La Première Guerre mondiale arrêta ce mouvement d'ouverture et encouragea l'adoption de mesures protectionnistes. Les effets de cette politique furent si désastreux que les alliés décidèrent, après la Seconde Guerre mondiale, de mettre en place sur le plan international un système de stabilité monétaire (Accords de Bretton Woods, 1944) et de libre-échange (General Agreement on Tariffs and Trade, 1947). Ces efforts permirent la réémergence progressive d'une économie transfrontalière limitant les entraves aux échanges.
Le mouvement de décloisonnement des marchés qui en résulte laisse penser aujourd'hui que les entreprises n'ont jamais été aussi libres d'œuvrer à l'échelle mondiale. En effet, depuis le milieu du XXe siècle, le rythme de circulation hors frontières des marchandises s'accélère. Par exemple, en 2004, 28 % du produit intérieur brut mondial était concerné par l'échange international, contre seulement 8 % en 1950. Le nombre de secteurs concernés par les échanges internationaux augmente et l'importance des opérations menées à l'étranger ne cesse de croître au sein des entreprises. Ce contexte, associé à l'émergence de la société d'information, donne le sentiment que la liberté géographique, stratégique et opérationnelle des acteurs est particulièrement forte. Sans être erronée, cette perception doit être relativisée car la globalisation, en imposant certains modes de fonctionnement (spécialisation, externalisation, délocalisation...), invite les acteurs à se soumettre à sa dynamique.
Si la liberté de déplacement et d'action des entreprises est confirmée, les contraintes que l'intégration des économies fait naître sont profondes (recherche de synergies externes, besoin d'acquérir une taille critique, partage de savoir-faire...). En redéfinissant le champ de travail et les modes de gestion des entreprises, ce mouvement relativise la notion d'autonomie managériale. Les firmes, pour gagner en efficience à l'échelle locale et globale, pour faire face à la concurrence nationale et internationale, pour répondre aux attentes ethnocentrées et géocentrées des prospects, sont ainsi progressivement invitées à s'organiser en nœud de contrats (coentreprises, cobranding, concessions de brevet, licences industrielles, franchises commerciales...). De cette dynamique naît une dialectique paradoxale : l'élimination progressive des frontières commerciales des pays provoque l'élimination progressive des frontières physiques et juridiques des entreprises.
Le fait que les entreprises doivent accepter de renoncer partiellement à leur indépendance pour faire face aux pressions d'une concurrence qui s'internationalise ne peut que contribuer à la diffusion rapide et étendue des turbulences conjoncturelles. Les entreprises s'internationalisent pour se développer ou se renforcer ; parallèlement, elles se fragilisent en étant plus exposées aux crises internationales.
*Maître de conférences à l'Université de Poitiers, enseignant à l'ESA.