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Actualités - OPINION

COMMENTAIRE La crise des réfugiés irakiens Par Anna HUSARSKA*

Parmi les désastres humanitaires engendrés par la guerre civile qui fait maintenant rage en Irak, il en est un qui passe presque inaperçu. On ne voit que très rarement sur nos écrans les déplacements massifs de population civile, car contrairement aux bombes ou aux attentats-suicide, ceux-ci ne donnent pas lieu à des flots de sang, à des incendies ou à des hurlements, ingrédients indispensables des journaux télévisés. Pourtant, les chiffres ont de quoi surprendre : chaque mois, plus de 40 000 Irakiens fuient leur domicile en raison de la guerre. La moitié d’entre eux reste en Irak, l’autre moitié va à l’étranger. L’Irak souffre d’une véritable hémorragie démographique. La situation est d’autant plus dramatique que depuis l’invasion il y a quatre ans, seuls 3 183 Irakiens ont pu s’établir dans un pays d’accueil de manière durable. Selon le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés, l’ensemble des pays disposés à accueillir durablement des réfugiés irakiens ont offert un nombre de places qui correspond au nombre d’Irakiens qui quittent leur pays en seulement cinq jours. Cet exode n’est pas nouveau, mais depuis l’intensification des violences qui a suivi l’attentat contre la mosquée chiite de Samarra en février 2006, les déplacements se sont accélérés. Il s’agit en effet du plus grand déplacement de population au Moyen-Orient depuis 1948. Deux millions de réfugiés irakiens sont maintenant dispersés dans la région. Ils sont essentiellement en Jordanie et en Syrie et pour une petite partie d’entre eux en Turquie, au Liban et en Égypte. Ils passent inaperçus, car ils ne sont pas parqués dans des camps de toile, mais résident dans les villes des pays hôtes et se fondent ainsi dans la population. Pour l’Irak, il s’agit d’une fuite des cerveaux à laquelle il sera difficile de mettre fin. Le pays compte 26,8 millions d’habitants et maintenant presque 13 % d’entre eux sont déplacés, beaucoup ne reviendront jamais. Que deviennent-ils ? Le mois dernier, je me suis rendue dans quatre pays du Moyen-Orient pour rencontrer les réfugiés, les écouter et tenter de comprendre. À Amman, à Damas, à Istanbul et à Beyrouth, j’ai vu des dizaines de personnes craignant, avec raison, d’être victimes de persécution dans leur pays d’origine. J’ai parlé à une coiffeuse qui a été violée parce qu’elle est chrétienne. J’ai écouté le récit d’un marchand de spiritueux dont le fils âgé d’un an a été kidnappé et décapité ou encore celui d’un chauffeur de taxi chiite dont le père avait été tué à Najaf quelques jours auparavant. J’ai parlé à un ingénieur sunnite considéré comme une cible par les extrémistes parce qu’il travaillait avec une entreprise de construction américaine et à un traducteur appartenant à la minorité chrétienne des mandéens qui a échappé de peu à la mort lors de l’attentat contre le quartier général de l’ONU à Bagdad en août 2003. La plupart de ceux que j’ai rencontrés étaient pauvres et sans grand espoir pour l’avenir. Aucun n’a voulu que je donne son nom. Les réfugiés qui sont dans un pays de premier accueil ont en général trois possibilités : retourner chez eux, tenter de s’intégrer là où ils se trouvent ou s’établir dans un autre pays. Mais les Irakiens ont-ils réellement tous ces choix ? Quiconque regarde les informations sur le carnage quotidien en Irak peut-il considérer sérieusement un retour des réfugiés irakiens ? La réponse est non. Si, à Bagdad, le Parlement, l’un des bâtiments les mieux protégés du pays, peut être attaqué de l’intérieur, alors il n’y a pas de « zone verte » en Irak, toutes les zones sont « rouges », on n’est en sécurité nulle part. Le rapatriement des Irakiens est irréaliste et hors de question dans un avenir prévisible. Mais la majorité des Irakiens ne peut non plus s’intégrer là où ils sont. La Jordanie et la Syrie laissent entrer la plupart des Irakiens, mais ne leur offre pas la possibilité de s’installer durablement. Ils ne peuvent devenir résidents permanents, ils n’ont pas de permis de travail et ne peuvent bénéficier du service de santé publique. En Jordanie, les enfants irakiens ne peuvent pas aller dans les écoles publiques. Ce n’est pas une question de mauvaise volonté de la part de ces pays, car ils n’ont tout simplement pas les moyens de mettre ces services à la disposition des nouveaux arrivants. Si nécessaire, il faut les aider à faire face à l’afflux des réfugiés, mais ce n’est pas une solution durable. Il ne leur reste que la dernière possibilité, s’installer dans un autre pays. Mais pour cela, les pays qui ont une tradition d’accueil des réfugiés devraient prendre l’initiative et prévoir des places supplémentaires pour les Irakiens. Les États-Unis sont un mauvais exemple : ils n’ont accepté que 692 réfugiés depuis l’invasion, soit sensiblement le nombre d’Irakiens tués au cours d’une semaine. En février, le gouvernement du président Bush a annoncé qu’il accepterait cette année 7 000 réfugiés irakiens. Si l’Amérique tient sa promesse, cela sera un grand pas en avant. Mais les États-Unis, qui ont été les premiers responsables de l’intervention en Irak, devraient être maintenant les premiers à aider les victimes. Si les États-Unis ne le font pas, le seul espoir est de voir les autres pays faire preuve de davantage de générosité. La crise des réfugiés irakiens ne peut être ignorée : la communauté internationale doit aider les pays de la région à en supporter le poids et offrir des possibilités d’installation à un bien plus grand nombre d’Irakiens parmi les plus vulnérables. * Anna Husarska est conseillère en matière politique au sein du Comité international de secours. © Project Syndicate, 2007. Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz.
Parmi les désastres humanitaires engendrés par la guerre civile qui fait maintenant rage en Irak, il en est un qui passe presque inaperçu. On ne voit que très rarement sur nos écrans les déplacements massifs de population civile, car contrairement aux bombes ou aux attentats-suicide, ceux-ci ne donnent pas lieu à des flots de sang, à des incendies ou à des hurlements,...