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Au Liban depuis Tigrane II le Grand…

Au soir de la journée électorale du dimanche 5 août 2007, les téléspectateurs n’en croyaient pas leurs oreilles lorsque le différend entre les deux camps a déraillé à propos de la participation des Arméniens au scrutin. L’atmosphère, déjà très tendue, était devenue si insoutenable que les uns et les autres se retrouvèrent dans l’incapacité de remédier à ce qui venait d’être dit. Le respect qui leur semblait alors utile de déclarer pour la communauté concernée apparaissait du coup comme entaché par une certaine forme de discrimination. Les Arméniens n’ont nullement besoin ni envie de nous voir leur faire part de notre haine ni même de notre amour. Ils ne cherchent pas à être détestés ni appréciés lorsque ce type de sentiment s’adresse à eux en tant qu’Arméniens. Car bien avant d’être cela, ils sont de simples électeurs comme tous les autres. Et M. Pakradounian l’a bien souligné lorsqu’il précisa que sa famille avait été ottomane comme toutes les familles maronites et « roums » du Liban, et qu’elles devinrent libanaises toutes en même temps, par l’application du même décret. D’autre part, ceux qui pensaient faire des compliments aux Arméniens en leur reconnaissant une bonne centaine d’années de présence dans ce pays étaient loin du compte. Tant de choses ont été dites durant cette triste soirée du dimanche… Certains ont exprimé leur xénophobie tandis que d’autres, de bonne foi, s’enferraient encore plus dans l’erreur. Ce soir-là, l’ignorance fut mère de tous les maux. Les Arméniens du Liban ont une longue histoire qui remonte bien plus loin que la Première Guerre mondiale et le terrible génocide qui l’a tant marquée. Leur présence remonte au roi arménien Tigrane II le Grand qui soumit le pays de Phénicie en l’an 95 avant Jésus-Christ, c’est-à-dire plus de sept siècles avant l’arrivée des Arabes. À nouveau au XIVe siècle, avec la chute du royaume de Cilicie, des Arméniens trouvèrent refuge dans les montagnes du Liban, notamment autour de la seigneurie de Buissera, l’actuelle Gebbet Bécharré. Enfin, lorsque le Liban eut droit à son autonomie sous le régime de la « moutassarrifiya », le premier et le dernier des gouverneurs du Liban furent des Arméniens. Garapet Artine Daoud Pacha (1861-1868) et Ovhannes Kouyoumdjian Pacha (1912-1915) gouvernèrent le Liban bien avant les présidents roums orthodoxes du mandat et ceux, syriaques maronites, de l’Indépendance. Lorsque les rescapés de Cilicie arrivèrent au début du XXe siècle, au lendemain du génocide, le Liban n’était pas encore né. Ils participèrent alors à la création de la république. Leurs descendants furent les pionniers du marché international du diamant, faisant de Beyrouth sa capitale mondiale. Ils furent les champions de l’industrie, des arts et même de la folklorique dabké. Durant la guerre civile, ce sont eux qui permirent à l’industrie libanaise de se maintenir et de s’exporter. Dans les années 80, tandis qu’un certain Georges Ibrahim Abdallah incendiait les Champs-Élysées, tandis que nous étions acculés à avoir honte de notre identité libanaise, la diaspora arménienne vola au secours de notre image. Prêtres, « vardapets » et enseignants de la langue arménienne parcouraient tous les pays d’Occident en affirmant leur origine libanaise. Lorsque les médias ne montraient plus du Liban que le terrorisme et les prises d’otages, avait lieu à Paris l’exposition sur les « Derniers rois d’Arménie ». Elle concernait plus précisément la Cilicie, dont la population, le catholicossat, les églises et les écoles se trouvent aujourd’hui au pays du Cèdre. Les plus beaux manuscrits enluminés au Moyen Âge par de grands maîtres tels que Thoros Roseline (miniaturiste du XIIIe siècle) furent exposés avec la mention : Antélias, Liban. À cette époque, ce sont les membres de la diaspora arménienne qui furent les véritables ambassadeurs du Liban. Ils lui consacrèrent des expositions et en firent leur plus haute autorité spirituelle et culturelle. Ils furent sans doute bien plus Libanais que d’autres. Tandis que nous autres maronites, nous nous tournions vers Rome, les Arméniens, eux, se tournaient constamment vers le Liban, vers Antélias et Bzommar, leur Vatican à eux. Pour quelle raison nous faut-il assister tous les sept ans à une remise en question des droits fondamentaux des Libanais de confession arménienne ? Lorsqu’en 1999, le catholicos Aram Ier publiait mon ouvrage La Nouvelle Cilicie – Les Arméniens du Liban, venait de naître une grave polémique au sujet de Anjar. Cette magnifique ville arménienne de la Békaa libanaise, avec son quadrillage urbain des plus intéressants du pays, était brusquement remise en question jusque dans son existence même. Des rumeurs laissaient alors entendre que les propriétaires arméniens n’avaient jamais réglé le prix de leurs terrains. Non seulement ces calomnies étaient infondées, mais de plus ce genre de polémiques ne semblait et ne semble toujours pas se poser en ce qui concerne d’autres communautés libanaises ou même étrangères sur notre sol. Pour ceux qui tentaient d’arracher les racines des habitants de Anjar, nous avions répondu alors par la parution de notre livre. Manouchag Boyadjian fut chargée par le catholicos de superviser l’impression de l’ouvrage. « Il s’agit du seul pays au monde, disait-elle, où je peux vivre pleinement mon arménité sans que cela n’altère ma libanité. Si je restais arménienne et arménophone en France, cela réduirait mon intégration dans la société française. Au Liban au contraire, plus je pratique ma langue arménienne, mes traditions et mes coutumes, plus je me sens libanaise et indissociable de la mosaïque chrétienne orientale du Liban. La langue arménienne est comme le syriaque pour les maronites ; elle est libanaise, elle est dans l’histoire du Liban et dans son âme. » Dimanche soir, des Libanais de langue arménienne furent blessés dans leur citoyenneté. Une leçon est à tirer cependant de cette expérience : il serait temps de mettre un terme aux distinctions officielles entre les différentes confessions de la communauté chrétienne. Devant les bureaux de vote, un sunnite est un sunnite, un chiite est un chiite. Pour quelle raison un chrétien doit-il être syriaque maronite, syriaque orthodoxe, « roum » catholique ou arménien orthodoxe ? Pour l’élection d’un candidat chrétien par des chrétiens, de quel droit nous permettons-nous de savoir quel groupe confessionnel lui a fourni le plus ou le moins de voix ? Est-ce là un système qui permettrait de mieux les contrôler et de mieux dominer l’électorat ? Cette méthode vient-elle ainsi au secours de la politique clientéliste ? Les Arméniens et tous les Libanais ont le droit de voter pour qui ils le désirent et comme ils le désirent, en bloc ou séparément, sans être injuriés. Ils ont droit à un minimum d’anonymat. Il n’est nullement nécessaire de savoir à qui ont été les 300 voix maronites ou « roums » d’un quartier arménien de 10 000 voix. Les résultats détaillés selon les appartenances confessionnelles nuisent indistinctement aux deux partis en compétition. Les uns se voient ainsi retirer leur droit de représentativité sur une partie de l’électorat chrétien, tandis que les autres se retrouvent lancés dans une croisade contre le groupe confessionnel lui ayant échappé. Ce genre de polémiques aurait été tout à fait superflu il y a à peine quelques jours. Mais depuis le sursaut de la soirée électorale de dimanche dernier, nous sommes tout à fait en droit d’exprimer non seulement notre sentiment de désapprobation et de révolte, mais aussi la nécessité de procéder à une modification radicale des lois électorales dans notre pays ou, du moins, au sein de la communauté chrétienne. Amine Jules ISKANDAR Architecte Membre fondateur du Comité de la culture syriaque maronite



Au soir de la journée électorale du dimanche 5 août 2007, les téléspectateurs n’en croyaient pas leurs oreilles lorsque le différend entre les deux camps a déraillé à propos de la participation des Arméniens au scrutin. L’atmosphère, déjà très tendue, était devenue si insoutenable que les uns et les autres se retrouvèrent dans l’incapacité de remédier à...