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Actualités - REPORTAGE

II- La gauche libanaise à l’heure du 14 Mars Saoud Mawla : Fateh et le maoïsme, précurseurs de l’intifada de l’indépendance

L’une des caractéristiques les plus passionnantes de l’intifada de l’indépendance est sans nul doute la présence au sein de la vaste coalition du 14 Mars d’anciens dirigeants et intellectuels communistes et gauchistes qui se retrouvent aujourd’hui dans le même camp que des partis et formations jadis qualifiés de « droite » ou de conservateurs, chrétiens de surcroît, tels que, à titre d’exemple, les Forces libanaises, les Kataëb, le PNL ou le Bloc national. Quel est le cheminement idéologique, intellectuel et politique qui a ainsi amené d’anciens responsables et intellectuels de gauche à soutenir un mouvement souverainiste tel que celui du 14 Mars et à mener aujourd’hui le même combat que les adversaires qu’ils combattaient au début de la guerre ? Après les témoignages du député Élias Atallah et de Abbas Beydoun (voir « L’Orient-Le Jour » du 9 octobre), nous passons en revue dans les lignes qui suivent le cheminement suivi par Saoud Mawla. Professeur de sociologie à l’Université libanaise, Saoud Mawla a été membre du Parti communiste libanais (PCL), cofondateur de l’Organisation de l’action communiste au Liban (OACL), cadre du courant maoïste, combattant du Fateh puis cadre du Hezbollah qu’il a quitté pour devenir l’un des plus proches collaborateurs de l’uléma chiite Mohammad Mahdi Chamesseddine. Il explique son soutien actuel à la ligne politique du 14 Mars par son passé maoïste et « fathaoui ». «En tant que maoïstes, nous sanctifions le peuple qui était un absolu sacré, à la fois la source et le destinataire du discours politique. Nous étions tous des étudiants issus de milieux aisés mais nous travaillions dans les usines afin de nous intégrer dans le peuple » affirme Saoud Mawla. Et de préciser néanmoins qu’ « aux côtés de la vision idéaliste, la doctrine maoïste comporte une dimension réaliste dans la mesure où elle appelle à admettre le contexte (géographique, politique et historique) tel quel. Nous nous adressions principalement au peuple libanais, et nous avions une prédisposition à défendre l’indépendance et l’autonomie de ce peuple. Nous étions également sensibles à la question des communautés et des religions, contrairement aux moscovites (les communistes) qui prônaient un athéisme austère et rigoureux. Et cette prédisposition a été renforcée par notre engagement auprès de la résistance palestinienne ». Pour le professeur de sociologie et ses camarades de l’époque, « la Palestine est rapidement devenue la mère de toutes les causes, la porte de tous les rêves ». Saoud Mawla a donc abandonné l’OACL pour rejoindre le Fateh, avant de s’enrôler dans la brigade estudiantine « afin de combattre Israël et se dérober aux combats interlibanais ». « Nous avons cru que le Fateh, qui disposait d’un arsenal impressionnant et qui contrôlait les camps palestiniens, était l’outil idéal pour produire un changement au sein de la société libanaise. Nous avons donc mis de côté notre réalisme maoïste pour plonger dans un monde illusoire où la libération de la Palestine promettait l’avènement de la justice et de l’équité au Liban. Dans ce sens, nous avons été les outils d’un projet qui nous a exploités et qui nous dépassait. » Entre 1975 et 1978, Saoud Mawla s’est battu dans le Sud-Liban, comme combattant de la « brigade estudiantine », fraction maoïste jouissant d’une certaine autonomie au sein du Fateh. La majorité des membres de cette brigade s’est ultérieurement convertie à l’islam politique et a abandonné toute affiliation de gauche. L’ancien résistant souligne que « contrairement aux autres forces progressistes et grâce à notre réalisme maoïste, nous avons coopéré avec l’uléma chiite Moussa Sadr car nous avions perçu l’importance du rôle qu’il jouait dans la région. Et cette coopération gouvernera mon orientation politique ultérieure. L’invasion israélienne de 1978 a marqué un tournant dans notre engagement. En effet, nous avons réalisé que notre enthousiasme démesuré pour libérer la Palestine avait occulté à nos yeux le fait que la population du Sud souffrait des représailles israéliennes, quand bien même les autres fronts arabes étaient complètement silencieux. De plus, le Fateh cherchait simplement à édifier un État palestinien souverain, ne serait-ce que sur la bande de Gaza et en Cisjordanie, alors que nous autres de la brigade estudiantine aspirions à créer une union d’États arabes progressistes, grâce à la libération de la Palestine ! ». Ironiquement, le patriotisme intransigeant du Fateh, « qui est entré en confrontation directe avec le régime baasiste pour préserver l’autonomie de la décision nationale palestinienne », a ébranlé les convictions politiques de Saoud Mawla et de ses camarades dans les esprits desquels se cristallise une forme d’appartenance libanaise. « La montée de l’islam nationaliste avec l’uléma Moussa Sadr et avec l’imam Khomeyni, sur le plan régional, a été un autre catalyseur de notre prise de conscience patriotique libanaise », affirme l’académicien qui rompt radicalement avec le parti de Yasser Arafat en 1978. La majorité des combattants chiites de la brigade estudiantine s’oriente alors vers l’islam politique qui commençait à s’imposer sur la scène publique libanaise, alors que Saoud Mawla abandonne tout engagement politique durant la période s’étalant de la disparition de Moussa Sadr à l’invasion israélienne de 1982. Pour le professeur Mawla, « après l’assassinat de Kamal Joumblatt, les partis de gauche se sont défaits de leurs projets progressistes pour s’inféoder à Damas ou se soumettre aux différentes factions palestiniennes ». « Toujours dans la perspective du réalisme maoïste », Saoud Mawla rejoint en 1986 le Hezbollah, « qui était à l’époque une nébuleuse articulée autour du thème de la résistance ». « Mais cette résistance revendique progressivement une identité exclusivement chiite » à laquelle se soumettent les anciens maoïstes, « toujours menés par l’élan de leur penchant au militantisme. Et une internationale islamiste se substitue à l’internationalisme gauchisant ». « Nous avons certes adopté l’identité chiite, mais nous avons vite découvert les contradictions de cette identité qui mènent inéluctablement le chiisme politique, tel que le Hezbollah le concevait et le conçoit encore, vers une tendance au fascisme », affirme Saoud Mawla. Et de noter que « le chiisme politique ne peut que se retrouver prisonnier de la même impasse que le maronitisme politique, naguère dénigré par la gauche. Et nous avons compris qu’une sorte d’internationalisme sur le modèle soviétique se cachait sous les accoutrements de la Wilayet el- fakih ». Pendant cette même période, l’ancien militant de gauche commence à assister en tant qu’intellectuel à des rencontres islamo-chrétiennes à l’étranger. « Ces rencontres ravivent en (lui) les souvenirs de l’époque de la coopération avec Moussa Sadr. Il quitte « le Hezbollah, qui s’était engagé dans des batailles interchiites qui ont coûté la vie à plus de 2000 personnes », pour rejoindre l’uléma Mohammad Mahdi Chamseddine. Saoud Mawla se « forge alors une identité libanaise, à laquelle se greffe l’antibaassisme lié à l’héritage maoïste et fathaoui », grâce auquel il avait « compris dès 1988 que la majorité des conflits au Liban n’était due à rien d’autre qu’aux tentatives du Baas (syrien) de consacrer son emprise sur le pays ». L’ancien militant est alors officiellement mandaté par l’uléma Chamseddine pour représenter la communauté chiite au sein des rencontres islamo-chrétiennes. Mais la lutte contre l’occupation baassiste syrienne reste le principal point de l’agenda du collaborateur du président du Conseil supérieur chiite. « Quelques heures après l’attentat qui a visé l’église Saydet el-Najate (de Zouk Mikhaël), l’imam Chamseddine et moi-même avons rencontré le patriarche (maronite) Nasrallah Sfeir », se souvient Saoud Mawla. Et d’ajouter que « l’imam s’était adressé à Sa Béatitude pour lui dire qu’un jour, il suffira de souffler sur la coquille vide de la tutelle, et la tutelle disparaîtra. Mais aujourd’hui, il faut réunir les conditions objectives » de l’indépendance. « Mais à l’époque, il n’y avait pas dans les années 1990 d’alternative chrétienne sérieuse et efficace qui aurait permis d’astreindre le régime syrien à se retirer du Liban. Et à l’exception de quelques élites, la rue musulmane était toujours enchaînée par cette chimérique idéologique qu’est le militantisme donquichottien d’un nationalisme obsolète. L’intifada de l’indépendance a constitué le couronnement d’une dynamique latente au sein de la société libanaise qui s’est étendue sur plus de 15 ans et elle est aussi le couronnement de l’accumulation laborieuse d’une lutte intellectuelle, syndicale, estudiantine, populaire, politique, économique et sociale. Et cette lutte ne peut être résumée à celle d’un seul homme ou d’un seul parti », affirme un Saoud Mawla qui a enfin retrouvé ses chemins de Beyrouth et qui ne manque pas de scander une énième fois en direction du Damas le fameux slogan du Fateh : « Ni tutelle ni endiguement ». Hikmat Eid et l’intifada de l’indépendance Le 14 Mars est redevable de l’expression désormais consacrée d’ « intifada de l’indépendance » à l’ancien cadre de l’OACL et actuel vice-président du mouvement de la Gauche démocratique, l’avocat Hikmat Eid. Au lendemain de l’assassinat de Rafic Hariri, « le camarade Hikmat » propose à l’opposition plurielle de l’époque d’employer le terme « intifada » afin d’établir un lien entre les manifestations libanaises et les légendaires soulèvements du peuple palestinien face à l’occupation israélienne. Il s’agit de réaffirmer l’arabité de ce qui deviendra le 14 Mars, face aux accusations de félonie et d’inféodation à l’Occident adressées au front souverainiste par ses détracteurs, et d’insister sur le caractère pacifique du soulèvement populaire libanais. La proposition de Hikmat Eid est retenue, et quelques heures plus tard, en ce fameux 18 février 2005, le député Samir Frangié proclame l’avènement de cette inoubliable intifada de l’indépendance qui a marqué à jamais l’histoire du Liban moderne. « Jammoul » et les caciques de Damas « Jammoul » est l’acronyme arabe du Front de la résistance nationale libanaise (FRNL), formation laïque créée en 1982 par des partisans d’une multitude de partis progressistes pour affronter l’occupation israélienne. Des cadres du Front se souviennent que l’ancien commandant des troupes syriennes au Liban, Ghazi Kanaan, avait demandé à l’ancien secrétaire général du PCL, Georges Haoui, de notifier les SR syriens « avant de mener la moindre opération militaire contre l’armée israélienne sur le territoire libanais ». « Intransigeants, Haoui et ses collaborateurs indiquent à l’officier baassiste que même les hautes instances de la Résistance ne sont pas informées des détails des embuscades tendues aux soldats israéliens. » Les anciens cadres du FRNL affirment que face à cette réponse, Ghazi Kanaan, « hors de lui », met fin alors à son entretien avec les dirigeants communistes. C’est le début d’une campagne d’assassinats qui visent une multitude de personnalités progressistes, et notamment des intellectuels comme Souheil Tawili, Hussein Mroué, Hassan Hamdan, Khalil Naous, etc. « Pour l’anecdote, raconte un ancien résistant laïc, lors des obsèques d’un de nos intellectuels victime d’un attentat, un officier syrien dit à un dirigeant communiste, en lui serrant la main : “Est-ce qu’il était indispensable que ton ami écrive cet article ?”, en allusion à un article qui avait implicitement critiqué la politique syrienne au Liban. » Les anciens résistants de gauche affirment qu’ils devaient « échapper aux traquenards des troupes syriennes, des factions palestiniennes qui tournent dans l’orbite de Damas, du mouvement Amal et de l’Armée du Liban-Sud, avant de pouvoir combattre les soldats israéliens ». Nombre de militants sont alors « fauchés par les balles frères. Le FRNL se désagrège petit à petit, et Damas accorde la franchise de la résistance au Liban aux formations chiites » Mahmoud Harb
L’une des caractéristiques les plus passionnantes de l’intifada de l’indépendance est sans nul doute la présence au sein de la vaste coalition du 14 Mars d’anciens dirigeants et intellectuels communistes et gauchistes qui se retrouvent aujourd’hui dans le même camp que des partis et formations jadis qualifiés de « droite » ou de conservateurs, chrétiens de surcroît,...