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Actualités - OPINION

Rien n’a changé

Mes amis me disent d’écrire. Ils s’attendent à un texte rebelle et révolutionnaire, désespéré mais téméraire, furieux de colère. Ils veulent que je dise tout haut ce qu’ils pensent tout bas. Mais cette fois je risque de dire ce qu’ils ne pensent peut-être pas. De nouvelles péripéties, hélas, inattendues peut-être, dangereuses sans doute, cruelles comme d’habitude, inexplicables aussi. De nouvelles péripéties sanglantes et déprimantes en début d’été comme pour annoncer une saison aussi triste que la précédente. De nouvelles péripéties jalouses de nos projets ambitieux, de notre envie de vivre, de notre volonté de reconstruire. De nouvelles péripéties, certes, mais qui ont perdu leur effet de surprise. De nouvelles péripéties de même nature que celles qui ont précédé mais aux effets différents : elles ne produisent plus le chaos d’autrefois, ni le désespoir, ni les décisions hâtives, ni le bouleversement radical de la vie quotidienne. Elles affectent la vie de tout Libanais sans pour autant la transformer. Car nous sommes tous devenus résistants. Ce matin je suis allée en cours, comme tous les étudiants. Nous avons discuté de tout, sans aborder ce sujet, à la une de tous les journaux : bien informés, nous n’avions plus besoin d’en discuter. Les profs étaient au rendez-vous et les retardataires ne pouvaient avancer comme prétexte les explosions : elles ne constituent plus au Liban un cas de force majeure. De retour, je pris la route habituelle, celle qui longe la mer. Celle-ci n’avait pas changé. Et le soleil était aussi magnifique que tous les jours à cette période de l’année. Non, ces péripéties n’ont presque rien changé. Car nous ne voulons plus leur accorder ce privilège. Nos vies sont devenues hors de portée. Les péripéties diverses nous ont si peu affectés. Dimanche, nous n’irions peut-être pas prendre le café dans ce centre commercial qui a explosé. Mais nous irons sûrement celui d’après. Mon texte est optimiste, me diriez-vous. Vous m’accusez aussi de schizophrénie. Peut-être. Mais j’en ai le droit. Car si tout le monde autour de moi se permet d’avoir des personnalités multiples, je me permets d’en avoir deux. Karen AYAT Faculté de droit-USJ
Mes amis me disent d’écrire. Ils s’attendent à un texte rebelle et révolutionnaire, désespéré mais téméraire, furieux de colère. Ils veulent que je dise tout haut ce qu’ils pensent tout bas. Mais cette fois je risque de dire ce qu’ils ne pensent peut-être pas.
De nouvelles péripéties, hélas, inattendues peut-être, dangereuses sans doute, cruelles comme...