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Actualités - REPORTAGE

Un peuple qui lutte depuis près d’un siècle pour la reconnaissance de son identité et de sa culture Les Kurdes, une nation à la recherche d’un État Dossier réalisé par Antoine AJOURY

Insurrections, répressions, rébellions, massacres... Les nouvelles qui nous arrivent régulièrement des Kurdes sont souvent synonymes de violences et de drames. Ce peuple, écartelé entre plusieurs États, tente depuis près d’un siècle de conserver son identité en luttant avec acharnement contre des gouvernements qui leur dénient leur spécificité. Or les Kurdes possèdent toutes les caractéristiques d’une nation, sans pouvoir disposer d’un État. Les Kurdes sont un peuple d’origine indo-européenne comptant entre 35 et 40 millions de personnes réparties entre la Turquie (près de 20 millions de Kurdes, représentant 24 % de la population totale du pays), l’Iran (environ 7 millions), l’Irak (près de 5 millions, soit 18 % de la population du pays) et la Syrie (environ deux millions de personnes). Il existe également quelques îlots de peuplements kurdes dans plusieurs républiques de l’ex-Union soviétique, comme en Arménie, en Géorgie, en Azerbaïdjan, au Turkménistan, en Kirghizie et au Kazakhstan. Une petite communauté s’est également installée au Liban et au Koweït, sans oublier les quelque 700 000 Kurdes disséminés en Europe occidentale et aux États-Unis. La population kurde est restée relativement concentrée dans le Kurdistan ancestral, à cheval sur quatre frontières. Il s’agit d’une région montagneuse et de hauts plateaux du sud-ouest de l’Asie de près de 530 000 km2. Elle s’étend actuellement du nord-ouest de l’Iran au nord-est de l’Irak jusqu’à l’est de la Turquie, au sud du mont Ararat. La majorité des Kurdes ne parlent que le kurde, une langue de la famille indo-européenne, à l’instar du persan et de l’afghan. Cette langue n’est donc apparentée ni à l’arabe ni au turc. En raison du fractionnement politique des Kurdes, la langue kurde n’est toutefois pas unifiée. Elle est divisée entre plusieurs dialectes dont les plus importants sont le kurmancî et le soranî. En outre, les Kurdes de Géorgie et d’Arménie emploient l’alphabet cyrillique, ceux de Turquie l’alphabet latin, alors que ceux d’Irak, d’Iran et de la Syrie utilisent l’alphabet arabe ou arabo-persan. Les Kurdes sont néanmoins unifiés par la religion étant quasiment tous des musulmans sunnites de l’école chaféite, par opposition aux Arabes et aux Turcs qui suivent en général l’école hanafite. Il existe néanmoins d’autres communautés, yézidie, alévie, et dans une très faible proportion, chiite et chrétienne. Politiquement, leurs revendications d’indépendance ou d’autonomie ont été modelées par l’histoire du Kurdistan et des Kurdes. Ce peuple a commencé à lutter pour avoir sa propre patrie il y a près d’un siècle. En 1920, le traité de Sèvres a prévu la création d’un État kurde indépendant sur les restes de l’Empire ottoman. Mais quelques années plus tard, en 1923, le traité de Lausanne divise le Moyen-Orient en plusieurs pays qui ne prennent pas en compte les aspirations des Kurdes à avoir leur propre État. Les populations kurdes ne tarderont pas à se révolter contre la nouvelle domination européenne. La première vague de répression sera décidée en 1925 par Winston Churchill, alors secrétaire à la Guerre au Royaume-Uni qui fera raser par la Royal Air Force plusieurs villages et villes kurdes, notamment Soulaymaniya. Par la suite, tous les États comprenant une importante minorité de Kurdes se sont violemment opposés à la création d’un État kurde indépendant, craignant l’abandon d’une partie de leur territoire national. Face à la répression des régimes irakien, turc et syrien, et à défaut d’options politiques et diplomatiques, les Kurdes se sont lancés dans une lutte farouche, souvent avec brutalité, pour conserver leur identité, leur langue et leur culture qui furent prohibées dans certains pays comme la Turquie où même les noms de familles kurdes ont été interdits. Face à la succession des révoltes kurdes, en 1925, 1930, et 1937, l’Iran, la Turquie, l’Irak et l’Afghanistan signent un accord en juillet 1937 pour lutter contre la rébellion kurde accusée de séparatisme. Le dernier soulèvement contre Ankara, qui débuta en 1984, est le fait du Parti des travailleurs de Kurdistan (PKK) et se poursuit, jusqu’à aujourd’hui, de manière sporadique, malgré l’arrestation et la condamnation à mort du chef charismatique du PKK Abdullah Öcalan, en 1999. Face à cette guérilla, l’armée turque a procédé à l’expulsion de milliers de Kurdes de leurs villages qui ont été complètement rasés, alors que des milliers de militants ont été jetés en prison. L’armée turque a également poursuivi les rebelles du PKK jusqu’en Irak, lors de plusieurs incursions destinées à frapper les bases du mouvement kurdes dans le nord du pays. En Irak, les Kurdes ont été victimes de massacres et de crimes de masse surtout sous le régime de Saddam Hussein comme ce fut le cas après l’accord d’Alger entre l’Iran et l’Irak en 1975 et à la fin des années 80, quand le régime baassiste utilisa des armes chimiques contre la ville de Halabja, tuant des dizaines de milliers de Kurdes et expulsant des milliers d’autres. Malgré cette répression sanguinaire, il convient de noter que c’est dans le même Irak de Saddam Hussein que la région autonome du Kurdistan a vu le jour, alors que la langue kurde et la nation kurde ont été officiellement reconnues par les autorités de Bagdad, malgré une politique d’arabisation forcée pratiquée dans certaines parties du nord de l’Irak. Par ailleurs, des affrontements ont également eu lieu entre l’armée syrienne et la population kurde qui fut durement réprimée en 2004 et 2005. Côté iranien, la répression lancée par les autorités est relativement moins importante que celle pratiquée par la Turquie et l’Irak du temps de Saddam Hussein. Toutefois, l’armée surveille étroitement les Kurdes et des incursions ont également lieu au Kurdistan irakien afin de pourchasser les séparatistes qui furent largement manipulés de part et d’autre de la frontière pour satisfaire les intérêts de Bagdad et de Téhéran. Les Kurdes furent en effet à plusieurs reprises le jouet des politiques étrangères des acteurs régionaux et internationaux qui ont alimenté des changements d’alliances opportunistes, selon la politique « appuie les Kurdes chez ton voisin pour couvrir les répressions des Kurdes sur ton propre territoire ». Non seulement elles ont ruiné l’unité du peuple kurde, mais ont conduit aussi à une rivalité meurtrière entre les différents mouvements kurdes à l’instar des conflits qui ont eu lieu entre les clans Barzani et Talabani en Irak. Seule expérience réussie, la création de la région autonome kurde et la participation pleine et entière des Kurdes dans la vie politique irakienne après la chute de Saddam Hussein. Une expérience considérée d’un mauvais œil par les voisins de l’Irak qui y voient un potentiel catalyseur de revendications plus fortes de la part des Kurdes pour un État indépendant riche en matières premières et en pétrole. Malgré toute cette souffrance et toute cette oppression, le nationalisme kurde reste vivace, et les Kurdes pleins d’espoir de voir un jour leur rêve d’un Kurdistan libre et indépendant se concrétiser, comme nous le rappellent ces vers d’un poète inconnu : « Mourir pour toi, Kurdistan, rien de plus beau. Être maître chez soi et fièrement chanter en kurde, Dans la flamme de nos armes célébrant la gloire De notre race millénaire, de notre terre chérie. Être libre, aimer, croire et mourir. Interroge cette fontaine, elle te dira Que, dans son murmure, il y a mille soupirs, Mille larmes, mille révoltes et mille espérances ! »
Insurrections, répressions, rébellions, massacres... Les nouvelles qui nous arrivent régulièrement des Kurdes sont souvent synonymes de violences et de drames. Ce peuple, écartelé entre plusieurs États, tente depuis près d’un siècle de conserver son identité en luttant avec acharnement contre des gouvernements qui leur dénient leur spécificité. Or les Kurdes possèdent...