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Actualités - OPINION

Le Liban dans la politique de l’Église Pascal MONIN

Les papes Paul VI et Jean-Paul II, celui-ci notamment depuis la guerre de 1975, ont montré constamment un intérêt tout particulier au pays du Cèdre et ont déployé, chacun à sa manière, de nombreux efforts pour y ramener la paix, y préserver le vivre en commun entre les communautés, en d’autres termes, la convivialité entre chrétiens et musulmans. Ils ont défendu sans relâche les droits de l’homme, le dialogue culturel et intercommunautaire, mais aussi la démocratie, la souveraineté et l’indépendance du Liban. Qui peut ignorer par exemple les liens d’affection et d’attachement qui unissaient Jean-Paul II au Liban, qu’il appelait «terre bien-aimée». Après la Pologne, le Liban a été probablement un des pays dont il se préoccupait le plus et qui lui tenait particulièrement à cœur. Le Liban, pays écrasé entre les deux pouvoirs voisins, rappelait sans doute au Saint-Père sa patrie natale, la Pologne, qui était écrasée, elle aussi, entre l’Allemagne et la Russie. Plus que tout chef d’État, plus que tout pape, plus que certains Libanais peut-être, Jean-Paul II a cru en notre pays, en sa pérennité, en son témoignage au cœur du Moyen-Orient, en son message au monde et à l’humanité. Il a cru en ce Liban qui «représente davantage qu’un pays; un message et un modèle pour l’Orient et l’Occident» (7 septembre 1989). Dès le début de son pontificat, sa pensée se «dirigeait vers le Liban tant éprouvé», ainsi qu’il l’a souligné dans son premier message du 17 octobre 1978, puis dans sa première allocution au corps diplomatique le 12 janvier 1979, ou encore devant l’Assemblée générale des Nations unies le 2 octobre 1979. Dans ses discours, ses allocutions, ses audiences, ses messages, ses homélies et son action diplomatique, le Liban ne quittait presque jamais les pensées du pape. Cette constance est marquée par le «Synode spécial pour le Liban», entre 1991 et 1995, par l’Exhortation apostolique post-synodale «Un espoir nouveau pour le Liban», et sa visite du Liban en 1997. Il suffit donc de se rappeler l’action et les discours de Jean-Paul II pour comprendre et apprécier le rôle du Vatican en faveur de notre pays. Réconcilier éthique et politique, Jean-Paul II en a donné la direction. En septembre 1989, dans un message à tous les évêques catholiques, il écrivait en effet: «J’ai adressé un message à de nombreux chefs d’État et aux responsables d’organisations internationales. Il m’a semblé nécessaire, en effet, de rappeler certaines exigences éthiques auxquelles la communauté internationale est tenue à l’égard d’un partenaire de plein droit, qui est membre fondateur de l’ONU (...). Les ignorer peut conduire tout simplement à ébranler l’ordre des relations internationales (...). La disparition du Liban serait sans aucun doute l’un des grands remords du monde. Sa sauvegarde est l’une des tâches les plus urgentes et les plus nobles que le monde d’aujourd’hui se doit d’assumer.» À son tour, Benoît XVI, depuis son élection, n’a cessé de lancer des appels en faveur de la paix au Liban et au Moyen-Orient. Cependant, le nouveau pape a, semble-t-il, imposé un style diplomatique différent de celui de son prédécesseur Jean-Paul II, plus religieux et moins activiste, moins politique. «Le vrai chemin de la paix est spirituel plus que politique», a ainsi déclaré le cardinal Roger Etchegaray, son envoyé spécial au Liban, en août 2006. D’ailleurs, le bras droit de Benoît XVI, le cardinal Tarcisio Bertone, secrétaire d’État du Vatican, n’a-t-il pas prévenu qu’il se voulait plus «secrétaire de l’Église que d’État», et qu’il comptait, je le cite, « contribuer à accentuer la mission spirituelle de l’Église qui transcende la politique et la diplomatie»? Ainsi, assiste-t-on à un changement et à une évolution vers une diplomatie vaticane plus discrète et moins engagée dans la diplomatie mondiale et la résolution des grandes crises internationales, et donc de la crise que traverse actuellement le Liban. Par ailleurs, l’Église locale, dans sa diversité, a œuvré constamment, comme le Vatican, pour un Liban uni, multiconfessionnel, souverain et indépendant. Face aux exigences nationales, l’Église a poursuivi son combat pour les droits de l’homme, la paix, la convivialité, la liberté et la démocratie au Liban. Le jour où l’entreprise systématique de destruction de tout un pays et de tout un peuple était en cours, alors que les puissances occidentales et les pays arabes avaient abandonné notre pays à son sort et aux mains des forces d’occupation ou de tutelle, alors qu’une grande partie des responsables et des hommes politiques n’avaient plus de libanais que le nom et acceptaient ou même participaient à la mise sous tutelle du pays du Cèdre, des hommes d’Église s’étaient courageusement élevés, avaient osé défier les forces du fait accompli et s’étaient montrés solidaires de ces admirables libanais libres refusant la fatalité et défiant les forces d’occupation et leurs agents, non seulement en ce 7 août 2001, mais déjà bien avant cette date et jusqu’à la journée du 14 mars 2005. Parmi ces voix qui se sont élevées face à l’aliénation, comment ne pas citer le métropolite de Beyrouth, Mgr Élias Audeh, ou le recteur émérite de l’Université Saint-Joseph, le professeur Sélim Abou, ou le patriarche maronite, Mgr Nasrallah Sfeir, et l’ensemble du Synode des évêques maronites? La flamme de la liberté et de la souveraineté, ils l’ont portée et maintenue en attendant les évolutions et changements dans la politique locale et la politique des grandes puissances à l’égard du Liban. Est-il nécessaire de rappeler les différentes actions de l’Église dans ce cadre, de l’appel des évêques maronites de septembre 2000, faisant l’effet d’une bombe politique et plaçant chacun devant ses responsabilités, jusqu’au rappel des constantes de Bkerké en décembre 2006? Mais le combat politique le plus dur de l’Église était et est toujours celui de l’unité de ses propres fils face à l’adversité et aux dangers. Voici, à ce propos, ce qu’écrivaient ceux qui ont préparé l’assemblée spéciale pour le Liban du Synode des évêques: «L’Église au Liban, rappelaient-ils, fut, comme les autres composantes du pays, blessée dans sa chair. Mais c’est surtout dans sa conscience qu’elle fut profondément éprouvée. Elle a vu ses fils tués, tuant et s’entre-tuant. Elle continue à souffrir de leurs querelles toujours vivaces. Elle est vivement meurtrie par le fossé profond que ces années troublées ont creusé entre nombre de ses fidèles et entre ceux-ci et l’autorité ecclésiastique.» Aujourd’hui, en 2007, où en sommes-nous de ce constat? Pourquoi ce sentiment de frustration chez une grande partie des chrétiens, sentiment appelé «Ihbat»? Qu’en est-il de ces querelles fratricides et des relations entre l’Église et le peuple? Malgré le rôle indéniable et capital joué par l’Église dans la bataille pour la liberté et la souveraineté, existe-t-il des failles ou des malentendus, dans certains domaines, entre l’institution religieuse et la population? Certains vont même jusqu’à suggérer un repositionnement de l’Église maronite vers un rôle plus pastoral et religieux que politique. Ces questions se posent d’autant plus que seulement 18% des Libanais affirment que l’institution religieuse au Liban apporte des solutions aux problèmes politiques alors qu’ils sont 29% à affirmer le contraire (ils lui dénient donc toute importance dans ce domaine) et 47% qu’elle n’est pas concernée par ces problèmes. Parmi les communautés religieuses, les chrétiens, en général à hauteur de 56% et les maronites, en particulier, à presque 58%, pensent que l’institution religieuse n’est pas concernée par les problèmes politiques, c’est-à-dire que, pour eux, la politique ne rentre pas dans ses compétences. À signaler que 40% des musulmans interrogés pensent que l’institution religieuse n’est pas concernée par les problèmes politiques. Ces constats ne peuvent pas nous laisser indifférents. Aujourd’hui, chaque Libanais, laïque ou religieux, quelle que soit son appartenance politique, religieuse ou autre, doit agir en citoyen et doit apprendre à dépasser sa spécificité et penser et travailler, non plus au bien de sa confession, de sa communauté ou du groupe auquel il est affilié, mais surtout à celui de la patrie. Pour cela, «sachons réveiller, chez les responsables de la cité, comme le souligne le cardinal Paul Poupard, l’art ancestral des navigateurs phéniciens, pour qu’ils sachent guider à travers les récifs le navire Liban, au large de ce nouveau millénaire ». Pascal MONIN Responsable du mastère en information et communication à l’USJ Article paru le Mardi 3 Avril 2007
Les papes Paul VI et Jean-Paul II, celui-ci notamment depuis la guerre de 1975, ont montré constamment un intérêt tout particulier au pays du Cèdre et ont déployé, chacun à sa manière, de nombreux efforts pour y ramener la paix, y préserver le vivre en commun entre les communautés, en d’autres termes, la convivialité entre chrétiens et musulmans. Ils ont défendu sans...