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Actualités - OPINION

La situation régionale et l’échéance présidentielle libanaise II - De la nécessité de préserver la continuité constitutionnnelle Fouad KHOURY-HÉLOU

Le statu quo militaire est accompagné d’un statu quo politique. D’abord, depuis l’abandon de facto de la Résistance, le Hezbollah n’est plus que le représentant de la communauté chiite. Il se situe ainsi, au plan des prétentions politiques, au niveau de tous les autres partis libanais qui représentent également une communauté ou une tendance. Et son secrétaire général, Hassan Nasrallah, l’a d’ailleurs clairement reconnu dans un récent discours. Donc, là aussi, égalité entre tout le monde au Liban (voir L’Orient-Le Jour du 23 août 2007). De plus, sunnites et chiites n’osent pas s’affronter ouvertement sur le plan politique, parce que le moindre dérapage pourrait entraîner des débordements dans la rue. La situation est donc bloquée entre ces deux communautés. D’où le rôle crucial joué par les chrétiens du 8 et du 14 Mars, car, depuis le retrait syrien, sunnites et chiites libanais s’opposent par chrétiens interposés. Le Liban a ainsi vécu depuis 2005 au rythme des attaques et des contre-attaques politiques, les chrétiens constituant la « zone tampon » et la « ligne de front » entre sunnites et chiites. Or, la dernière partielle du Metn tenue le 5 août 2007 a changé les donnes en renvoyant dos à dos les chrétiens du 8 et du 14 Mars. C’était le premier vrai test électoral interchrétien depuis 2005. Il s’est terminé par un 50/50 quasi parfait et n’a pas dégagé de large majorité qui puisse désigner clairement un vainqueur. De plus, personne ne veut concéder une défaite, et chaque partie affirme représenter la légitimité politique chrétienne. D’où blocage également chez les chrétiens. Le statu quo est maintenant généralisé. Hautement symbolique, l’élection du Metn a donc achevé d’imposer sur le plan politique une réalité existant déjà sur le terrain : à l’issue de deux ans de rivalités, personne n’est capable d’emporter clairement la décision. Conclusion, il faut trouver un accord. Car l’échéance présidentielle est imminente et, si elle n’est pas respectée, le pays risque le chaos. En effet, depuis la démission des ministres affiliés au 8 Mars, le gouvernement continue de se réunir et de prendre des décisions, qu’une partie du pays conteste. Ce blocage affecte l’Administration, comme le montre la récente polémique sur les nominations au ministère des Affaires étrangères. Or, si ce blocage se poursuit au-delà de la présidentielle et entraîne un vide constitutionnel, avec par exemple la formation de deux gouvernements, certaines institutions, comme l’armée et la BDL, pourraient parfaitement refuser d’obéir à des ordres contradictoires émanant de ces gouvernements, entraînant derrière elles d’autres administrations de l’État. Les prémices d’une telle situation sont déjà visibles. En effet, l’armée libanaise s’est lancée à l’assaut de Nahr el-Bared sans attendre de recevoir d’ordre du gouvernement, refusant de patienter pour que les politiques se mettent d’accord alors que des soldats tombaient. De plus, le commandant en chef de l’armée a mis les politiques au pied du mur, en affirmant publiquement qu’il démissionnerait dans le cas de la formation de deux gouvernements. Ce qui laisse donc supposer que si jamais il revenait sur sa démission, il pourrait parfaitement refuser de recevoir des ordres contradictoires de l’un ou l’autre de ces deux gouvernements (comme Fouad Chéhab en 1958 dans un autre contexte), en leur demandant d’abord de s’entendre. De son côté, l’ambassadeur des États-Unis a lancé un avertissement à peine voilé en direction des forces politiques libanaises en déclarant sa conviction que, dans le cas où deux gouvernements étaient formés, l’armée et la BDL feraient « les bons choix ». Autrement dit, point crucial, l’armée et la BDL feraient leurs choix par elles-mêmes, sans nécessairement tenir compte d’aucun des gouvernements. Ce qui ferait perdre à une bonne partie de la classe politique sa raison d’être. Par ailleurs, les puissances régionales ainsi que la France se mobilisent en vue de l’échéance présidentielle libanaise. Car, pour que ces puissances puissent mettre en place un compromis régional, il faut obligatoirement qu’elles s’entendent aussi sur le Liban, ou du moins qu’elles préservent la continuité de ce pays en attendant un règlement global. Il faut donc empêcher que le Liban n’éclate et que se créent des « cantons » sunnite et chiite qui entreraient en conflit, plongeraient le pays dans le chaos et menaceraient la Syrie et Israël. L’Iran, en particulier, a intérêt à éviter la création d’un « canton chiite » isolé et exposé aux bombardements et aux attaques israéliennes. Surtout que l’expérience similaire du Hamas à Gaza n’est pas un succès : malgré la victoire contre le Fateh, Gaza est coupée du monde et livrée à elle-même. De plus, Israël, anticipant une telle situation au Liban, menace le Hezbollah et la Syrie d’une nouvelle guerre. Ce dont, dans le fond, le parti de Dieu ne veut pas, puisqu’il a accepté un compromis à l’issue de la guerre de juillet 2006 et qu’il s’est retiré du Sud. Certains évoquent ici l’alternative d’un retour en force syrien au Liban. Ce n’est plus possible. Premièrement, Damas affronterait la communauté internationale, qui a pris en charge la surveillance de la frontière libano-syrienne. Deuxièmement, la Syrie affronterait l’Iran lui-même, car, depuis le retrait syrien, l’influence politique de Téhéran s’est renforcée au Liban. Troisièmement, Damas affronterait la communauté sunnite libanaise et donc la majorité sunnite en Syrie. En fait, l’objectif de la Syrie, pouvoir minoritaire, est la survie du régime. Et, pour cela, la priorité est non pas nécessairement de contrôler le Liban, mais d’empêcher qu’il tombe sous la domination d’une seule partie, ou qu’il se scinde en cantons chiite et sunnite qui menaceraient le fragile équilibre en Syrie. Ce que veut Damas, c’est donc que s’établisse au Liban un équilibre qui « neutralise » toutes les forces politiques, comme à l’époque où il occupait ce pays. C’est pourquoi il a également intérêt à un compromis. Conclusion, pour maintenir la stabilité régionale, il faut préserver le Liban et donc la continuité constitutionnelle dans ce pays. Or, la meilleure option reste l’élection d’un nouveau président. En effet, la première alternative, prévue dans la Constitution, serait de remettre le pouvoir à un gouvernement militaire dirigé par le commandant en chef de l’armée. Cette formule risque fort d’être rejetée par l’ensemble de la classe politique, surtout que depuis 2005, se sont développées au sein de l’État des entités sécuritaires puissantes et indépendantes, voire concurrentes de l’armée. Une deuxième possibilité serait de remettre le pouvoir à un cabinet d’union nationale, à titre exceptionnel, en attendant un règlement régional. Mais cette formule est fragile car elle met face à face sunnites et chiites, et marginalise les chrétiens. Au moindre différend entraînant la démission d’au moins un tiers des ministres (et donc du gouvernement entier) et en l’absence d’un président de la République, le pays se retrouverait devant un vide de pouvoir. La troisième alternative, à savoir la formation de deux gouvernements, correspondrait à une partition et à un effondrement du pays. La seule option réellement crédible est l’élection d’un président, avec simultanément la mise sur pied d’un cabinet d’union nationale avec tiers de blocage. Car, il faut le savoir, le Liban n’existe encore dans sa forme actuelle que parce que les chrétiens continuent, à travers la présidence de la République, à constituer un « terrain neutre » où sunnites et chiites puissent se retrouver. Ce qui explique l’insistance générale pour que l’élection se fasse avec un quorum d’au moins deux tiers des députés, c’est-à-dire sur base d’un consensus local et régional. Ce consensus devrait être facilité par le fait que le tribunal spécial pour le Liban, qui était le point de mire de toutes les pressions, a déjà été mis sur pied par la résolution 1757 de l’ONU du 30 mai 2007, sans soulever d’opposition au Liban. Cela nous mène à la « feuille de route » du nouveau président. Elle sera extrêmement difficile et complexe. Premièrement, il devra garder à l’esprit que, depuis la résolution 1559, le Liban relève de « l’intérêt national » américain. Deuxièmement, il devra en permanence tenir compte des intérêts respectifs de l’Arabie saoudite, de l’Iran et d’Israël. Troisièmement, il ne sera pas « l’homme de la Syrie », sans en être un adversaire. Quatrièmement, il devra être à égale distance des sunnites et des chiites, et il devra être consensuel, car le rôle du président chrétien maronite est désormais d’être, non pas arbitre, mais médiateur entre les communautés. Enfin, président d’un pays éclaté, il devra tenir compte de trois institutions essentielles : le tribunal spécial pour le Liban, la Banque du Liban et l’armée libanaise. Ce président aura à faire face à deux dossiers prioritaires. D’abord, le rétablissement des institutions libanaises. Ensuite, la création d’un équilibre politico-confessionnel stable. Aujourd’hui, toutes les communautés libanaises se sentent menacées. Les chrétiens craignent de voir leur poids dans l’État et le Parlement se réduire de 50 % (selon l’accord de Taëf) à 33 %, voire moins. Les sunnites ont peur de la montée chiite. Et les chiites réclament des garanties concernant leur survie politique et leur influence. Les solutions sont dans une nouvelle loi électorale, avec la modification des circonscriptions et l’adoption du scrutin proportionnel permettant une vraie représentativité, ainsi qu’en favorisant les partis multiconfessionnels. Elles sont également dans une décentralisation administrative. Enfin et surtout, elles sont dans une nouvelle éthique du pouvoir. Fouad KHOURY-HÉLOU Économiste (1) Le camp de Nahr el Bared aurait pu en constituer un des piliers. Article paru le vendredi 24 août 2007
Le statu quo militaire est accompagné d’un statu quo politique. D’abord, depuis l’abandon de facto de la Résistance, le Hezbollah n’est plus que le représentant de la communauté chiite. Il se situe ainsi, au plan des prétentions politiques, au niveau de tous les autres partis libanais qui représentent également une communauté ou une tendance. Et son secrétaire général, Hassan...