CÉRÉMONIE Les Molières couronnent la Comédie-Française et boudent « Cabaret »

La 21e Nuit des Molières, grande fête théâtrale à la télévision, a couronné la Comédie-Française et notamment son Cyrano de Bergerac, boudant a contrario la comédie musicale Cabaret, lundi soir lors d’une cérémonie diffusée sur France 2 en direct du Théâtre de Paris. Le premier théâtre de France, qui n’a jamais aussi bien porté son surnom de « Maison de Molière », a reçu huit trophées pour deux spectacles. Le Cyrano de Rostand s’est vu décerner six Molières dans les catégories théâtre public, metteur en scène (Denis Podalydès), second rôle et décorateur (Éric Ruf dans les deux cas), costumes (Christian Lacroix) et lumières (Stéphanie Daniel). Un autre spectacle, Le Retour au désert de Koltès, a été primé à travers deux grandes sociétaires féminines de la troupe, Martine Chevallier (meilleure comédienne) et Catherine Hiegel (second rôle). L’administrateur général de la Comédie-Française, Muriel Mayette, a vu dans ce succès « un immense geste de solidarité » envers un spectacle contesté par l’ayant droit de l’auteur, qui estimait que les volontés de son frère – faire interpréter un rôle par un comédien algérien – n’avaient pas été respectées et a obtenu la fin anticipée des représentations. Indirectement, le Français a aussi été honoré à travers deux de ses sociétaires honoraires : Robert Hirsch (81 ans) en tant que meilleur comédien dans Le Gardien et Michel Aumont (70 ans) pour sa performance seul en scène dans À la porte. Au-delà des valeurs sûres, les votants ont salué à deux reprises Le Cabaret des hommes perdus, mélo musical gay et drôle. Ce spectacle a été sacré dans la catégorie auteur, mais aussi celle du théâtre musical, l’un des six trophées ayant échappé à la comédie musicale Cabaret, qui rentre bredouille aux Folies-Bergère. Le spectacle visuel a été distingué à travers le Suisse James Thierrée, petit-fils de Chaplin et héros des Molières 2006 (quatre trophées), qui a été choisi cette fois dans la catégorie spectacle en région pour Au revoir parapluie. Dans une esthétique proche, Julien Cottereau a été sacré avec son « clown-mime-show » (Imagine-toi) révélation théâtrale, qualité qu’il partage avec Sara Giraudeau (La Valse des pingouins). La soirée a parfois pris un ton politique. Le directeur du Théâtre du Rond-Point, Jean-Michel Ribes, a vu dans l’un des spectacles primés (Le Cabaret des hommes perdus) « l’esprit de Mai-68 » – dans le collimateur du président élu Nicolas Sarkozy – et souhaité que cet esprit « reste au cœur du théâtre ». Grande figure de la décentralisation théâtrale, Roger Planchon a parlé de l’hypothèse d’une fusion entre les portefeuilles de l’Éducation et de la Culture. « Le ministre de la Culture (Renaud Donnedieu de Vabres, absent à la cérémonie, NDLR) se prépare à remettre les clés de la maison, et il n’est pas sûr qu’il ait un successeur », a-t-il dit, évoquant la « crainte que l’héritage du général de Gaulle et de Malraux passe à la trappe », avant de réclamer « un grand plan Marshall pour l’ensemble des réseaux artistiques français ». Enfin, le directeur du Théâtre de la Commune à Aubervilliers, Didier Bezace, a cité une phrase du dramaturge Jean-Luc Lagarce – auquel les Molières ont rendu hommage à l’occasion du 50e anniversaire de sa naissance – selon lui « à méditer en ce moment » : « Lorsque nous avons moins peur, nous sommes moins mauvais. » Le metteur en scène et comédien a également lancé aux « politiques », suscitant quelques réactions d’hostilité dans la salle : « Pourquoi vous ne nous aimez pas, nous, les artistes ? » Plus consensuelle et en guise de mot de la fin, la « patronne » du Français Muriel Mayette a invité les deux familles du théâtre, le public et le privé, à « construire des ponts » pour réaffirmer « que l’art est essentiel à notre société ». Le palmarès Molière du comédien : Robert Hirsch dans Le Gardien. Molière du comédien dans un second rôle : Éric Ruf dans Cyrano de Bergerac. Molière de la comédienne : Martine Chevallier dans Le Retour au désert. Molière de la comédienne dans un second rôle : Catherine Hiegel dans Le Retour au désert. Molière de la révélation théâtrale féminine : Sara Giraudeau dans La Valse des pingouins. Molière de la révélation théâtrale masculine : Julien Cottereau dans Imagine-toi. Molière du spectacle seul(e) en scène : Michel Aumont dans À la porte. Molière de l’auteur : Christian Siméon pour Le Cabaret des hommes perdus. Molière de l’adaptateur : Marcel Bluwal pour À la porte. Molière du metteur en scène : Denis Podalydès pour Cyrano de Bergerac. Molière du décorateur-scénographe : Éric Ruf pour Cyrano de Bergerac. Molière du créateur de costumes : Christian Lacroix pour Cyrano de Bergerac. Molière du créateur lumière : Stéphanie Daniel pour Cyrano de Bergerac. Molière du théâtre privé : Le Gardien - Théâtre de l’Œuvre. Molière du théâtre public : Cyrano de Bergerac – Edmond Rostand – Denis Podalydès. Molière du théâtre en région : Au revoir parapluie – James Thierrée. Molière du théâtre musical : Le Cabaret des hommes perdus – Jean-Luc Revol. Molière du spectacle jeune public : La mer en pointillés - Serge Boulier. Échos des coulisses – Robert Hirsch (Molière du comédien) : « Avoir décroché un rôle comme ce Gardien de Pinter est un rêve à mon âge. Si ça finit comme ça, ça serait parfait ! Je ne retrouverai plus une pièce comme celle-là. Ce n’est pas du désespoir. C’est la réalité... », a-t-il confié dans les coulisses. « Jouer, c’est la fête tous les soirs », a ajouté Robert Hirsch, déçu de l’absence du ministre de la Culture, qui lui avait décerné les insignes d’officier des Arts et Lettres il y a quelques mois. – Le comédien Bernard Giraudeau a accueilli en larmes le Molière de la révélation féminine décerné à sa fille Sara. L’émotion fut à son comble quand elle s’est adressée directement à son père, confronté ces dernières années à des problèmes de santé : « Je rêve du moment où tu vas remonter sur scène. » – Récompensée par le Molière de la révélation féminine, Sara Giraudeau a estimé que ce prix représente « trop d’amour à la fois ». « Vraiment, je ne m’y attendais pas. Le plus important pour moi est que La Valse des pingouins ait fait rêver les gens. » « J’espère jouer un jour aux côtés de mon père. Je vais peut-être attendre de faire mes preuves », a-t-elle ajouté. - Brasseur père et fils sans façon. Claude Brasseur et son fils Alexandre, également comédien, ont suivi une bonne partie de la cérémonie depuis la salle de presse, installée dans les coulisses. Le fils assis par terre en tailleur et le père au milieu des journalistes accrédités ont révisé l’hommage à Sacha Guitry rendu au cours de la cérémonie.