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EFFEUILLAGE Solitudes Lamia EL-SAAD

Hier, j’ai vu un petit garçon. Il était assis sur le bord du trottoir. Il attendait. Que pouvait-il bien attendre de la vie ? Je l’ignore. Mais ce jour-là, il attendait en regardant sa boîte en cuivre qu’un passant lui donne ses chaussures à cirer. Il avait l’âge d’un enfant, rien d’autre. Ses joues n’étaient pas roses et fraîches, mais jaunes et pâles. Ses mains n’étaient pas douces et blanches, mais rugueuses et sales. Il n’était pas potelé, mais squelettique, pas bien habillé par sa maman, mais couvert de vieux vêtements bien trop larges pour lui. Quant à son innocence et à sa joie de vivre, je ne me faisais guère d’illusions. Je l’ai observé longtemps, j’étais bien la seule. Les passants détournaient les yeux, changeaient de trottoir et l’évitaient par tous les moyens. Sans même le savoir, il était devenu la mauvaise conscience de tout un quartier. La mauvaise conscience et l’appréhension de tout un quartier. J’ai en effet pu constater une certaine méfiance à son égard : « C’est un voyou en puissance… Lorsqu’il grandira, il deviendra dangereux. » Et soudain j’ai vu, comme une apparition, un vieux monsieur s’avancer vers l’enfant le sourire aux lèvres. Je crois qu’il était un habitué ; il a appelé le petit garçon par son prénom. L’homme avait une tenue soignée et élégante qui trahissait une certaine coquetterie. Une discrète touche de brillantine donnait un éclat particulier à ses cheveux blancs tirés en arrière. Sans pouvoir le dire avec certitude, je devine qu’il devait avoir une bonne odeur d’eau de toilette. Ses chaussures en cuir véritable étaient à peine sales, mais il confia ses pieds au gamin et sortit plusieurs billets de son portefeuille. Et je me pris à imaginer que ce vieil homme qui devait se sentir bien seul chez lui portait chaque jour une paire de chaussures différente dans le seul but de quitter sa maison, de se promener dans la rue, d’aller à la rencontre du petit garçon et de lui sourire. Peut-être recherchait-il aussi le regard joyeux et reconnaissant de celui que le bonheur avait délaissé. Et je me pris à espérer que la sollicitude et la bienveillance de cette seule personne puissent compenser l’indifférence de tout un quartier. Hier, j’ai vu un vieux monsieur sourire à un petit garçon…

Hier, j’ai vu un petit garçon. Il était assis sur le bord du trottoir. Il attendait. Que pouvait-il bien attendre de la vie ? Je l’ignore.
Mais ce jour-là, il attendait en regardant sa boîte en cuivre qu’un passant lui donne ses chaussures à cirer.
Il avait l’âge d’un enfant, rien d’autre. Ses joues n’étaient pas roses et fraîches, mais jaunes et pâles. Ses...