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CORRESPONDANCE - Pierre l’Enfant, l’architecte de la ville de Washington Le plus Américain des Français revisité

WASHINGTON, d’Irène MOSALLI De grandes avenues bordées d’arbres, de vastes esplanades d’où s’élèvent d’imposants monuments… Au total, un urbanisme destiné à servir de réceptacle au pouvoir d’une nation. C’est la ville de Washington, telle qu’en elle-même, capitale des États-Unis d’Amérique et, aussi, où se ferait et se déferait la politique du monde. Cette ville-phare frappée du sceau de la bannière étoilée ne relève pourtant pas d’un concept américain pur sucre : elle est l’œuvre d’un architecte français, Pierre-Charles l’Enfant (1754-1825). C’était un visionnaire talentueux, original et au tempérament coléreux. Il est considéré comme le plus Américain des Français. Une nouvelle étude vient de lui être consacrée. Rédigée par Scott Berg et intitulée Grand Avenues. L’Enfant a fait l’objet de plusieurs études, mais Berg évoque avec beaucoup de verve cet homme ayant coulé des jours hauts en couleur et ayant marqué du sceau de la vieille Europe l’une des plus importantes villes du Nouveau Monde. Il claque la porte et emporte les plans Né en France, il débarque dans les colonies américaines comme ingénieur militaire avec le général Lafayette et, très vite, s’identifie à l’Amérique, adoptant le nom de Peter. Comme beaucoup de jeunes Français ambitieux de l’époque, qui trouvaient glorieux d’aller se battre outre-Atlantique aux côtés de ceux qui se rebellaient contre les colons anglais, il avait participé à cette guerre de libération. Dans son pays natal, il avait reçu une formation artistique à l’Académie royale de Paris et avait suivi de près l’exécution des plans urbains de cette ville, puis il avait passé une grande partie de sa jeunesse auprès de Le Nôtre au palais de Versailles. En 1791, durant son séjour américain, George Washington, premier président des États-Unis, lui demande de réaliser, sur un terrain marécageux, les tracés d’une cité fédérale des lumières. Il accepte le projet. Mais voulant toujours faire cavalier seul, il ne supporte aucun droit de regard sur son travail et il est surtout agacé par les interférences du politicien Thomas Jefferson (le troisième président de la République), qui était également philosophe, agronome, inventeur, architecte et qui ne cachait pas ses sympathies francophiles. L’Enfant faisait aussi fi des diktats financiers. Onze mois après s’être attelé à cette tâche, il claque la porte et s’en va, emportant avec lui tous ses plans. Esprit frondeur et gloires posthumes Dans cet ouvrage, Berg met l’accent sur les points de discorde entre l’Enfant et ses nombreux détracteurs. L’Enfant était dans la tradition des urbanistes européens visionnaires et sophistiqués. Ses commanditaires américains ne comprenaient pas ce langage. Par ailleurs, il était imprégné de la culture du mécénat, implanté dans les royautés européennes, qui allait à l’encontre des principes de la nouvelle république. À cause de cette réaction, il ne sera jamais payé, tombera en disgrâce et passera une grande partie du reste de sa vie à essayer d’obtenir du Congrès le paiement de son travail. On lui offre un poste de professeur de génie à West Point en 1812, mais il le refuse. L’Enfant meurt dans la pauvreté et est enterré dans la ferme d’un ami, dans le Maryland. En 1901, la commission McMillan redécouvre ses plans et les utilise comme pierre angulaire de son rapport de 1902 pour élaborer le National Mall de Washington : un immense espace verdoyant, entouré de musées et de bâtiments administratifs. Après que son pays adoptif ait ainsi reconnu son génie, sa dépouille est transférée au cimetière d’Arlington après avoir été exposée dans la rotonde du Capitole en 1909. Ce privilège est réservé d’habitude aux hommes politiques et aux soldats : il devient la première personnalité ne faisant pas partie du gouvernement à recevoir un tel hommage. Il faudra attendre environ un siècle pour voir une seconde personne recevoir cet hommage : Rosa Parks, la militante noire pour les droits civiques. À noter que le système urbain établi par L’Enfant renonce à la fois au quadrillage colonial carré pour ne reconnaître que la frontière imposée par le site spécifique. Washington apparaît comme une suite de formations urbaines éclectiques (le Mall, l’avenue commerciale, les squares…), développées dans un quadrillage irrégulier commandé par les édifices majeurs, administratifs, éducatifs et religieux, plutôt que commerciaux, industriels ou récréatifs. Jusqu’à ce jour, on n’échappe pas à l’esprit frondeur de l’Enfant : dans son numérotage des rues, il a sciemment omis la « rue 13 » (par superstition) et la rue « J » (pour qu’il n’y ait pas confusion avec le « G » qui se prononce « J » en anglais).

WASHINGTON, d’Irène MOSALLI

De grandes avenues bordées d’arbres, de vastes esplanades d’où s’élèvent d’imposants monuments… Au total, un urbanisme destiné à servir de réceptacle au pouvoir d’une nation. C’est la ville de Washington, telle qu’en elle-même, capitale des États-Unis d’Amérique et, aussi, où se ferait et se déferait la politique du...