AU PLAISIR DES MOTS Les bachi-bouzouks du capitaine

Pourquoi pas un petit voyage au pays des insultes, pour changer ? Attention, toutes les insultes ne sont pas toujours offensantes, cela dépend du contexte. Par effet de contagion, un mot anodin inséré au milieu d’une énumération revêt à son tour une connotation outrageante. Le capitaine Haddock est spécialiste de ces bordées d’injures, lâchées comme des boulets de canon. Dans la série « boit-sans-soif, moule-à-gaufres, crétin des Alpes, amphitryon, benêt, nyctalope, anacoluthe », la plupart des mots ne sont pas blessants. L’amphitryon invite à manger, le nyctalope distingue la nuit, l’anacoluthe est une rupture dans la construction d’une phrase. Rien de bien méchant. Si ce n’est qu’avec ces mots guère connus, celui à qui l’offense est destinée se rend compte de sa propre ignorance. Insultant ! De toutes les expressions du complice de Tintin, bachi-bouzouk est la plus répandue. Le bachi-bouzouk est un chevalier appartenant aux troupes irrégulières de l’ancienne armée ottomane. Donc, à première vue, pas particulièrement offensant. Théophile Gautier dans L’Orient (1866) en fait lui une description approfondie et différencie trois sortes de bachi-bouzouks : « Les bachi-bouzouks peuvent se ranger dans trois catégories principales, le bachi-bouzouk  albanais, le bachi-bouzouk nègre de la Haute-Égypte, le bachi-bouzouk kurde, sans préjudice des variétés syriennes. » Ooops… Mais Hergé, lui, a-t-il choisi ce terme car il en connaissait la traduction ? Bachi-bouzouk signifie en langue ottomane « tête cassée ». Une tête fêlée en quelque sorte. La tête de Turc du capitaine Haddock. Maya GHANDOUR HERT