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Une étude restreinte souligne l’importance qu’accordent des universitaires à la virginité jusqu’au mariage Marie-Thérèse Khair Badawi : Une manière de « sauver sa peau », mais aussi un triomphe sur le pouvoir de l’homme

«On peut répartir les femmes en deux catégories. Celles avec qui on sort, et celles avec qui on se marie. » Que de fois n’avez-vous pas entendu cette phrase, qui résume toute une mentalité traditionnelle qui continue d’accorder une extrême importance à la virginité de la femme jusqu’à la nuit de noces ? « Le tabou de la virginité n’est pas propre à une classe sociale déterminée, mais à une mentalité traditionnelle qui prévaut toujours, même dans certaines sociétés occidentales, et qui veut que la jeune fille reste “intacte” jusqu’au mariage », explique le Pr Marie-Thérèse Khair Badawi, professeure à l’Université Saint-Joseph, psychologue clinicienne et psychanalyste. « Chaque société transmet par l’intermédiaire de l’éducation (famille, école, religion…) des valeurs et des interdits qui sont intériorisés par chacun d’entre nous, principalement dans le domaine de la sexualité, laquelle est, pour diverses raisons, taboue en soi, poursuit-elle. Or la sexualité est un désir. Et le désir s’exprime malgré les interdits, voire grâce aux interdits, qu’on nous a inculqués et que nous avons intériorisés. Donc, arrivera le moment où l’on va transgresser les interdits ou parfois les contourner. Dans le cas de la virginité, les jeunes filles vont donc recourir à des pratiques sexuelles susceptibles de préserver l’hymen et qui vont du flirt léger au flirt poussé, en passant par la pénétration anale, assez fréquente par ailleurs. » Tout est donc permis, à condition de préserver « l’hymen sacré ». D’autres filles vont, au contraire, vivre leur sexualité, faisant fi de la mentalité ambiante… jusqu’au jour J. « Dans le cadre de notre travail clinique et des recherches effectuées dans ce domaine, nous remarquons que ces jeunes femmes finissent par épouser l’homme avec qui elles ont perdu leur virginité, constate Marie-Thérèse Khair Badawi. Le problème se pose lorsque ces jeunes filles rompent avec leur compagnon et deviennent convaincues de l’importance de retrouver leur virginité. » En effet, la majorité de ces jeunes femmes refont leur vie et, pour leur « malchance », tombent souvent sur des hommes qui exigent encore la virginité pour la nuit de noces. « C’est à ce moment-là que se pose le problème, indique-t-elle. Ces filles, qui ont intériorisé les interdits et qui les ont transgressés, adoptent de nouveau les valeurs qu’elles ont enfreintes au départ. C’est ce qu’on appelle le surmoi culturel. Il existe donc un conflit entre le surmoi culturel véhiculé par l’homme qui exige la virginité, et le surmoi individuel, soit les interdits qu’elles se sont autorisées à transgresser. » Devant un tel conflit, certaines jeunes femmes optent pour l’hyménoplastie. « Je ne peux pas risquer de perdre un mari », avouent-elles. Et pour cause, « parce que, quoi qu’on en dise, jusqu’à nos jours, toute l’éducation de la jeune fille l’oriente vers le mariage ». Surmoi culturel et surmoi individuel Mais n’est-ce pas commencer une nouvelle vie par un mensonge ? « Je ne pense pas que ce jugement soit adéquat pour comprendre ce qui se passe, répond la psychanalyste. Je pense plutôt que ces jeunes filles “sauvent leur peau”, dans le sens où elles doivent réparer “leur virginité” pour garder l’homme qu’elles épousent ou pour éviter la mort, d’autant que dans certaines communautés, les familles exigent encore le fameux drap des nuits de noces taché de sang. À défaut d’une hyménoplastie, ces jeunes femmes ont recours à une multitude d’autres stratagèmes pour faire croire à leur virginité, comme ce mélange que les pharmaciens préparent à base de blanc de baleine, d’acide sulfurique et de colorant rouge, qui a l’apparence du sang et qu’on fait couler sur le drap, à titre d’exemple. Ou encore le morceau de foie de bœuf que certaines filles utilisent pour donner l’impression d’un hymen rompu. » Puisque les femmes, face au pouvoir de l’homme, peuvent exercer à leur tour un contre-pouvoir en donnant l’illusion de leur virginité, où se pose donc le problème ? « Je noterais ici que ce contre-pouvoir semble résider dans la manière dont les femmes manipulent l’autorité que les hommes ont sur leur corps, en l’utilisant soit comme un potentiel d’influence, soit comme un leurre, remarque la psychanalyste. Il ne s’agit pas d’une prise de conscience ou d’une revanche maîtrisée et ciblée, mais plutôt d’un contre-pouvoir indirect, biaisé et inconscient. Il y a certainement la question du pouvoir de l’homme sur le corps et la sexualité de la femme, dont témoignent d’ailleurs les ceintures de chasteté que les guerriers mettaient à leurs femmes. En fait, le corps de la femme fait peur à l’homme. Il l’attire et le terrifie à la fois. Et cela pour différentes raisons, la principale étant le fait que c’est un corps qui porte et accouche des enfants. Et l’homme a toujours voulu avoir un pouvoir de contrôle sur ce corps inquiétant, l’exigence de la virginité jusqu’au mariage étant un de ces moyens. En exigeant un hymen intact, l’homme pense qu’il est peut-être le premier conquérant du corps de la femme et peut ainsi mieux le contrôler. » « Fétichisation » de l’hymen Poussant plus loin son analyse, Marie-Thérèse Khair Badawi explique que dans les cultures conservatrices et traditionnelles, il y a une « fétichisation » de l’hymen, qui « devient représentatif de l’honneur de toute une famille ». « Mais certaines femmes ne saignent pas lors du premier rapport sexuel, indique-t-elle. Ce qui cause des conflits pouvant aller jusqu’au divorce ou jusqu’au crime d’honneur dans certaines communautés. Certains exigent des expertises et se tournent vers des spécialistes pour élucider le mystère, c’est-à-dire pour savoir si l’hymen est élastique ou si la femme a déjà eu des rapports sexuels. Mais la question qui se pose à ce stade est celle de savoir ce qui reste de la relation du couple ! En effet, certains médecins rédigent, par sympathie et humanisme, des rapports de virginité. Que reste-t-il donc comme moyens de contrôle à l’homme ? Il existe même des hommes qui évoluent, qui vivent à l’étranger et qui, une fois rentrés au pays, exigent la virginité de leur future épouse ! » « De plus, ajoute la psychanalyste, au Liban on est très déboussolé par ce qu’on voit, et qui ne correspond pas tout à fait à la réalité. En effet, le paraître est une des caractéristiques de notre pays. Les femmes se promènent à moitié nues affichant ainsi une apparence de libération ! Mais souvent, elles donnent à voir sans pour autant consommer leurs relations. Certaines toutefois consomment à moitié, ou vivent pleinement leur sexualité. En fait, j’ai mené une étude restreinte, il y a plus de vingt ans, sur la sexualité des femmes au Liban, qui avait montré que près de 50 % des femmes célibataires vivaient leur sexualité. Il y a près de quatre ans, nous avons, avec Brigitte Khoury, refait la même étude auprès d’un groupe d’étudiants à l’Université américaine de Beyrouth et à l’Université Saint-Joseph. Les résultats n’ont pas été publiés, mais ils sont similaires à ceux obtenus dans le cadre de la première recherche. Jusqu’à présent, il y a des hommes pour qui la virginité est une des principales conditions du mariage. Il y a une apparence, un vernis, qui nous fait penser que les choses ont changé. Mais le tabou de la virginité est toujours en vigueur. D’ailleurs, ce n’est pas seulement la virginité qui est taboue, mais tout le corps de la femme, comme l’a si bien dit Sigmund Freud. » Et Marie-Thérèse Khair Badawi de conclure : « Quelque part, les femmes peuvent vivre l’hyménoplastie comme un triomphe sur le pouvoir de l’homme. C’est une forme de défi qu’elles leur lancent. Mais au-delà de cette pratique, c’est à la relation du couple qu’il faudrait penser. C’est toute la question de la relation entre l’homme et la femme qui est posée ici. La virginité ne doit en effet concerner que la femme elle-même. Elle est, dans la société traditionnelle, une propriété de la famille et de la communauté, et le symbole de l’honneur. Et c’est là tout le problème que pose cette confusion entre le public et le privé. »
«On peut répartir les femmes en deux catégories. Celles avec qui on sort, et celles avec qui on se marie. » Que de fois n’avez-vous pas entendu cette phrase, qui résume toute une mentalité traditionnelle qui continue d’accorder une extrême importance à la virginité de la femme jusqu’à la nuit de noces ?
« Le tabou de la virginité n’est pas propre à une classe...