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Actualités - OPINION

Réflexions sur le salafisme(1) : le cas des camps palestiniens au Liban

L’apparition du mouvement Fateh el-Islam et son installation dans le camp palestinien stratégique de Nahr el-Bared au détriment du mouvement Fateh-Intifada pose plusieurs questions sur le développement d’une mouvance salafiste dans les camps de réfugiés ainsi que l’hypothèse d’une présence massive d’el-Qaëda. L’une des questions sur ce mouvement est sa relation avec les services secrets syriens toujours actifs dans le pays du Cèdre malgré le retrait de Damas en 2005, ou son instrumentalisation par des services sécuritaires américains et saoudiens, comme l’a souligné Seymour Hersh(2) du journal américain The New Yorker, une thèse qui a acquis une certaine crédibilité dans certains médias arabes sans toutefois devenir fiable. De plus, l’attentat contre le contingent espagnol de la Finul au Liban-Sud a relancé la polémique sur la présence accrue des groupes salafistes au Liban, notamment dans des zones relativement de non-droit comme les camps de réfugiés palestiniens. Après l’épilogue de l’affaire du camp de Nahr el-Bared et la victoire de l’armée libanaise, plusieurs questions restent en suspens sur la mouvance salafiste au Liban. Une analyse systémique des camps et de leur environnement est nécessaire pour comprendre la situation actuelle et, par voie de conséquence, entrevoir les perspectives d’avenir du Liban. Plusieurs réflexions peuvent être émises sur le développement des mouvements salafistes dans les camps palestiniens au Liban : La perte de légitimité du mouvement Fateh serait à la base du développement du fondamentalisme dans les camps de réfugiés au Liban La plupart des mouvements jihadistes sont issues du mouvement Fateh, lequel, avant la victoire du Hamas en janvier 2006, dominait la scène palestinienne dans les camps de réfugiés ainsi que dans les territoires occupés. En effet, le mouvement Fateh el-Islam est issu d’une scission du Fateh-Intifada, lui-même issu du Fateh. Ce phénomène rappelle la scission du mouvement Armée de l’islam de la Résistance populaire, elle-même issue du mouvement Fateh. La plupart de ces groupes adoptent une idéologie similaire à celle d’el-Qaëda. C’est le cas de l’Armée de l’islam qui a annoncé sa responsabilité dans l’assassinat de plusieurs personnalités politiques palestiniennes. D’un autre côté, il existe certaines divergences entre ces mouvements et el-Qaëda, dont la plus notable était le refus de tuer le soldat israélien capturé Gilad Shalit pour des raisons théologiques en contradiction totale avec les méthodes de l’organisation terroriste(3). Quoi qu’il en soit, le lien entre ces mouvements et el-Qaëda reste à établir. Certains observateurs considèrent que pour des raisons techniques, ces mouvements optent pour une séparation relative avec la nébuleuse, sans pour autant être totalement indépendant. En général, la prolifération de ce genre de mouvements montre bien l’instabilité chronique qui frappe autant la classe politique que la population palestiniennes. L’échec du projet nationaliste du Fateh et les difficultés du Hamas à imposer un islam pragmatique ouvrent la voie à toutes les options extrémistes. D’autant plus que cet extrémisme est facilité par la précarité des conditions d’existence de la population, la persistance de l’occupation israélienne et une instrumentalisation par certains services secrets régionaux et internationaux. L’environnement socio-économique des camps est propice aux thèses fondamentalistes Le Liban reste un terrain idéal pour la prolifération des milices armées. Dans un pays multiconfessionnel, où chaque communauté, au fil des années de la guerre civile, a développé sa propre milice, la communauté sunnite est restée la plus faible en matière d’armement milicien. Quand les chrétiens se sont tournés vers Israël et le chiites vers l’Iran chiite, les sunnites libanais ont trouvé dans les Palestiniens des frères d’armes, comme l’a souligné le mufti de la République, cheikh Hassan Khaled, qui a déclaré le 19 mai 1989, que « la résistance palestinienne est l’armée des sunnites au Liban. »(4) La polarisation du pays depuis l’assassinat du Premier ministre Rafic Hariri, en février 2005, a accru la tension entre les communautés. Ce manque de confiance entre communautés a suscité un sentiment de suspicion à l’égard des camps de réfugiés où l’on retrouve une foule de problèmes qui vont de la précarité économique au développement d’un islam salafiste, voire terroriste. Les gouvernements libanais successifs ont été plutôt hésitants dans leur gestion de la question des camps. En effet, ces lieux sont des espaces où existent plusieurs centres de décision, allant des factions palestiniennes jusqu’aux services secrets étrangers en passant par les services de sécurité libanais. Un tel milieu est facilement manipulable, et certains croient que le maintien de ces groupes dans une zone limitée est plus gérable que leur dispersion sur le territoire libanais. De plus, les camps palestiniens, à dominance sunnite, présentent, en cas de naturalisation de leurs habitants, le risque d’un déséquilibre démographique. Par conséquent, les groupes qui forment ces camps sont facilement instrumentalisés pour des causes nationalistes, religieuses ou stratégiques. D’un autre côté, malgré la précarité et l’instrumentalisation des Palestiniens du Liban, on observe une certaine neutralité à l’égard de la politique intérieure libanaise de la part des responsables des camps, dont le principal objectif est d’éviter à la population d’être entraînée dans un jeu libanais de plus en plus complexe. La pérennité des mouvements fondamentalistes est assurée par un financement lui permettant une installation durable La principale raison du développement du fondamentalisme réside dans le sous-développement dans lequel vivent les Palestiniens. On peut en voir l’une des raisons dans l’affaiblissement du principal mouvement palestinien, le Fateh. En effet, la principale source financière des familles palestiniennes était l’aide de l’OLP, à travers ce mouvement, qui, jusqu’à la victoire du Hamas, contrôlait les principaux camps. Depuis janvier 2006, on constate l’existence d’une pénurie financière dans les camps, une situation qui avantage des groupes fondamentalistes. Selon plusieurs observateurs, ces groupes disposent de moyens financiers de plus en plus importants et visibles, ce qui pose la question de leur financement, surtout dans le contexte d’une instabilité libanaise et d’un arrêt presque total du paiement des salaires des fonctionnaires de l’autorité palestinienne. De plus, on assiste à des achats de terrains et d’immeubles proches des mosquées. C’est ce qu’a essayé de faire le movuement Fateh el-Islam dans le camp de Nahr el-Bared. D’autres organisations ont eu le même mode opératoire dans d’autres camps, comme le mouvement Osbat el-Ansar au camp de Aïn el-Heloué et Jound el-Cham dans le quartier de Taamir, à Saïda, où l’on parle déjà d’un afflux de combattants de Nahr el-Bared, venus y chercher refuge à la suite de leur éviction par l’armée libanaise(5). Le camp de Aïn el-Heloué, révélateur des limites du salafisme Les réflexions développées ci-dessus prouvent qu’il existe une propagation d’idées fondamentalistes, nourries par un contexte socio-économique instable. Pourtant, la mouvance fondamentaliste souffre de plusieurs handicaps dont le plus marquant est la complexité de la situation sur le terrain et le nombre important d’acteurs régionaux et internationaux. En dépit de leur développement, les groupes fondamentalistes restent minoritaires dans les camps et sans influence notable, malgré la popularité des thèses religieuses véhiculées souvent par ces groupes et qui ont remplacé l’idéologie nationaliste laïque. La seule exception est le camp de Aïn el-Heloué, le plus grand camp de réfugiés, dans lequel le mouvement Osbat el-Ansar a pu modifier les équilibres établis par le mouvement Fateh du temps de Yasser Arafat. Autrefois, il existait dans ce camp une certaine hégémonie du mouvement Fateh, mais les changements observés sur la scène palestinienne et régionale ont bouleversé la donne, provoquant une recomposition des forces, celles-ci, malgré leur diversité, maintiennent une sorte d’un équilibre relatif : – Le premier groupe est lié à Mahmoud Abbas et à l’OLP. Il regroupe les formations suivantes : le Fateh, le Front populaire, le Front démocratique, le Front de libération de la Palestine et le Parti du peuple. – Le deuxième groupe est représenté par les islamistes salafistes du mouvement Isbat el-Ansar, en plus des personnalités islamistes, principalement cheikh Jamal Khattab. – « L’Union des forces palestiniennes » représente le troisième groupe formé de Hamas, du Jihad et des formations proche de la Syrie comme le FPLP-CG (Front populaire de libération de la Palestine – Commandement général) et le Parti communiste révolutionnaire. En plus de ces trois groupes, il existe deux formations qui agissent en dehors de cette structure, et jouent un rôle dans l’équilibre relatif des forces palestiniennes : – La première, Ansar Allah, sous le commandement de Jamal Suleiman. – La deuxième dirigée par le colonel Mounir Makdah qui, malgré son titre honorifique de commandant général du Fateh, dirige un courant connu sous le nom d’Armée populaire. Le discours des principales organisations reste conservateur et ne prend pas en compte des attentes sociales et nationales de la population des camps. Si le discours de ces organisations était basé, jadis, sur la lutte contre l’occupation, et dans une moindre mesure la défense des musulmans et la cause musulmane en Tchétchénie et en Afghanistan, il a pris une tournure fondamentaliste après la guerre d’Irak. Cette déviation idéologique laisse croire à un affaiblissement des formations palestiniennes et par conséquent à une absence de toute perspective de reprise des négociations, l’une des principales occupations de la population des camps palestiniens au Liban. Jamil ABOU ASSI Doctorant à l’Institut d’études européennes Université Paris VIII (1) Idéologie fondamentaliste sunnite revendiquant un retour à l’islam des origines, il provient du mot salaf qui signifie prédécesseur ou ancêtre, et qui désigne les compagnons du prophète Mohammad et les deux générations qui leur succédèrent. (2) « The redirection, is the administration’s new policy benefitting our Enemies in the war on terrorism ? », Seymour M. Hersh, 5 mars 2007. (3) La majorité des informations développées dans cet article ont été reprises d’une étude stratégique élaborée par un centre de recherche jordanien téléchargeable sur le lien : http://www.alqudscenter.org/uploads/SF.4.07.pdf (4) Citation en arabe dans le rapport téléchargeable sur le lien : http://www.alqudscenter.org/uploads/SF.4.07.pdf (5) Voir l’article d’Alain Rodier du Centre français de recherche sur le renseignement : http://www.cf2r.org/fr/article/article-Liban-le-Fateh al-Islam-s-oppose-a-l’armee-libanaise-3-82.php.
L’apparition du mouvement Fateh el-Islam et son installation dans le camp palestinien stratégique de Nahr el-Bared au détriment du mouvement Fateh-Intifada pose plusieurs questions sur le développement d’une mouvance salafiste dans les camps de réfugiés ainsi que l’hypothèse d’une présence massive d’el-Qaëda.
L’une des questions sur ce mouvement est sa relation...