Actualités - OPINION
LE POINT À l’école d’Erdogan Christian MERVILLE
Par MERVILLE Christian, le 21 août 2007 à 00h00
En auront-ils vu d’autres, les « ikhwane », en près de quatre-vingts ans d’existence… Aussi, la dernière en date des rafles dans leurs rangs (34 dirigeants arrêtés en moins de soixante-douze heures) ne représente-t-elle qu’un simple épisode dans une longue histoire ponctuée d’assassinats, d’incarcérations, de poursuites, mais aussi, on aurait tendance à l’oublier, de spectaculaires autant qu’éphémères lunes de miel. L’important n’est pas tant l’épisode policier lui-même, mais plutôt le moment choisi par le régime pour lancer son opération-coup de poing contre ces islamistes périodiquement accusés de tous les maux dont souffre une société égyptienne minée par ses contradictions internes
Mehdi Akef, le guide suprême de la confrérie, a jugé, un peu vite peut-être, que les interpellations de vendredi dernier dans un appartement du Caire, suivies dimanche de l’arrestation de plusieurs cadres à Alexandrie et dans le gouvernorat de Charkeya, étaient à mettre sur le compte de l’affolement d’un régime « titubant, miné par la corruption », plaçant ainsi toute l’affaire dans un cadre purement égyptien et donc forcément étroit. Il y a de cela, certes. Dans la perspective d’un passage en douceur du relais – à son fils Gamal, selon les indications disponibles à ce jour –, Hosni Moubarak avait décidé de charger une commission parlementaire d’apporter certains amendements à la Constitution. En 2005 déjà, une modification de l’article 76 de la Loi fondamentale avait permis l’instauration du suffrage universel pour l’élection du chef de l’État, une première dans le pays. La mesure avait été jugée insuffisante par l’opposition, qui avait réclamé une limitation des prérogatives et du mandat présidentiels, ainsi que la levée de l’interdit frappant certaines formations politiques, trois grands thèmes dont devait débattre le comité nouvellement créé. Mais dans les premières semaines de l’année en cours, la présidence décidait brutalement d’exclure de cet organisme les Frères musulmans, en dépit du fait qu’ils représentent un cinquième des effectifs de l’Assemblée du peuple, soit 88 députés sur 454. Ils étaient six fois moins nombreux dans la précédente législature et aujourd’hui, la confrérie revendique deux millions de membres inscrits ainsi que le soutien de trois millions de sympathisants. Et nul n’oserait se hasarder à prédire l’importance de leurs effectifs lors de la consultation populaire à venir, encore moins si d’aventure ils allaient jusqu’à présenter un des leurs à la magistrature suprême.
La « longue marche » intégriste, il y a près d’un quart de siècle qu’elle a été entamée par le biais d’une réislamisation par étapes de la société civile, priorité étant donnée aux syndicats. Un exemple de l’intégration réussie dans les différents secteurs de la population ? Le docteur Issam el-Aryane, leader emblématique de la nouvelle génération d’intégristes bon teint et membre d’une des grandes familles du pays, figure parmi les personnes arrêtées en week-end à Guizeh, au domicile de l’industriel Nabil Moqbal, dont la bru est la fille de Adel Imam, une célébrité du monde du spectacle. On comprend mieux, dès lors, la prolifération des voiles au théâtre et à la télévision, après des décennies d’un libéralisme bon enfant sous la royauté, et même du temps de Nasser et de Sadate. Ou encore, dans un tout autre registre, la tactique des Frères qui avaient chargé en décembre les étudiants de l’Université d’el-Azhar d’organiser une démonstration de … karaté, premier témoignage de leur mainmise sur la vénérable institution religieuse, mais aussi de leur importance dans l’univers du sport.
Pour autant, toute cette agitation ne signifie pas que l’on soit au bord de la confrontation. L’actuel guide suprême, Mohammad Mahdi Akef, sait bien que l’heure n’est plus où l’on pouvait abattre un Premier ministre, comme Mahmoud Noqrachi pacha, le 28 décembre 1948, une grave erreur qui avait provoqué deux mois plus tard, en riposte, l’assassinat du fondateur du mouvement, Hassan el-Banna. Ou encore le bras de fer avec Nasser, qui avait débouché sur l’incarcération de 20 000 activistes dont un certain Ayman el-Zawahiri. Plus réalistes, plus habiles, les dirigeants des Frères musulmans veulent éviter un combat dans lequel ils seraient forcément perdants, tant le rapport de force est en leur défaveur, préférant amorcer un virage en douceur, « à la turque ». De son côté, le régime, en choisissant de frapper vite et fort, cherche tout à la fois à impressionner son opinion publique, à freiner la déferlante islamiste, à préparer l’avènement du fils à la place du père, à montrer à une Amérique volontiers donneuse de leçons qu’en terre arabe, la démocratie à l’occidentale n’est pas toujours bénéfique, enfin à prouver par les actes que, bientôt octogénaire, Hosni Moubarak continue de tenir d’une poigne de fer son pays à l’heure où, ailleurs dans la région, plane la menace de bouleversements en profondeur.
En auront-ils vu d’autres, les « ikhwane », en près de quatre-vingts ans d’existence… Aussi, la dernière en date des rafles dans leurs rangs (34 dirigeants arrêtés en moins de soixante-douze heures) ne représente-t-elle qu’un simple épisode dans une longue histoire ponctuée d’assassinats, d’incarcérations, de poursuites, mais aussi, on aurait tendance à l’oublier, de...
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