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Actualités - OPINION

Tiers de blocage et pacte national

«L’opposition n’a pas renoncé à son exigence majeure, formulée depuis des mois : avoir au gouvernement le tiers de ”blocage”, qui lui donne le pouvoir discrétionnaire de “bloquer” tout acte gouvernemental » (la presse du 7 juin 2007). Comme tout ce qui se fait au Liban, le bon droit et la bêtise sont liés dans cette affaire scabreuse par des liens aussi étroits que ceux d’un mariage indissoluble. Ce petit défaut afflige tout autant l’opposition que le gouvernement. Il va sans dire que ce qui se passe aujourd’hui est une grande farce qui confirme la thèse que je soutiens. « Quand ils sont pris dans des crises qui les dépassent, les hommes bien se comportent malgré eux comme des singes, tout en se prenant, soit dit en passent, pour des lumières. Leurs diplômes et leurs médailles font foi de leur compétence, mais ces insignes ne sont d’aucune utilité, quand on perd pied dans les sables mouvants de notre bourbier. » Y a-t-il moyen de voir clair dans cette caverne d’Ali Baba qu’est le Liban ? Au risque de paraître tout aussi aberrant que les sommités que je critique, je vais m’aventurer à mettre la main dans ce nid de vipères. Je vais, pour commencer, justifier la demande de l’opposition. En effet, cette dernière ne fait que reprendre, sans en être consciente je suppose, le pacte national de 1943. Je rappelle que ce pacte, qui n’a pas pris de forme écrite et qui est donc resté comme une entente entre deux illettrés qui se contentent d’un engagement bien vague, a pris la forme d’une double négation : les chrétiens s’engageaient à renoncer aux liens qui les rattachaient à l’Occident et les musulmans s’engageaient à en faire autant par rapport aux liens qui les rattachaient à l’Orient. S’il est vrai que deux négations ne suffisent pas pour créer une nation, il n’en demeure pas moins vrai qu’elles peuvent servir à définir on ne peut plus clairement les bornes qu’il ne faut pas transgresser. Le Liban est le lieu où l’Orient et l’Occident se croisent. En lui les deux frères ennemis se rencontrent. Ils y ont chacun des alliés fidèles. Or ces alliances sont d’autant plus dangereuses qu’elles sont inévitables. Nous ne pouvons pas les nier purement et simplement sans nous mentir à nous-mêmes. Ce que Béchara el-Khoury et Riad el-Solh n’ont pas su faire et ce que nous ne savons toujours pas faire, nous autres Libanais, c’est séparer ce que la raison nous dit de séparer, sans pour autant renoncer totalement à leur union au niveau sentimental et prérationnel. Les liens qui unissent les chrétiens à l’Occident n’ont rien de honteux. Ils sont, d’autre part, parfaitement naturels. La même chose s’applique aux liens qui unissent les musulmans à l’Orient. Les Libanais qui s’engagent à renoncer aux liens qui les rattachent à l’Orient ou à l’Occident auront vite fait d’oublier cet engagement quand une crise surgit. « Chassez le naturel, il revient au galop. » L’histoire du Liban indépendant illustre bien ce phénomène. Ni les musulmans ni les chrétiens ne peuvent tenir un tel engagement, tout simplement parce qu’il est contraire à la nature des choses. Que faut-il donc faire ? Il faut commencer par respecter les lois de la nature. Il faut permettre aux chrétiens d’être chrétiens et aux musulmans d’être musulmans. Mais il faut que cela se situe au niveau communautaire. La double négation n’entre en jeu que par rapport au niveau national. Qu’est-ce que cela veut dire en pratique ? Qu’il faut que nos gouvernements restent neutres dans leur politique étrangère envers l’Orient et l’Occident. D’une manière plus générale, toutes les questions sur lesquelles nous ne pouvons pas nous entendre seront des questions intouchables en ce qui concerne le niveau national. Chaque groupe sera libre de penser et de vivre conformément à ses croyances et à son idéologie politique. Il leur sera permis de maintenir des relations amicales avec leurs amis à l’étranger. Mais il ne leur sera pas permis d’envahir le niveau national et de le paralyser, comme cela se fait sans ambages aujourd’hui, pas seulement par l’opposition, mais aussi par le gouvernement. L’opposition a parfaitement raison quand elle cherche à dire qu’il y a des questions qu’elle ne peut pas tolérer et contre lesquelles elle a le droit d’opposer son veto, même si elle est minoritaire par rapport au gouvernement. Les questions qui sont existentielles (« massiriyat ») ne sont pas négociables. Ces questions concernent la religion et tout ce qui relève des doctrines idéologiques qui infestent la culture politique des uns et des autres. Ce qui est aberrant, c’est que ces questions qui auraient dû être discutées et définitivement réglées dans notre discours constitutionnel sont discutées dans un tout autre contexte qui fausse tout. Le résultat est parfaitement classique. La machine gouvernementale s’en trouve paralysée. Ni l’opposition n’est en mesure de justifier sa demande ni le gouvernement n’est en mesure de reconnaître tout ce qu’il y a de légitime dans cette demande. Le gouvernement ignore tout de notre système communautaire. Il ne respecte pas la consigne on ne peut plus claire du pacte national de 1943. Il se comporte comme si le Liban était une « Nouvelle France » qui se trouve quelque part dans le nord canadien. Dans ces conditions, il ne faut pas nous étonner de voir le dialogue national prendre la tournure d’un dialogue de sourds. Pour sortir de cette impasse et de ce mal chronique, il suffit de distinguer entre les questions qui se prêtent au compromis et celles qui ne s’y prêtent pas. La politique étrangère du Liban adoptera la neutralité la plus stricte par rapport aux questions qui ne se discutent pas et qui ne se prêtent pas au compromis. La forme nouvelle que devra prendre le pacte national de 1943 sera la suivante : les chrétiens ont droit à leur identité religieuse et culturelle. Il leur sera permis d’avoir des relations amicales avec l’Occident, mais uniquement sur le niveau communautaire. Les musulmans ont droit à leur identité religieuse et culturelle. Il leur sera permis d’avoir des relations amicales avec l’Orient, mais uniquement sur le niveau communautaire. Sur le niveau national, nous observerons une stricte neutralité par rapport à toutes ces questions. Nos partis politiques reflètent bien l’ambiguïté profonde de l’être libanais – ambiguïté qui résulte d’un dualisme mal compris et mal géré. En effet, ils n’ont pas encore appris à distinguer entre le niveau communautaire et le niveau national. Ils ont les pieds solidement ancrés dans la base communautaire, mais leurs têtes émergent jusqu’au cœur du sommet national. C’est ce qui fait qu’il y a des partis qui ne sont libanais que de nom, puisqu’ils subordonnent leur libanisme à leur agenda communautaire. Le Hezb illustre particulièrement bien cette anomalie. Mais les autres partis souffrent eux aussi, à des degrés différents, du même mal. Nous avons besoin de théoriciens éclairés qui ne soient pas des idéologues aveuglés par leurs idéologies respectives. Cela est absolument nécessaire si nous voulons mettre de l’ordre dans notre vivre ensemble. Joseph CODSI universitaire


«L’opposition n’a pas renoncé à son exigence majeure, formulée depuis des mois : avoir au gouvernement le tiers de ”blocage”, qui lui donne le pouvoir discrétionnaire de “bloquer” tout acte gouvernemental » (la presse du 7 juin 2007).
Comme tout ce qui se fait au Liban, le bon droit et la bêtise sont liés dans cette affaire scabreuse par des liens aussi...