Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le chapitre VII

Signée à San Francisco le 26 juin 1945 et composée de 111 articles regroupés en 19 chapitres, la Charte des Nations unies est l’acte fondateur de cette organisation née sur les ruines d’un monde martyrisé par les dictateurs et les criminels qui utilisaient l’assassinat politique comme mode habituel de gouvernement. Bien qu’aucun de ces 111 articles ou 19 chapitres ne soit plus noble ou plus honteux que les autres, on croirait, à entendre les opposants libanais au tribunal international, parler du chapitre VII, y trouver «l’enfer» dans une bibliothèque par ailleurs constituée d’ouvrages pieux. Or le chapitre VII n’est pas plus «l’enfer» de la charte, que les opposants au tribunal ne sont les vertueux lecteurs de ce texte universel. Comme le rappelle le paragraphe (b) du préambule de la Constitution libanaise, le Liban est un membre fondateur et actif des Nations unies, l’un des premiers signataires de la charte, et il est parfaitement en droit de faire usage de toutes ses dispositions, ou pour le moins de tirer profit de l’usage unilatéral qu’en ferait le Conseil de sécurité. Merveilleux instrument de maintien de la paix, par la force au besoin, mais utilisé avec parcimonie, le chapitre VII ne doit en aucune manière être tabou, et le Liban ne devrait pas avoir le moindre scrupule à le voir mis à l’œuvre contre les dictateurs et les criminels régionaux qui ont tellement abusé de l’assassinat politique sur son territoire et qui ont «rompu la paix» et commis des «actes d’agression» suivant les termes mêmes de l’intitulé du chapitre VII. Objectivement, le Liban a tout intérêt à ce que le tribunal pénal international, qui aura à connaître des attentats terroristes qui ont coûté la vie au président Hariri et à d’autres personnes, soit établi unilatéralement par le Conseil de sécurité en vertu du chapitre VII, surtout que depuis sa genèse, en février 2005, le dossier Hariri est bien engagé sur cette voie et que ceci, contrairement à tout ce qui se dit, ne préjuge nullement de la pérennité de l’État libanais et de la solidité de ses institutions, et ne remet pas en cause sa souveraineté. Ce que le chapitre VII est, et ce qu’il n’est pas La logique n’étant pas ce qui caractérise le discours politique libanais, force nous est de commencer par dire ce que le chapitre VII n’est pas, puisqu’à ce jour, il n’est pas brandi, comme l’on serait en droit de le croire, par les victimes des attentats et par le gouvernement libanais qui ont tout intérêt à le voir appliqué, mais par les opposants au tribunal international qui ont tout intérêt à le voir écarté. D’après ceux-ci, qui dit chapitre VII dit recours à la force et dit aussi «failed state» ou État défaillant. Or ces deux allégations sont fausses. Pareille aux statuts d’une association, la charte énonce les buts et les principes de l’organisation internationale que sont les Nations unies, régit le mode de constitution et de fonctionnement de ses organes (Assemblée générale, Conseil de sécurité, secrétariat général, etc.), détermine les modes de règlement pacifique des différends et, pour ce qui nous intéresse, prévoit dans son septième chapitre les actions à prendre «en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression». Si le Conseil de sécurité constate l’existence d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression, il peut prendre certaines mesures et actions en vertu du chapitre VII, d’abord des mesures provisoires pour empêcher la situation de s’aggraver, ensuite des mesures coercitives pour arrêter l’agression et refouler son auteur ; ceci va des sanctions économiques à l’utilisation de la force armée, en passant par l’interruption des communications, l’embargo, la rupture des relations diplomatiques, etc. La prise de décisions par le Conseil de sécurité en vertu du chapitre VII ne se fait qu’en dernier ressort, quand toutes les autres voies ont été explorées et épuisées (comme c’est en train de devenir le cas pour le tribunal international du fait des manœuvres de ses opposants), dans des situations extrêmes et à l’issue d’un large consensus international. Et même une fois le chapitre VII mis à contribution, l’usage de la force reste l’ultime recours. Si les cinq membres permanents et d’autres membres non permanents du Conseil sont persuadés de la nécessité de faire usage des dispositions du chapitre VII, c’est que réellement la menace contre la paix est grave. Il est donc faux d’affirmer que l’établissement du tribunal international en vertu du chapitre VII entraînera nécessairement l’usage de la force. D’ailleurs, même si c’était vrai, la force ne sera pas utilisée contre le Liban, victime des attentats objet de la résolution 1595 et suivantes, mais contre les assassins, ce qui pourrait s’avérer indispensable pour les contraindre à se soumettre aux injonctions du procureur international et du tribunal et, ultimement, à accepter les jugements qui seront rendus. Il est tout aussi faux d’affirmer que les dispositions du chapitre VII ne sont utilisées par le Conseil de sécurité qu’en présence d’un État à la souveraineté diminuée ou aux structures internes détruites ou défaillantes (un «failed state»). Nulle part dans les articles 39 à 51 qui composent le chapitre VII ceci n’est dit ou même sous-entendu. Ce chapitre a été rédigé précisément pour régir des situations pareilles à celle dans laquelle le Liban est placé, où la paix est menacée. Le dossier Hariri et les autres dossiers qui y ont été rattachés ne concernent pas que le Liban pour qu’il puisse être dit que celui-ci est «défaillant», mais ils concernent la communauté internationale sous l’angle du terrorisme et la Syrie sous l’angle des accusations précises que comportent le rapport Fitzgerald et les rapports intermédiaires des deux présidents successifs de la commission d’enquête internationale indépendante, les magistrats Detlev Mehlis et Serge Brammertz. Donc la prise par le Conseil de sécurité de mesures unilatérales relatives au tribunal international en vertu du chapitre VII ne visera pas le Liban et n’en fera pas un «failed state», mais elle viendra traiter une situation qui menace la paix internationale, comme l’a d’ailleurs déjà affirmé le Conseil de sécurité. L’ombre du chapitre VII a toujours plané sur le dossier Hariri En effet, le chapitre VII s’articule autour de deux grands axes: d’abord, la constatation par le Conseil de sécurité d’une menace contre la paix, ensuite l’adoption de mesures, militaires ou pas. Or il semble que cette constatation a déjà été faite: le lendemain même de l’assassinat du président Hariri et de ses compagnons, soit le 15 février 2005, le président du Conseil de sécurité a fait une déclaration par laquelle il a qualifié l’assassinat de «terroriste», utilisant ce mot-clé cinq fois dans ce texte, pourtant bref. Ceci a été le déclencheur de la «Mission d’établissement des faits, chargée d’enquêter sur les causes, les circonstances et les conséquences de l’assassinat de M. Rafic Hariri, ancien Premier ministre» (proche de l’enquête prévue à l’article 36 de la charte) présidée par M. Peter Fitzgerald qui a rendu son rapport le 24 mars 2005 y pointant du doigt la Syrie et ses satellites libanais. M. Fitzgerald a parlé de «situation qui aurait des conséquences désastreuses pour la paix et la sécurité» (4e paragraphe du résumé), expression assez proche de celle utilisée dans le chapitre VII. Les conclusions alarmantes du rapport Fitzgerald ont conduit le Conseil de sécurité à adopter, le 7 avril 2006, la résolution 1595 qui a établi la «Commission d’enquête internationale indépendante» pour aider les autorités libanaises à enquêter sur tous les aspects de «cet acte terroriste». Le terme «terroriste» occupe une place d’honneur dans cette résolution où il a été utilisé six fois. Il existe donc pas moins de onze références au terrorisme dans les deux actes fondateurs du dossier Hariri que sont la déclaration présidentielle et la résolution 1595. Les opposants au tribunal s’étaient à l’époque battus pour écarter la notion de «crime contre l’humanité» de ces textes, mais ils n’ont pas vu que la notion de «terrorisme» leur est aussi, sinon plus, néfaste. Cette utilisation intensive du terme «terroriste» n’est pas neutre: elle rattache directement le dossier Hariri au chapitre VII. Le Conseil de sécurité considère que le terrorisme constitue une menace pour la paix, et il y a consacré plusieurs résolutions d’ordre général prises en vertu du chapitre VII, dont les deux résolutions 1373 du 28 septembre 2001 (suite aux attentats du 11 septembre) et 1566 du 8 octobre 2004. Or la déclaration présidentielle du 15 février 2005 a fait expressément référence à ces deux résolutions 1373 et 1566. Par ailleurs, des résolutions spécifiques ont directement qualifié les «actes de terrorisme» de «menaces contre la paix», comme ce fut le cas pour les résolutions 731 et 748 de 1992 à propos des attentats de Lockerbie et du vol UTA 772 dont la Libye (pourtant pas «failed state») a été accusée. Le terrorisme et le chapitre VII sont donc de vieilles connaissances, et les opposants au tribunal doivent savoir que même si le tribunal international était créé par traité entre le Liban et les Nations unies, l’épée du chapitre VII restera suspendue au-dessus du dossier Hariri et pourra être utilisée en cas de blocage ultérieur de la formation du tribunal ou de son fonctionnement. Plus important encore: la résolution 1636 du 31 octobre 2005, par laquelle le Conseil de sécurité a appelé tous les États à prêter leur concours à la commission d’enquête internationale indépendante et dans laquelle la Syrie est nommément visée, a été prise en vertu du chapitre VII. De même, c’est en vertu du chapitre VII que le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1644 du 15 décembre 2005 par laquelle il a décidé la mise sur pied du tribunal international, y visant à nouveau la Syrie et «constatant une fois de plus que cet acte terroriste et ses incidences constituent une menace pour la paix et la sécurité internationales». Trêve donc de pudibonderie: le dossier Hariri a un lien direct avec le chapitre VII via la qualification de terrorisme qui lui a été donnée par le Conseil de sécurité et la référence faite par la déclaration présidentielle du 15 février 2005 aux deux résolutions 1373 et 1566 sur le terrorisme. Les maillons de la chaîne ont été finement et patiemment accrochés par le Conseil de sécurité depuis le premier jour, et ce ne sont pas les opposants au tribunal international qui pourront les défaire: déclaration présidentielle du 15 février 2005; qualification de «terrorisme»; constatation de «menaces contre la paix et la sécurité internationales»; résolutions 1373 et 1566; rapport Fitzgerald; résolutions 1636 et 1644; chapitre VII. Les avantages du chapitre VII Il serait tentant de dire «oui pour le chapitre VII» rien que parce que les opposants au tribunal international disent «non», tellement leurs positions sont contraires aux intérêts du Liban et à la justice! «Tout sauf le chapitre VII», clament ces derniers et, malheureusement, réussissent-ils à faire reprendre en chœur par d’autres qui ont bien plus peur d’eux que du chapitre VII. Bien sûr, «tout sauf le chapitre VII», ont intérêt à clamer les personnes que le tribunal international épouvante: à choisir entre la création du tribunal ou son étouffement dans l’œuf, ils préfèrent évidemment la seconde option; mais si la première est inévitable, il leur est mille fois préférable que le tribunal naisse par traité entre le Liban et les Nations unies, puisque la voie du traité maintiendra intacte leur capacité de blocage et de nuisance tout le long de la période de mise en place du tribunal et du déroulement du procès, alors que la voie du chapitre VII les neutralisera définitivement. La création du tribunal international en vertu du chapitre VII n’est qu’avantages pour le Liban. Pour rappel, le tribunal peut être établi soit unilatéralement par le Conseil de sécurité en vertu du chapitre VII, soit bilatéralement par un traité signé par le Conseil et le Liban. À ce jour, c’est malheureusement la voie bilatérale qui est empruntée, avec tous les «tracas» (et c’est un euphémisme) qu’elle fait subir au Liban. Mais par un étrange et heureux retournement de situation, les opposants au tribunal international, qui se battent avec acharnement contre sa création par traité en bloquant les institutions constitutionnelles nationales qui doivent adopter le traité déjà signé par les Nations unies le 6 février 2007, ont relancé le débat, sur les plans local et international, sur sa création unilatérale en vertu du chapitre VII. Dans l’intérêt du Liban et de la justice, la voie du chapitre VII devrait être empruntée et aurait d’ailleurs dû l’être dès le départ, sur la trace de la déclaration du président du Conseil de sécurité du 15 février 2005 qui, par le détour de la qualification de l’attentat de terroriste et de la référence faite aux deux résolutions 1373 et 1566, avait visé le chapitre VII. Le seul désavantage de l’usage du chapitre VII réside dans… les menaces de violence proférées et exercées par les opposants au tribunal! Deux raisons majeures militent en faveur de la voie du chapitre VII. D’une part, si le tribunal international est créé par un traité bilatéral signé par le Liban et les Nations unies, ses pouvoirs pourraient, dans la pratique, être limités par ceux qui se prévaudraient de l’effet relatif du traité et considéreraient qu’il ne lie que les parties signataires: or les assassins et leurs commanditaires ne sont pas signataires de ce traité. À cet égard, la conférence de presse tenue le 6 mars 2007 par le ministre syrien des Affaires étrangères a été très instructive (pour ceux qui n’avaient pas encore appris la leçon): la Syrie n’est pas concernée par le dossier Hariri et donc par les résolutions des Nations unies y relatives, et seul un tribunal international soumis au droit syrien serait envisageable par elle. Il est clair que ce pays, placé dans l’œil du cyclone par MM. Fitzgerald, Mehlis et Brammertz, se considérera libre de toute obligation à l’égard d’un tribunal créé par un traité bilatéral liant le Liban aux Nations unies. Par contre, l’autorité d’une résolution onusienne qui établira unilatéralement le tribunal international sera plus difficilement contestable et, par ailleurs, elle aura l’effet considérable d’écarter la pléthore de traités bilatéraux signés par le Liban et la Syrie dont certains rendent impossible l’extradition, et ce en vertu de l’article 103 de la charte qui fait prévaloir les obligations des membres des Nations unies en vertu de la charte sur leurs obligations découlant de tous autres accords internationaux (à ce propos, il est permis de se demander où étaient donc ceux qui, aujourd’hui, se rappelant leurs prérogatives constitutionnelles ou se prévalant de l’intérêt supérieur de la nation, se penchent sur chaque virgule des textes du traité et du statut du tribunal, quand des dizaines de traités avaient été imposés au Liban sans lecture). D’autre part, il semble, d’après les négociations actuellement en cours, que les opposants au tribunal vont obtenir, en échange de leur accord (conditionné?) sur la signature par le gouvernement du traité avec les Nations unies, le tiers de blocage au sein du gouvernement. Or la signature du traité ne constitue qu’une première étape d’un très long processus, et le véritable rôle du Liban et de son gouvernement n’aura alors fait que commencer: à chaque étape de la mise sur pied du tribunal et ensuite du déroulement de la procédure, le gouvernement devra intervenir, notamment, mais pas seulement, pour désigner le procureur adjoint libanais et ensuite les magistrats de siège libanais; et sera alors démontrée l’énorme valeur du droit de blocage décroché par les opposants au tribunal en contrepartie de la seule approbation du traité portant création du tribunal. Le traité et le statut du tribunal international seront bien adoptés, mais les sanglantes et ruineuses manœuvres pourront recommencer dès que les étapes préliminaires de la mise en place du tribunal seront seulement envisagées; il y aura bien un document signé par le Liban et les Nations unies comportant un traité et le statut d’un tribunal international, mais le reste sera incertain et le choix du recours au chapitre VII à nouveau posé. Si rien que l’étude du projet de demande de création du tribunal international à présenter par le Liban au Conseil de sécurité en décembre 2005, puis l’étude du texte final du projet de traité et de statut en novembre 2006 ont respectivement coûté la vie au député Gebrane Tuéni et au ministre député cheikh Pierre Gemayel, et ont poussé les ministres opposés au tribunal à suspendre leur participation dans le gouvernement puis à présenter leur démission, comment le Liban va-t-il gérer et supporter la suite d’un processus qui s’étendra sur de longues années et requérra des décisions successives de son gouvernement? Et comment envisager la nomination de magistrats libanais à ce tribunal international quand le train des nominations au sein des tribunaux nationaux languit depuis de longs mois bien qu’arrêté à l’unanimité par le Conseil supérieur de la magistrature? Par ailleurs, les magistrats libanais qui devront occuper les peu enviables sièges qui leur sont réservés dans le tribunal international seront obligés de regarder ce qui s’est passé en Irak durant le procès du dictateur baassiste, grand amateur d’assassinats politiques, et en dernier lieu la présentation en mars 2007 d’une demande d’asile politique en Grande-Bretagne par le juge irakien qui l’a condamné à mort. Le dossier Hariri relève du terrorisme international et constitue une menace contre la paix; à ce titre, il ne concerne pas le seul Liban, mais la communauté internationale, et il n’est donc pas étranger au chapitre VII. Il faudrait par conséquent que la communauté internationale assume ses responsabilités, comme elle a décidé de le faire le 15 février 2005 dans la déclaration du président du Conseil de sécurité, que le tribunal pénal soit purement international, qu’il soit créé et mis sur pied unilatéralement par le Conseil de sécurité sans la participation de magistrats libanais et sans l’intervention du gouvernement libanais, qu’il soit doté des moyens coercitifs d’attraire tous les inculpés et de punir les coupables. Si l’idée d’une enquête internationale avait été lancée, c’est parce que le Conseil de sécurité avait constaté que les enquêteurs libanais n’étaient pas fiables, et si l’idée d’un tribunal international avait été lancée, c’est parce que le Conseil de sécurité avait constaté que le corps judiciaire libanais n’était pas prêt à faire face à ce dossier. Par la même logique et a fortiori, le Conseil de sécurité aurait dû constater que les pouvoirs législatif et exécutif libanais ne pouvaient pas participer à la mise sur pied du tribunal international, et il aurait dû envisager la création d’un tribunal purement international en vertu du chapitre VII. Il n’est pas trop tard et, grâce aux manœuvres des opposants au tribunal, l’idée fait son chemin. Nasri Antoine DIAB Professeur à la faculté de droit de l’Université Saint-Joseph, Avocat à la cour

Signée à San Francisco le 26 juin 1945 et composée de 111 articles regroupés en 19 chapitres, la Charte des Nations unies est l’acte fondateur de cette organisation née sur les ruines d’un monde martyrisé par les dictateurs et les criminels qui utilisaient l’assassinat politique comme mode habituel de gouvernement. Bien qu’aucun de ces 111 articles ou 19 chapitres ne...