Rechercher
Rechercher

Actualités - CHRONOLOGIE

ENQUÊTE - Le mouvement lancé par Ibrahim Koleilate en 1958 à la recherche d’un nouveau souffle Les Mourabitoun, une résurrection difficile Scarlett HADDAD

Leur nom est synonyme de guerre civile, même si, depuis 1985, les Mourabitoun ont pratiquement disparu de la scène politique, ayant reçu un premier coup avec le départ des fedayine palestiniens en 1982 ; trois années plus tard, ce fut le coup fatal avec le contrôle par les soldats syriens de la zone Ouest de la capitale libanaise. Pourtant, selon leurs responsables, ils n’ont jamais été totalement absents, poursuivant leurs activités à bas débit pour éviter les pressions syriennes pendant la période de tutelle. Leur chef historique, Ibrahim Koleilate, qui faisait un séjour en Libye et souhaitait rentrer au Liban via Damas, n’a jamais pu accomplir ce voyage, résidant depuis des années entre l’Égypte, la Suisse et la France. Aujourd’hui, son retour est sérieusement annoncé, et avec la recrudescence de l’appartenance confessionnelle, les Mourabitoun, même s’ils s’en défendent, espèrent reconquérir une place importante sur la scène locale. Un pari difficile, surtout avec l’influence considérable du Courant du futur sur les sunnites du Liban. La mosquée et l’immense effigie du président égyptien disparu Abdel Nasser sont encore les seules traces de l’époque où les Mourabitoun régnaient sur la zone Ouest de la capitale. Aujourd’hui, il faut vraiment chercher pour trouver dans un coin, derrière la mosquée, un petit escalier délabré qui mène à la seule permanence du mouvement encore ouverte. C’est là que se réunissent les fidèles, dans un grand appartement à moitié vide, où seuls les portraits d’Ibrahim Koleilate avec Gamal Abdel Nasser témoignent encore des fastes du passé. Pour ces fidèles, qui attendent avec impatience le retour de leur chef, annoncé régulièrement depuis quelques mois, l’heure est venue de redonner un nouvel élan aux Mourabitoun ; d’abord pour éviter que la rue sunnite soit monopolisée par un seul courant et ensuite parce que la polarisation confessionnelle permet aujourd’hui la résurrection d’un mouvement à coloration déterminée avec toutefois une idéologie nationaliste arabe affichée. Car il faut savoir qu’à sa naissance, en 1958, ce groupe s’appelait « Le Mouvement des nassériens indépendants », et les Mourabitoun n’étaient que la branche armée de ce mouvement, né, certes, dans la mouvance du nassérisme, mais ayant pris son ampleur au Liban, à la faveur des affrontements armés de 1958. L’aventure a commencé en 1956. Le jeune Ibrahim Koleilate a seize ans. Son père vient de décéder et le jeune homme prend le chemin de l’exil. Le bateau à bord duquel il se trouve fait escale au port d’Alexandrie et le jeune homme voit les foules égyptiennes se ruer vers une place publique où le « grand Nasser » doit annoncer la nationalisation du canal de Suez. Koleilate descend du bateau et court avec la foule. Ce sera là son grand rendez-vous avec l’histoire et le début de sa lutte politique. Après le meeting, il décide d’intégrer les camps d’entraînement organisés par le commandement égyptien et ensuite, il revient à Beyrouth, la tête remplie de toutes les idées nationalistes arabes et du rêve de Nasser d’une « oumma » arabe unifiée. Le jeune Ibrahim a aussi l’image de son père, un « abadaye » de quartier, respecté à Tarik Jdidé en raison de sa force physique et de sa sagesse. Il souhaite donc jouer un rôle à mi-chemin entre l’image de son père et celle de Nasser. Le début d’un rêve sur le modèle de Nasser... Ibrahim Koleilate – qui n’était pas encore Abou Chaker – était d’ailleurs totalement subjugué par Nasser et avait adopté toutes ses idées. Lorsqu’en riposte à l’unité égypto-syrienne, le président américain de l’époque Eisenhower lance sa fameuse « doctrine », sur laquelle le président libanais de l’époque Camille Chamoun voulait aligner le pays à travers l’intégration du pacte de Bagdad, c’est tout naturellement qu’il s’oppose à ce projet. Ce fut sa première expérience militaire, mais selon ses fidèles, il n’avait jamais été question pour lui de se lancer dans des affrontements confessionnels. Pour lui, il s’agissait d’une question politique et idéologique. La même théorie avait été d’ailleurs avancée pour justifier la participation des Mourabitoun à la guerre civile, de 1975 à 1985. Mais là aussi, en dépit de la dimension idéologique, le mouvement était perçu comme étant la milice sunnite de Beyrouth. Aujourd’hui encore, les Mourabitoun version 2007 se défendent de cette coloration qui est pourtant réelle. La permanence du mouvement se remplit peu à peu, la plupart des militants ayant une double vie, la première professionnelle et sociale, l’autre consacrée à la lutte clandestine. Car, pendant des années, ils ont continué à croire à leur rêve discrètement pour échapper à la surveillance des Syriens. Ils ont pris le pli de la clandestinité, même si, aujourd’hui, ils recommencent à s’agiter au grand jour. « Le 15 janvier dernier, raconte Omar, nous avons allumé la flamme du souvenir pour l’anniversaire de Gamal Abdel Nasser et nous avons, depuis, régulièrement des activités sportives. Mais ce n’est que tout récemment que nous avons tenu notre premier meeting politique pour commémorer le 32e anniversaire de la guerre. » 1985, les miliciens d’Amal attaquent les locaux... Omar est trop jeune pour se souvenir de l’époque faste des Mourabitoun, lorsqu’ils contrôlaient Beyrouth-Ouest, avaient une radio, La Voix du Liban arabe, et un quotidien, al-Mourabet, et se préparaient à ouvrir une chaîne de télévision, La télévision du Liban arabe. Ces médias ont d’ailleurs raconté dans les détails comment le mouvement Amal avait investi leurs locaux en 1985 et les avaient poussés à la fermeture avec la bénédiction des troupes syriennes. Ce n’est que depuis cinq ans que les Mourabitoun ont décidé de revenir à la vie publique. Ghazi Kanaan avait quitté le Liban et Ibrahim Koleilate avait rétabli les ponts avec les autorités syriennes. C’est qu’entre-temps, beaucoup d’eau avait coulé sous les ponts et les politiques régionales avaient changé, alors que les Mourabitoun, eux, restaient dans le camp hostile au plan américain pour la région. C’est donc tout naturellement qu’ils ont renoué les liens avec les autorités syriennes. Mais la scène beyrouthine n’était pas vraiment prête pour la réapparition de ce mouvement, surtout avec l’omniprésence de l’ancien Premier ministre assassiné Rafic Hariri. On avait même dit à l’époque que le chef de la garde présidentielle, le général Moustapha Hamdane, qui est aussi le neveu d’Ibrahim Koleilate, avait poussé en faveur d’un retour des Mourabitoun afin justement d’éroder plus ou moins l’influence de M. Hariri. Mais les cadres des Mourabitoun démentent totalement ces informations. Selon eux, il n’a jamais été question d’utiliser le mouvement à des fins confessionnelles et locales. Selon eux, sa dimension et son idéologie interdisent ce genre d’exploitation. C’est donc tant bien que mal que le mouvement a tenté de reconstituer ses bases, essayant de se frayer une place sur la scène politique. Mais ce n’est qu’après l’assassinat de Rafic Hariri que l’élan a été réellement donné. La scène beyrouthine était perdue sous le choc de la disparition de l’ancien Premier ministre, et la relève ne remplissait pas, selon eux, le vide laissé par cette mort. Le terrain était donc favorable à une résurrection du mouvement, et le retour d’Ibrahim Koleilate, figure emblématique des Mourabitoun, était régulièrement annoncée. L’inévitable scission et l’émergence de deux branches rivales Le mouvement s’inscrivait clairement dans une politique hostile au projet américain et se disant proche du Hezbollah. Ce qui lui a valu d’être la cible d’attaques systématiques de la part du Courant du futur et même de la Jamaa islamiya qui ne voyait pas d’un bon œil l’influence grandissante de ce mouvement sur les jeunes sunnites avec son idéologie plus politique que religieuse. Alors que le mouvement avait annoncé une prochaine réédition de son quotidien (qui deviendrait hebdomadaire) ainsi qu’une série d’activités, il a été secoué par une scission, menée par un proche du Courant du futur, Mohammad Dergham. Alors que la branche traditionnelle, menée par Imad Hussami, occupait la permanence historique, derrière la mosquée Abdel Nasser, l’aile Dergham se déplaçait entre Paris et Beyrouth, dans des locaux prêtés par le Courant du futur. Une guéguerre a d’ailleurs opposé les groupes rivaux, entravant une résurrection en grande pompe du mouvement et retardant encore une fois le retour du grand chef. Ce dernier aurait toutefois clairement pris position en faveur de l’aile traditionnelle. C’est du moins ce qu’affirme Imad Hussami, qui ne ménage pas ses critiques à l’égard de son rival Mohammad Dergham. Échanges d’accusations et même rixes au cours de certaines réunions, sans oublier la guerre des communiqués, les deux branches se sont livré une bataille sans merci au cours des deux derniers mois, avant de conclure une sorte de trêve pour donner une chance au mouvement de reconquérir sa base. Quant à Ibrahim Koleilate, il n’a pas ouvertement pris position en faveur d’une branche contre l’autre, appelant à l’entente et faisant même de cette entente une condition essentielle pour son retour. Le retour d’Ibrahim Koleilate pour bientôt ? Imad Hussami annonce désormais le retour d’Abou Chaker pour le mois prochain et dément toutes les rumeurs sur son mauvais état de santé qui l’empêcherait de reprendre son rôle sur la scène politique. Il dément aussi les informations selon lesquelles Abou Chaker devrait passer par Damas avant de revenir à Beyrouth. Selon lui, ce cas de figure est dépassé depuis longtemps et Ibrahim Koleilate a depuis longtemps renoué des liens avec la Syrie. Mais entre les deux courants, les divergences restent grandes. Elles portent essentiellement sur l’attitude vis-à-vis de l’opposition et de la majorité. Si Hussami s’affiche ouvertement avec le Hezbollah et contre ce qu’il appelle le projet américano-israélien, Dergham, lui, est plus proche du Courant du futur. Mais tous deux affirment rejeter le confessionnalisme et vouloir proposer un projet d’avenir pour le Liban. Tous deux se déclarent opposés à une guerre entre sunnites et chiites, estimant que les Mourabitoun ont une vision globale de la situation et rejettent le sectarisme. Tous deux rivalisent d’enthousiasme au sujet du retour prochain d’Ibrahim Koleilate, chacun s’attribuant le privilège de préparer ce retour pour qu’il soit l’occasion d’une grande manifestation populaire. Et dans les quartiers sunnites de la capitale, notamment à Tarik Jdidé, ancien fief du mouvement, les nostalgiques et les jeunes qui rêvent d’une période de gloire révolue attendent avec impatience ce grand rendez-vous. Mais la scène beyrouthine supporte-t-elle l’émergence d’un mouvement dont le nom a été étroitement lié à la guerre ? Il n’est pas le seul, disent ceux qui prônent son retour... Reste que le cas des Mourabitoun montre que sous l’apparence de la cohésion, la scène sunnite a elle aussi sa diversité et ses divergences...
Leur nom est synonyme de guerre civile, même si, depuis 1985, les Mourabitoun ont pratiquement disparu de la scène politique, ayant reçu un premier coup avec le départ des fedayine palestiniens en 1982 ; trois années plus tard, ce fut le coup fatal avec le contrôle par les soldats syriens de la zone Ouest de la capitale libanaise. Pourtant, selon leurs responsables, ils n’ont...