aujourd’hui soixante-quinze ans ! Vladimir Horowitz a bien vécu jusqu’à 80 ans, Artur Rubinstein jusqu’à 95 ans. Soixante-quinze ans ce n’est pas si vieux que ça, surtout quand on connaît le talent fou qu’il avait ! Oui, le talent n’a jamais été une excuse pour la longévité, ça aussi on le sait… Jongler en toute impudence avec l’âge des uns et des autres n’est pas une chose à faire car, de toute façon, la mort est toujours cruelle et injuste. Mais avec Glenn Gould, décédé à l’âge de cinquante ans, l’aventure humaine semble brusquement et terriblement courte. Et frustrante. Pour tant de choses encore à dire, à commenter, à faire… Et toujours de la manière la plus personnelle, la plus imprévisible ! Oui, c’est bien Glenn Gould qui a fait « parler » le piano comme personne. Éloquence unique et absolue. Et ce n’est guère un hasard si Arte lui consacre actuellement, en guise d’hommage posthume (car des lauriers, des éloges et des récompenses, il en a eu des tonnes de son vivant), une série d’émissions. De ces émissions qui le font revivre dans son originalité, pour certains (si ce n’est pour la plupart) dans son « excentricité » devant ses touches d’ivoire et dans la vie, au quotidien, dans sa manière d’être, de se comporter et de s’habiller…. Glenn Gould l’inégalable acrobate pianiste des Variations Goldberg de Bach dont on n’a pas fini de savourer les nuances, la célérité, le tempo, la fraîcheur ludique, la sagesse de réflexion et le sens mystique… Une tempête, un ouragan, une tornade, voilà ce qu’était ce musicien d’une insatiable culture intellectuelle, qui avait la bougeotte dans le sang. Né à Toronto le 25 septembre 1932 et décédé le 4 octobre 1982 dans la même ville d’un accident vasculaire cérébral, Glenn Gould a vite compris que la musique, et notamment le piano, c’est son destin et sa destinée. De sa formation au Conservatoire de Toronto (auprès d’Alberto Guerrero) à ses répliques aux plus grands chefs d’orchestre, tels Karajan, Bernstein et Menuhin, Gould n’a jamais perdu de vue la dimension de « décortiquer » à fond une partition. Et d’en dégager, méticuleusement, la « substantique moelle ». Avec un sens inouï de l’insolence justifiée, de la liberté libératoire, des beautés qu’on dévoile en toute impunité, subtilité et assurance. Car il avait, sans nul doute, une certitude, celle de son talent. Tout cela dans une attitude toujours d’une placide audace, peut-être involontairement provocante, car rebelle aux conventions établies et aux vies étriquées, « formatées » au millimètre… Gants en caoutchouc et mains dans l’eau chaude… Décoiffantes, ébouriffantes, délurées ses déclarations ? Écoutons plutôt ses confidences : « Certaines personnes me trouvent excentrique parce que je trimbale avec moi ma propre chaise, parce que je porte des gants en été, parce que je plonge mes mains dans l’eau chaude avant de jouer, ou parce que je mets des gants en caoutchouc pour nager. » Tout ce raffut, ce concert strident de critiques acerbes ou folles, rien que pour cela ? Pouah… Pour un béret basque (ou arménien !) vissé au front, pour un manteau à la Dick Tracey, pour une écharpe arborée comme une prima donna, pour des sautillements à la Barichnikov, pour des poses à la Brummel d’un romantisme ténébreux, pour cette mèche rebelle qui bat la mesure comme un métronome, pour ces notes qu’il fredonne en sourdine, comme dans un état de transe ou d’hypnose quand il touche le clavier, et qui seront même parfaitement audibles sur certains enregistrements ? Tout cela a des explications plausibles et puis, comme dit Jack Lemon à la fin de Some Like it Hot (et toute proportion de grotesque ou de ridicule gardée), « nul n’est parfait »…. Et ces pseudo-bizarreries, de comportements et d’attitudes, auront des réponses percutantes pour faire taire la meute de conformistes rongés d’être différents et qui préfèrent les couleurs monochromes pour vivre effacés, en cohortes de moutons de Panurge… Mais tout cela s’évanouit et devient falot, presque vain et futile, lorsqu’on évoque cette carrière fulgurante et riche où les partitas, les toccatas et les suites anglaises et françaises du cantor (partitions des plus ardues et des plus périlleuses) ont eu une vie et un lustre nouveaux sous les doigts de Glenn Gould. De Beethoven (ses Symphonies nos 5 et 6 transcrites au clavier par Franz Liszt) à Webern, en passant par Mozart et Haydn, les grands classiques ont été revisités par la féerie d’une interprétation hors pair et magicienne. Et on oublie souvent que Glenn Gould a fait la part belle à la virtuosité, très à la russe, c’est-à-dire avec tempérament de feu et bravoure à casser les cordes, avec Prokofiev et Scriabine. Il a touché aussi à l’élégance, la finesse et l’esprit français avec Couperin, Bizet, Debussy, Ravel, Poulenc. Originalité de caractère quand on songe que l’Idylle de Siegfried de Wagner a été transcrite au piano par ses soins. Les modernes l’ont tenté aussi, et cela va de Richard Strauss à Berg. Contre toute attente, ce prince du clavier aimait bien peu Chopin, le poète du clavier, et goûtait très peu – qui l’eut cru ? – les dernières œuvres du génie de Salzbourg. Par contre, il aimait bien la pétulante Petula Clark, gentille et souriante reine des variétés eau de rose des années « sixties » ! Un autre jardin secret que Glenn Gould a ouvert au public mais que peu d’auditeurs ont visité : ses compositions. De l’humour à l’emporte-pièce et un goût pour les modernes, tel Schoenberg. L’une des plus célèbres et prisées de ses œuvres reste Alors tu veux écrire une fugue ? (So you want to write a fugue ? Que reste-t-il de ce grand pianiste qui avait le talent de toujours surprendre ? Avec lui, la célèbre phrase « étonne-moi » de Cocteau n’a pas besoin d’exister. Cela venait naturellement, spontanément. Sans excentricité préméditée ! Une discographie ample et variée (embarras de choix de toute évidence) pour celui qui se penchait outre mesure sur son clavier, jusqu’à y mettre le bout du nez sur les touches… Mais d’abord et toujours l’indispensable sésame de sa gloire, Les variations Goldberg de Bach, sans bouder pour autant les toccatas, les fugues et les suites du cantor… Edgar DAVIDIAN
Il aurait eu aujourd’hui soixante-quinze ans ! Vladimir Horowitz a bien vécu jusqu’à 80 ans, Artur Rubinstein jusqu’à 95 ans. Soixante-quinze ans ce n’est pas si vieux que ça, surtout quand on connaît le talent fou qu’il avait ! Oui, le talent n’a jamais été une excuse pour la longévité, ça aussi on le sait… Jongler en toute impudence avec l’âge des uns et...