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ÉDUCATION - Décrochage et retard scolaire, mauvaise qualité de l’enseignement, répartition géographique déséquilibrée, le ministre Khaled Kabbani répond aux questions de « L’Orient-Le Jour »

Les bases de la réforme sont jetées, mais les défis restent énormes La grande générosité dont a fait preuve la communauté internationale à l’égard du Liban, auquel elle a accordé la somme de 7,6 milliards de dollars lors de la conférence Paris III, ne verra sa concrétisation qu’au prix de la mise en place, par le Liban, d’un programme global de réformes. Un programme dont l’application devrait être suivie, pas à pas, par les donateurs et toucher l’ensemble des secteurs. À l’heure où chaque ministère s’attelle à la fastidieuse tâche de préparer son programme de réformes, le ministère de l’Éducation entreprend, lui aussi, un véritable chantier. D’autant que ce secteur, miné par les problèmes, a été montré du doigt en 2006 par la Banque mondiale qui n’a pas manqué de constater les graves lacunes des élèves libanais et l’importante baisse de niveau qui a marqué les nombreuses années de guerre. Le ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, Khaled Kabbani, décortique pour « L’Orient-Le Jour » les problèmes les plus graves de son ministère et ceux de l’enseignement scolaire public de manière spécifique. Il dresse point par point la stratégie de réforme qu’il a envisagée pour y remédier et pour moderniser l’enseignement. « Une stratégie dont l’application est minutieusement planifiée dans le temps selon un programme bien déterminé », tient-il à préciser. Retard et décrochage scolaire Le décrochage et le retard scolaires sont deux problèmes interdépendants qui noircissent l’ensemble du système éducatif libanais. Alors que la scolarisation des enfants atteint 98 % dans l’enseignement primaire dès l’âge de 5 ans, faisant du Liban le pays arabe au taux de scolarisation le plus élevé dans l’enseignement primaire, c’est à partir de l’âge de 11 ans, donc de la classe de 6e, qu’apparaissent les failles. Les élèves accumulent d’abord les échecs et finissent progressivement par abandonner l’école. Le chiffre officiel est d’ailleurs effarant : « environ 22 % des élèves du primaire quittent l’école entre 11 et 14 ans », constate Khaled Kabbani, précisant que dans certaines régions, le décrochage scolaire atteint un pourcentage de 35 % des élèves. La pauvreté est indubitablement la raison essentielle de ces deux facteurs, observés principalement dans les régions rurales éloignées, au Akkar, à Baalbeck, dans la Békaa, au Hermel, mais aussi dans les banlieues pauvres des villes. « Dans ces régions, le taux de travail de l’enfant est très élevé », constate le ministre de l’Éducation. Autre raison aussi bien de l’échec répété des élèves que du décrochage scolaire, le système éducatif public libanais basé sur le passage de classe automatique dans les classes primaires. « Ce n’est qu’à partir de la classe de sixième que le redoublement des élèves est possible. C’est alors l’hécatombe », observe le ministre, précisant qu’un important nombre d’élèves ont accumulé les lacunes et n’ont pas les connaissances de base leur permettant de passer de classe. D’un échec à l’autre, ne bénéficiant d’aucun suivi pédagogique, ils finissent par baisser les bras, découragés, et sont orientés par des parents mal informés, dépassés par la crise financière, vers l’apprentissage d’un métier, autrement dit vers le travail. « La lutte contre la pauvreté et le chômage, et l’amélioration du niveau de vie sont partie intégrante de l’aspect social de la réforme », explique Khaled Kabbani, qui précise par ailleurs qu’outre les aides et allocations familiales prévues à l’intention des familles défavorisées et nombreuses, les élèves du secteur public seront, à l’avenir et selon le projet de réforme, exemptés de scolarités et de droits d’inscription. « Ils recevront gratuitement leurs manuels scolaires, bénéficieront d’une couverture médicale et de soins, d’un repas quotidien, et se verront assurer le transport scolaire », promet-il. Quant aux élèves présentant des difficultés scolaires, « ils suivront des sessions de rattrapage scolaire et de remise à niveau avec l’aide d’enseignants spécialisés », alors que seront développées, de manière générale, les activités extrascolaires sportives et culturelles, de même que l’informatique et les loisirs. Il s’agit « d’attirer l’élève, par le biais de ce soutien psycho-social », observe le ministre. Il est évident que « l’application de ces projets nécessite un important financement », souligne M. Kabbani. Mais vu l’urgence de la situation, certains projets commencent déjà à voir le jour. De plus, le ministère étudie avec l’Unesco la mise en place d’un programme d’alphabétisation à l’intention des enfants en situation de décrochage scolaire et plus précisément des enfants qui travaillent, dans le but de les voir réintégrer le circuit scolaire. L’enseignement obligatoire et gratuit pour tous En vertu de la loi de 1997, l’enseignement est obligatoire pour les enfants de 5 à 15 ans, dans les classes primaires. « Mais cette loi n’a jamais été appliquée. Elle est restée lettre morte car les décrets d’application n’ont pas été approuvés en Conseil des ministres », regrette Khaled Kabbani. « Et pourtant, les Libanais sont soucieux d’assurer une bonne instruction à leurs enfants », assure-t-il. Insistant sur la nécessité de faire appliquer la loi, le ministre dévoile la nouvelle stratégie de son ministère de scolariser les enfants à partir de l’âge de 3 ans. Et donc de créer des jardins d’enfants au sein des écoles publiques, dans l’objectif d’améliorer le niveau des élèves dès les petites classes. « Aujourd’hui, l’école publique n’a toujours pas de classes maternelles. Les enfants n’y sont donc scolarisés qu’à partir de 5, voire 6 ans. Ils sont considérablement en retard par rapport aux élèves du privé, scolarisés, eux, dès l’âge de 3 ans, et éprouvent énormément de difficultés à suivre leurs classes », constate M. Kabbani, qui précise que ce retard est une des causes des échecs à répétition et donc du décrochage scolaire. Pour ce faire, « il faudra évidement modifier la loi », précise Khaled Kabbani. Quant à la gratuité de l’enseignement du secteur public, elle est plutôt illusoire, notamment dans les niveaux complémentaire et secondaire. Si les études primaires sont totalement gratuites depuis 2002, chaque élève du complémentaire doit s’acquitter en temps normal de 70 000 LL par an pour la caisse de l’école et de 20 000 LL par an pour la caisse de l’État. L’élève du secondaire, lui, doit payer 90 000 LL par an à la caisse de l’école et 30 000 LL à la caisse de l’État. Ces sommes sont trop importantes pour les familles nombreuses. C’est pourquoi la stratégie du ministère envisage « la gratuité totale de l’école publique, au moins dans les classes complémentaires pour commencer, et ce dès l’année prochaine en principe », explique ministre. Cette année, il est vrai, grâce à l’aide saoudienne, tous les élèves du public ont été totalement exemptés des frais d’inscription, alors que les Émirats arabes unis ont fourni les livres et l’Unesco les fournitures scolaires. Améliorer la qualité de l’enseignement Les compétences et le niveau de connaissance des enseignants, mais aussi la mauvaise distribution des enseignants dans les établissements mettent en péril la qualité de l’enseignement public. Le ministre précise à ce propos que certains établissements ne reçoivent qu’un nombre ridiculement restreint d’élèves pour un nombre excédentaire d’enseignants, alors que d’autres accusent un manque au niveau des enseignants, surtout spécialisés. « Dans certains établissements, on peut ainsi compter jusqu’à 50 enseignants pour 20 élèves », tient à préciser le ministre. Mais dans d’autres, l’on manque cruellement de professeurs de technologie ou de matières scientifiques en langue anglaise, pour ne citer que ces exemples. Ces problèmes sont le résultat des déplacements de populations durant la guerre de 1975 à 1990. Ils entraînent un gaspillage non négligeable au niveau des salaires et des loyers, sans compter la mauvaise ambiance du travail, lorsque les effectifs sont trop réduits ou au contraire trop élevés. D’autant qu’une grande partie des enseignants, surnuméraires, sont tout simplement restés chez eux, durant de longues années et n’ont pas exercé. « Non seulement ils ont perdu la main, mais n’ont même plus le niveau requis pour enseigner », déplore Khaled Kabbani. À ce niveau, la réforme prendra plusieurs aspects. « Le projet de formation continue des enseignants et des directeurs d’établissements qui vise à développer les compétences est déjà sur les rails, grâce à la collaboration de l’Union européenne et de la Banque mondiale », explique le ministre. Nombre d’enseignants seront également formés à l’informatique, ce qui permettra de combler les vides à ce niveau. De plus, dès la fin de l’année scolaire, le ministère de l’Éducation envisage de procéder à la chasse au gaspillage, en regroupant les établissements scolaires voisins, de manière à mieux distribuer le nombre d’élèves et d’enseignants et à économiser les loyers. Quant aux enseignants surnuméraires, ils ne seront pas licenciés, mais seront réorientés en fonction des besoins, après avoir suivi la formation nécessaire. D’autre part, il est important que les enseignants bénéficient d’une protection sociale plus large, de salaires plus adéquats, d’allocations familiales et d’indemnités leur permettant d’améliorer leur niveau de vie. « Certes, les programmes scolaires eux aussi devront être revus, améliorés et modernisés », note M. Kabbani. Bâtiments et environnement adéquat Non seulement les bâtiments scolaires, mais aussi leur mauvaise répartition géographique constituent un problème majeur. Au Akkar, à titre d’exemple, les élèves sont entassés à 45 ou 50 par classe, en raison du manque d’établissements. « Il en est de même à Baalbeck, à Tripoli, à Denniyé et même à Beyrouth ou au Mont-Liban », explique le ministre. Dans la banlieue sud de Beyrouth, où les classes comptent aussi plus d’une quarantaine d’élèves, ces derniers sont divisés en deux groupes qui se relaient, matin et après-midi, pour suivre les cours. Dans des villages de Jbeil, des caves humides ou des sous-sols insalubres servent aussi d’écoles, à cause du manque de bâtiments. « Un plan de répartition géographique des écoles répertorie pourtant tous les établissements du pays, mettant en exergue les besoins de chaque région, en fonction du nombre d’habitants et d’élèves », observe Khaled Kabbani. « Mais ce plan, dont la dernière mise à jour remonte à 2006, n’a jamais été pris en considération dans l’attribution de fonds alloués à la construction de bâtiments scolaires », déplore-t-il, précisant que « la construction d’écoles s’est faite de manière anarchique ». Il est toutefois de notoriété publique que le développement d’une région est souvent fonction de l’influence que peuvent exercer ses députés ou ses « zaïms » sur le gouvernement. Cela explique pourquoi certaines régions regorgent d’établissements scolaires, dont certains ne reçoivent qu’une poignée d’élèves, alors que d’autres n’ont même pas la moindre école. Sans oublier que nombre de locaux sont en mauvais état, mal construits ou inadaptés, notamment « les bâtiments en location, généralement destinés à l’enseignement primaire », précise le ministre. « Il est aujourd’hui primordial de prendre en considération le plan de répartition géographique. Il est aussi important de fermer les locaux inadéquats et de construire de nouveaux bâtiments dans certaines régions jusque-là délaissées, dans le respect des standards internationaux », insiste le ministre. Il précise à ce propos que grâce à un prêt de la Banque mondiale et à des fonds arabes, plus de 11 nouvelles écoles ont été construites dans différentes régions du pays, alors que d’autres bâtiments sont en cours de construction. « Nous espérons en construire encore, si davantage de fonds sont débloqués », ajoute-t-il. Nouvelles technologies informatiques et mise en réseau « La réforme de l’enseignement public libanais serait incomplète sans l’informatisation et l’équipement en laboratoires des établissements scolaires », estime Khaled Kabbani. Cette opération devrait s’accompagner notamment de l’informatisation de la direction du ministère de l’Éducation, de l’établissement d’une banque de données pour la gestion du secteur et celle des examens officiels, et de la mise en place d’un réseau Intranet entre le ministère de l’Éducation et l’ensemble des écoles publiques. « Les choses se mettent d’ailleurs en place », note le ministre, précisant que nombre d’établissements ont déjà les équipements informatiques nécessaires, alors que les enseignants et les directeurs d’établissements poursuivent les sessions de formation à l’informatique. Aujourd’hui, un an et demi après sa nomination à la tête du ministère de l’Éducation, Khaled Kabbani indique avoir préparé le terrain à son éventuel successeur, pour le lancement du chantier de la réforme. « Nous avons jeté les bases permettant la réforme du secteur, en finalisant cinq grands projets qui nécessitent, à présent, d’être votés au Parlement. Celui qui me succèdera pourra, sans peine, poursuivre la mission de modernisation de l’Éducation », dit-il. Le ministre évoque alors la restructuration et la mise en place d’une nouvelle stratégie au sein du ministère, la mise en place d’un nouveau projet de loi pour l’UL, et d’un autre réglementant l’université privée, la finalisation du projet de l’enseignement pour tous, et celle du projet de création d’un réseau informatique. Les bases de la réforme sont jetées. Mais les défis sont énormes. Il reste à espérer que rien ne viendra entraver la bonne marche du chantier de modernisation d’un secteur qui n’a cessé d’être victime des guerres successives qui ont ébranlé le pays, sans oublier la dernière. Anne-Marie EL-HAGE
Les bases de la réforme sont jetées,
mais les défis restent énormes

La grande générosité dont a fait preuve la communauté internationale à l’égard du Liban, auquel elle a accordé la somme de 7,6 milliards de dollars lors de la conférence Paris III, ne verra sa concrétisation qu’au prix de la mise en place, par le Liban, d’un programme global de réformes. Un...