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Actualités - CHRONOLOGIE

CORRESPONDANCE - Coups de ciseaux racistes L’histoire de 200 ans de poupées à découper noires WASHINGTON, d’Irène MOSALLI

Alors qu’aujourd’hui avec un simple mouvement de la souris on peut transformer une image figurant sur l’écran d’un ordinateur, il fut un temps où l’on s’amusait à découper minutieusement des personnages et leurs garde-robes. Ces poupées unidimensionnelles, qui ont eu leur heure de gloire il y a plusieurs décades, n’ont pas toujours constitué un innocent jeu d’enfants aux USA. Témoin, une exposition sortant de l’ordinaire, organisée par le Smithsonian Institution, et qui est intitulée «200 ans de poupées à découper noires». Ces poupées font partie de la collection d’une femme écrivain, Arabella Grayson, qui, un jour, a eu entre les mains une carte d’anniversaire comportant une poupée à découper représentant une petite fille des Caraïbes. Elle l’a trouvé adorable, mais ne se rappelle pas avoir vu auparavant une poupée en papier noire. Elle entame alors des recherches dans ce domaine en 1994. Elle commence par trouver Ady, le personnage d’une esclave adolescente noire tiré de la série American Girls. Puis elle découvre que la première poupée à découper noire avait été créée en 1863, l’année de la proclamation de l’émancipation. Nommée Topsey, elle était inspirée du roman La case de l’Oncle Tom et avait aussi servi à promouvoir ce titre. Mammy, Topsey et Aunt Jemima En allant à la recherche de cette poupée, Arabella Grayson en trouve d’autres. En dix ans, elle en rassemble plus de trois cents figurines à découper qui, parallèlement à leur fonction ludique, révèlent le changement social qu’a connu la population américaine de descendance africaine. Au début, ces poupées étaient un miroir de l’esclavagisme. Elles étaient, notamment, des nounous et des compagnes de jeux des enfants blancs. Elles avaient pour noms Mammy, Mandy, Topsey, Sambo et Sam et avaient, toutes, les traits négroïdes accentués. Relevés dans cette sélection, un boxeur, noir d’un côté et blanc de l’autre, et la célèbre Aunt Jemima, qui a longtemps figuré sur les boîtes de préparation de «pancake». À noter que la perception d’Aunt Jemima, qui est la version féminine de l’Oncle, est celle de la femme noire servilement attachée à assurer les requêtes des Blancs. Un exemple de stéréotype racial longtemps associé aux gens de couleurs. Après le mouvement des droits civils, ces images se libèrent et prennent les traits de championnes de causes sociales (Torchy Brown), de sportives, pour arriver, plus près de nous, à Winnie Madikize Mandela et Beyonce. Ici, on a affaire à une rectification du tir mise sur le marché sous le label «Fierté noire». À travers sa collection, Arabella Grayson veut attirer l’attention sur la connotation sociale et raciale que peuvent contenir les jouets. Soient-ils de papier ou des produits de l’informatique. Mais malgré tous ces messages, émis à coups de ciseaux racistes et qui donc, en leur temps, n’avaient rien de politiquement correct, le public d’aujourd’hui n’a pu que succomber aux charmes nostalgiques de ce fascinant jeu de découpage.
Alors qu’aujourd’hui avec un simple mouvement de la souris on peut transformer une image figurant sur l’écran d’un ordinateur, il fut un temps où l’on s’amusait à découper minutieusement des personnages et leurs garde-robes. Ces poupées unidimensionnelles, qui ont eu leur heure de gloire il y a plusieurs décades, n’ont pas toujours constitué un innocent jeu d’enfants aux...