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Le correspondant du « Independent » dresse un sombre tableau de la situation au Moyen-Orient Fisk : « Les Occidentaux doivent comprendre que leur sécurité dépend de leur politique étrangère »

C’est devant une salle comble que Robert Fisk a choisi de dénoncer, jeudi dernier à l’AUB, les échecs politiques et médiatiques des Occidentaux au Moyen-Orient. Lors de sa conférence, intitulée « Après l’effondrement : le désengagement au Moyen-Orient », le correspondant réputé de « The Independent », installé depuis plus de 30 ans dans la région, a dressé le sombre tableau de l’actualité moyen-orientale tout en mettant en cause la politique étrangère des États-Unis en Irak, au Liban et dans le reste des pays arabes. Journaliste de renommée mondiale, Robert Fisk est probablement l’un des rares correspondants occidentaux à avoir couvert les plus grands événements qui ont marqué l’histoire contemporaine du Moyen-Orient. Il a assisté à la guerre civile libanaise (1975-1990), à la révolution islamique en Iran (1979), à la guerre entre l’Irak et l’Iran (1980-1988), à celle du Golfe (1991) et, enfin, à l’invasion américaine de l’Irak en 2003. L’un de ses premiers constats, après plus de 30 ans de carrière journalistique, est que l’histoire a « une drôle de tendance à se répéter. » Il nous rappelle que l’Irak a une longue expérience avec l’occupation étrangère. « “Oh, peuple de Bagdad, nous sommes venus en libérateurs et non pas en conquérants !” Non, ce message n’est pas celui de George W. Bush, mais celui des forces britanniques lors de leur occupation de l’Irak en 1917, ironise Fisk. Nous, les Occidentaux, aimons toujours venir vous libérer et vous sauver. » Il fait également remarquer que, curieusement, en 1920, le Premier ministre britannique de l’époque accusait la Syrie de soutenir les « terroristes » en Irak et déclarait qu’un retrait des troupes britanniques déclencherait une guerre civile. « Ça vous rappelle quelqu’un ? » demande-t-il. « Le problème est que la plupart des journalistes ne lisent pas l’histoire et échouent ainsi à rapporter la vérité », souligne le correspondant britannique. « Dans la presse américaine, comme le New York Times par exemple, les journalistes parlent souvent des “erreurs” de la coalition et évoquent rarement que cette guerre est avant tout illégale et injustifiée, souligne le correspondant de The Independent. Contrairement aux déclarations absurdes de Colin Powell, Saddam n’a jamais possédé d’armes de destruction massive. » Pour Robert Fisk, il est temps que les Américains renouent le dialogue avec leurs « ennemis ». « Aujourd’hui, et pour la première fois, les insurgés irakiens appellent à des négociations avec l’occupant, mais l’Administration Bush continue de rejeter cette opportunité de dialogue, explique-t-il. L’histoire nous apprend qu’on finit toujours par discuter avec l’ennemi. Ce fut le cas avec l’IRA, les Palestiniens et même le Vietcong ! » Devenu plus sérieux, Robert Fisk s’insurge contre le fait que selon lui, « les Occidentaux ne s’intéressent pas au sort du peuple arabe au Moyen-Orient ». « J’entends souvent nos dirigeants affirmer que la sécurité d’Israël est une priorité pour la stabilité dans la région. Mais qu’en est-il de la sécurité des autres ? » dit-il, interrompu par une salve d’applaudissements de l’audience composée d’une centaine de personnes. « Les attentats du 11 septembre nous ont, malgré nous, transformés en racistes. Moi-même je me sens raciste quand je dévisage un homme barbu ou un jeune qui lit le Coran dans l’avion, explique Fisk. Il ne faut pas permettre aux terroristes qui ont attaqué New York, Washington et la Pennsylvanie de changer notre vision du monde ! » Selon lui, les Occidentaux doivent comprendre que dorénavant, leur sécurité dépend de leur politique étrangère. « À cause de l’occupation de l’Irak, Londres, New York et Madrid ne sont pas en sécurité. » Ensuite, reprenant ses critiques contre la presse, il explique comment les journalistes occidentaux aiment diviser les peuples du Moyen-Orient en « petits groupes sectaires » sur des cartes géographiques. « En Irak, les sunnites sont au centre, les chiites dans le Sud et les Kurdes dans le Nord. Au Liban, les chiites sont également regroupés dans le Sud, les druzes dans le Chouf, etc., remarque-t-il. Mais la presse américaine, par exemple, n’appliquerait jamais la même logique aux États-Unis. Imaginez que le New York Times publie une carte géographique de l’Amérique démontrant les divisions ethniques ou racistes dans le pays. » « Nous, les Occidentaux, nous aimons vous diviser », dit Fisk sur le ton de la plaisanterie. Mais évoquant la situation au Liban et dans le reste de la région, il ne tarde pas à reprendre son discours d’une voix grave. « Ces dernières années, je ne me suis jamais senti aussi déprimé au sujet du Moyen-Orient, raconte-t-il. Après l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, j’avais peur que le Liban ne sombre une nouvelle fois dans la guerre civile. J’ai également ressenti les mêmes craintes pendant les émeutes à Beyrouth, en janvier dernier. Mais laissez-moi vous dire une chose : vous avez de la chance car votre armée vous a sauvés de la guerre. » Il poursuit en demandant aux Libanais d’avoir autant de confiance en eux-mêmes qu’en la Syrie, les États-Unis, l’Iran ou la France. « C’est le seul moyen de préserver la paix dans ce pays », assure-t-il, tout en déclarant son amour pour le peuple libanais et le Liban, son « pays d’adoption. » Rania MASSOUD

C’est devant une salle comble que Robert Fisk a choisi de dénoncer, jeudi dernier à l’AUB, les échecs politiques et médiatiques des Occidentaux au Moyen-Orient. Lors de sa conférence, intitulée « Après l’effondrement : le désengagement au Moyen-Orient », le correspondant réputé de « The Independent », installé depuis plus de 30 ans dans la région, a dressé le sombre...