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Actualités - OPINION

Un dimanche des dupes « L’Orateur sans visage »

Tel est le titre de l’essai de Florence Dupont traitant du masque que les acteurs du théâtre romain portaient lors des représentations. Appelé « persona », le masque romain cachait l’identité de l’acteur afin d’amplifier un caractère ou un comportement du rôle interprété. C’est pourquoi le masque était un porte-voix (« per-sonare ») permettant de répercuter l’écho d’une réalité autre que celle de l’acteur. Duperie ? Non, mais artifice opportun. La règle du jeu était bien connue et le spectateur ne trouvait rien à redire, il savait qu’il était au théâtre et qu’aucune tricherie n’était ourdie contre lui. Friand de spectacles, le spectateur ne demandait pas mieux que de se laisser bercer par le charme de cette fiction et de cette réalité virtuelle. Dimanche 5 août 2007 : journée électorale au Metn-Nord. D’un côté un chef traditionnel luttant pour succéder à son propre fils assassiné par des « ennemis » dont l’identité demeure inconnue à ce jour tant elle se maquille derrière de multiples masques (« personae »). Ceux qui ont accordé leur confiance à cet homme ont voté pour un être de chair et de sang, à l’identité clairement affichée, sujet à la colère et à la douleur comme tout un chacun. Cet être est apparu, à la fois digne et faible, ouvert et irascible, tolérant et excessif, courageux et susceptible, mêlant en lui toutes les contradictions que la chair humaine exprime en chacun de nous. On peut penser qu’il avait le sentiment que ses rivaux profanaient, en quelque sorte, la dépouille de son fils assassiné à l’instar d’insectes nécrophages, ce qui pourrait expliquer sans les excuser certaines paroles excessives qu’il eut en fin de journée. Face à lui, un rival dont l’identité était on ne peut plus problématique. Nul n’a vu ni entendu l’homme qui contestait au père sa place. Qui est-il ? D’où vient-il ? La question n’avait aucune importance. Cet inconnu célèbre avait, comme les acteurs du théâtre romain, accepté d’être un porte-voix, sans nom et sans identité personnelle. Son rôle et sa fonction se limitaient à répercuter l’écho d’une réalité en dehors de lui, en l’occurrence celle de son commanditaire et mentor, le véritable candidat à ces étranges élections et qui a occupé le devant de la scène médiatique avec tous les camaïeux de la couleur orange. D’un côté, une réalité humaine bien charnelle avec ses qualités mais aussi ses défauts. On peut penser ce qu’on veut de l’homme Amine Gemayel, nul ne peut contester qu’il a mené cette bataille en tant qu’Amine Gemayel, père de Pierre Gemayel. Aucune substitution d’identité ne pouvait être soupçonnée. Nous sommes dans le registre de la réalité la plus concrète, fut-elle déplaisante. En face qu’avions-nous ? Une réalité charnelle ? Non, car le candidat rival avait décidé, en toute lucidité, que sa « personne » serait une « persona », un orateur sans visage, un porte-voix répercutant l’écho d’une volonté extérieure à lui, celle du chef du Courant patriotique libre. Je mets dans l’urne le nom de Tanios, mais l’identité Tanios est « virtuellement » celle de Jiryis. Dans cette affaire, le vrai Tanios peut, tout au plus, espérer passer par profits et pertes. Ce tour de passe-passe rappelle étrangement l’univers de Harry Potter. D’un côté le réel, de l’autre le virtuel. Ce ne fut point un affrontement de géants, mais une guerre de virtualités, une guerre d’images, une guerre très moderne. Un des paramètres qui peuvent expliquer la surprenante popularité du CPL, en dépit des thèmes obsessionnels de son discours, est justement celui de sa préférence pour la réalité virtuelle au détriment du réel. Ceci lui permet de proférer les outrances verbales les plus incongrues et de poser les actes les plus contradictoires sans sourciller. Dans l’univers virtuel de Harry Potter, on peut parfaitement participer à des élections décidées par une autorité qu’on déclare inexistante, incompétente, illégale, anticonstitutionnelle, illégitime, etc. Au fond, ce dimanche électoral fut une monumentale journée des dupes où tous les registres étaient mélangés. Lorsque le pas est donné aux chimères, cela signifie qu’on est en train de perdre le contact avec le réel et de se réfugier dans le rêve. Mais les rêves ont une fin. Quelles que soient la qualité du sommeil et la beauté des images oniriques, le monde du rêve a une fin. Est-ce que ce dimanche électoral annonce-t-il la fin du rêve ? Il est permis d’en douter car tous les dés de cette journée étaient pipés. Pr Antoine COURBAN

Tel est le titre de l’essai de Florence Dupont traitant du masque que les acteurs du théâtre romain portaient lors des représentations. Appelé « persona », le masque romain cachait l’identité de l’acteur afin d’amplifier un caractère ou un comportement du rôle interprété. C’est pourquoi le masque était un porte-voix (« per-sonare ») permettant de répercuter...