Rechercher
Rechercher

Actualités

Les commandos de l’armée acclamés à leur retour de Nahr el-Bared Épuisés mais fiers, les soldats ont fait vibrer le cœur des Libanais

On aurait dit que le Liban est condamné à l’alternance entre le deuil et la renaissance, entre la défaite et la victoire. À la manière d’une fatalité, les circonstances malheureuses viennent précéder presque inéluctablement une conclusion heureuse, comme pour rappeler aux Libanais que le pays du Cèdre ne peut succomber, même après les épreuves les plus dures. Hier, le tour était au triomphe majestueux de l’armée libanaise à Nahr el-Bared, survenu après trois mois de batailles infernales qui ont épuisé les soldats, sans pour autant miner leur moral. Une journée historique que les citoyens ont célébrée à l’unisson, après avoir ressorti de leurs placards les drapeaux libanais et partisans. Dans une liesse populaire qui rappelait drôlement, en apparence du moins, la révolution de l’indépendance du 14 Mars, les gens ont réinvesti les rues, se dirigeant vers les points de ralliement qui les menaient à l’autoroute principale où devaient défiler les héros d’une bataille qui aura trop duré. La victoire de l’armée devait d’autant plus être savourée par les soldats que les combats acharnés menés contre les miliciens de Fateh el-Islam leur ont coûté un lourd tribut en termes de tués et de blessés. Un prix que la troupe a tenu à rappeler hier lors d’une spectaculaire parade au cours de laquelle les photos des soldats tués figuraient en premier plan sur chaque véhicule du convoi. Quelques drapeaux libanais qui flottaient sur les chars encore poussiéreux portaient les marques de sang desséchées des blessés et des martyrs, histoire de rappeler l’ampleur des sacrifices. Peu avant 14h, une cinquantaine de véhicules de l’armée ayant participé aux combats ont commencé à quitter les lieux. Des hommes, des femmes et des enfants brandissaient des drapeaux libanais et dansaient la traditionnelle dabké, tandis que des dizaines d’habitants de Nahr el-Bared, chassés par les combats, se joignaient aux célébrations, agitant des drapeaux palestiniens. « Je suis venu avec ma femme et mes enfants pour célébrer la victoire de l’armée », explique Abdel Nasser al-Dannoun, 55 ans. « Mon frère a participé aux combats et, Dieu merci, il est sain et sauf. Que les morts reposent en paix ! » Les enfants et les jeunes filles montaient sur les chars pour embrasser les soldats, et les femmes leur distribuaient des friandises, des fleurs et de l’eau. Baignés par une pluie de riz, les soldats tiraient en l’air et dansaient sur leurs véhicules en brandissant leur fusil et en faisant le « V » de la victoire. Sur la place du Chirah, à Tripoli, les feux d’artifice ont commencé à fuser bien avant l’arrivée de la troupe et les chansons patriotiques ont donné le ton. Sous un soleil de plomb, les véhicules militaires ont commencé à avancer vers la place, où ils ont été acclamés par une foule en délire. Les larmes aux yeux, Houssam, dont les deux frères ont combattu dans les rangs de l’armée, ne peut s’empêcher de penser à ceux qui sont morts au champ d’honneur. « Je suis triste pour tous ceux qui ne sont plus là pour célébrer cette victoire avec nous. Ils sont tous mes frères », dit-il. Dévorant des yeux les forces spéciales hissées sur le dos des tanks, les plus jeunes rêvent de rejoindre les rangs de l’armée, dans l’espoir de pouvoir partager un jour un tel moment de gloire. « Je ne crois plus aux partis encore moins aux hommes politiques. Ce sont eux qui nous divisent », affirme Hassan, 20 ans, qui soutient que seule l’armée incarne désormais ses aspirations. Parallèlement à leur allégeance haririenne, les Tripolitains ne peuvent s’empêcher de se laisser emporter par un sentiment patriotique, « qui est plus fort que tout », comme le souligne Ahmad, 19 ans, qui se plaint des rares photos de Rafic Hariri brandies ici et là. « L’hommage est aujourd’hui à la seule armée libanaise et à son chef », dit-il. Dans la capitale du Nord, dont plusieurs martyrs de l’armée sont originaires, on reste convaincu que c’est la Syrie qui est derrière le phénomène de Fateh el-Islam. « Aujourd’hui, nous célébrons l’indépendance véritable du Liban, affirme Hassan. Le triomphe de l’armée n’est autre qu’une mise en échec du plan syrien exécuté par les islamistes de Nahr el-Bared », dit-il. À Qalamoun, où les premiers soldats ont été massacrés de manière lâche par les islamistes, l’accueil du convoi se voulait d’autant plus exceptionnel que la ville a perdu un de ses fils, Ramy Hamzé, assassiné avec ses trois autres compagnons d’armes. Survolant le convoi, les hélicoptères de l’armée ont participé à la fête à quelques mètres d’altitude, tout en gardant un œil vigilant sur le déroulement de la célébration. Dans les régions chrétiennes, le sentiment patriotique n’a pas réussi à faire fusionner les drapeaux partisans. Mobilisés en rangs serrés de part et d’autre de l’autoroute, les partisans des FL et du CPL ont acclamé les soldats de l’armée avec autant de ferveur, dans un face-à-face qui n’a pas manqué d’inspirer certaines remarques : « Quel pays ! s’exclame un quadragénaire. Comment peut-on partager une joie commune en se haïssant d’un trottoir à l’autre ? » À Jbeil, ville natale du général Michel Sleimane, des centaines de civils ont rendu un hommage au commandant en chef de l’armée, digne de la victoire que ses troupes ont marquée. Derrière un immense portrait du général bordant l’autoroute, les chants patriotiques fusaient à partir d’une tribune installée pour l’occasion. De Nahr el-Bared à Batroun, le convoi s’est arrêté près de 15 fois au moins, mettant plusieurs heures pour se frayer un chemin dans la foule. Épuisés mais heureux, et surtout fiers comme on ne peut l’être, les soldats auront réussi, outre leur victoire militaire, un exploit gigantesque : la réunification des Libanais sous les couleurs de l’armée. Jeanine JALKH

On aurait dit que le Liban est condamné à l’alternance entre le deuil et la renaissance, entre la défaite et la victoire. À la manière d’une fatalité, les circonstances malheureuses viennent précéder presque inéluctablement une conclusion heureuse, comme pour rappeler aux Libanais que le pays du Cèdre ne peut succomber, même après les épreuves les plus dures.
Hier, le tour...