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Actualités - REPORTAGE

Le principe de neutralité pratiqué par cet établissement public est mis à rude épreuve L’Université libanaise tiraillée par les influences politiques de tous bords DOSSIER RÉALISÉ PAR LÉLIA MEZHER

L’Université libanaise (UL) a dû, une nouvelle fois encore, encaisser l’impact des dissensions politiques sur ses campus en tentant tant bien que mal de limiter les mauvaises ondes qui proviennent du milieu politique. En effet, l’incident qui s’est produit, il y a environ deux mois de cela, sur le campus Rafic Hariri de Hadath et qui a opposé des étudiants sympathisants du Hezbollah à un responsable estudiantin du Parti socialiste progressiste (PSP) a poussé – à tort ou à raison – le leader druze Walid Joumblatt à appeler les cadres estudiantins du PSP à s’abstenir de se rendre sur le campus et à « étudier à la maison jusqu’après les fêtes » de fin d’année. Des incidents qui ne font qu’augmenter les problèmes internes de l’UL, déjà nombreux et difficiles à résoudre, en raison, notamment, de l’absence d’une réelle volonté politique de répondre aux besoins élémentaires des étudiants, tant sur le plan logistique qu’académique. À la faculté des lettres de l’UL (section II), à Fanar, L’Orient-Le Jour a rencontré le secrétaire général du mouvement culturel d’Antélias et professeur d’histoire, Issam Khalifé. Lorsqu’il est interrogé sur l’incident qui a eu lieu sur le campus de Hadath, il précise qu’il n’est pas «au courant des détails». «Je sais seulement qu’un cadre estudiantin du PSP a été agressé physiquement, sachant que sur ce campus le Hezbollah et le mouvement Amal sont majoritaires», affirme Khalifé. Il poursuit: « Pendant la tutelle syrienne, l’Université libanaise était écrasée par l’administration du campus. Aujourd’hui, elle est prise d’assaut par les partis politiques et par les personnes au pouvoir qui, au lieu de penser à l’avenir des jeunes étudiants, les noient dans la politique politicienne. » M. Khalifé insiste sur le fait que l’UL, et « depuis l’ère de la tutelle, est traversée de toutes parts par les influences politiques ». Et qu’aujourd’hui, « rien n’a vraiment changé », puisque les divergences politiques s’y sont cristallisées, ce qui a donné lieu à nombre d’incidents, notamment celui qui a poussé le leader druze à conseiller aux étudiants de son parti de rester chez eux. Pour le professeur d’histoire, personne ne se soucie réellement des étudiants. Preuve en est, la réaction du président de l’UL, Zouhair Chukr, suite à l’incident Hezb-PSP. « Même s’il s’est employé à tenter d’alléger les tensions, le président de l’UL n’a pas pris des mesures coercitives envers ceux qui ont mis le feu aux poudres. Le règlement doit être appliqué invariablement et des mesures disciplinaires auraient dues être prises. Au lieu de cela, nous avons assisté à une réaction diluée et molle de la part des responsables de l’université », précise le professeur d’histoire. Des mots qui, pour M. Khalifé, ne peuvent en aucun cas remplacer les vraies mesures sur le terrain, qui auraient eu pour effet de dissuader les étudiants, à l’avenir, de s’aventurer sur les chemins douteux de la violence et de la propagande politiques. Il convient de souligner dans ce cadre qu’au lendemain de l’incident PSP-Hezbollah, Zouhair Chukr avait appelé à la « neutralité » de l’UL et avait annoncé, dans un communiqué, que l’administration allait faire montre de fermeté, afin de barrer désormais la route à des incidents du même type. Le Hezbollah contre la politique de «neutralité» Interrogé sur le point de savoir quelle réaction les étudiants PSP de l’UL ont-ils eu, après l’appel controversé de leur leader, M. Khalifé répond : « Je ne suis pas sur le campus de Hadath, je ne peux donc pas vous donner de réponse précise. Ce que je sais en revanche, c’est que les cadres PSP les plus actifs parmi les étudiants se sont abstenus de se rendre à leurs cours jusqu’après les fêtes » de fin d’année. Mais l’appel du leader druze aura vraisemblablement eu un impact psychologique important, puisque le Hezb s’est empressé d’œuvrer afin de rétablir un climat relativement serein sur le campus, conscient de la gravité de la situation, selon les dires de M. Khalifé. Pourtant, l’attitude et le comportement ambigus du Hezb à l’UL de Hadath ont de quoi laisser perplexe. Car, si le parti s’est rapidement empressé de contenir ce qui aurait facilement pu se transformer en drame – à l’instar de ce qui s’est produit, environ un mois plus tard, sur le campus de l’Université arabe – il ne s’est pas empêché le 21 février dernier de commémorer en grande pompe le souvenir des 19 étudiants de l’UL – et membres du Hezb – morts au combat durant la guerre de juillet. Cette commémoration a eu lieu dans la salle des Congrès de l’UL à Hadath et plusieurs centaines de personnes, dont le numéro deux du Hezb, Naïm Kassem, y ont assisté, aux côtés des parents et amis des martyrs. Cependant, au-delà de la cérémonie en elle-même, c’est surtout le discours du responsable de la mobilisation des étudiants au sein du parti, Youssef Merhi, qui inquiète le plus. Dans son allocution, le responsable hezbollahi s’est, en effet, prononcé contre la « neutralité » de l’UL. Laissant ainsi clairement transparaître la position de son parti, M. Merhi a qualifié sans ambages « l’appel à la neutralité de l’université » de tout simplement « douteux et suspicieux » ; il sera vaincu, selon lui, « par le dialogue et la patience ». À noter que le président de l’UL se trouvait au premier rang de l’assistance, l’université ayant délibérément choisi de sponsoriser cette commémoration, une manière peut-être de montrer sans doute que l’université publique est celle de tous. Mais cette attaque directe dirigée contre une politique de neutralité soigneusement choisie et clamée par l’UL – même si concrètement elle n’a été suivie par aucune mesure réellement efficace – ne laisse présager rien de bon pour ce qui est de l’avenir et de la crédibilité d’un établissement universitaire déjà fragilisé par les influences du politique. Prenant à son tour la parole, Zouhair Chukr n’a pas manqué de marquer publiquement son désaccord avec cette vision des choses. Il a d’abord rappelé que l’UL avait choisi d’empêcher toute manifestation ou cérémonie politique sur le campus afin de « limiter les risques » de dérapage, et ce jusqu’à ce que « la liberté d’expression de tous sur le campus soit garantie ». M. Chukr a, en outre, minutieusement distingué les événements « politiques » de ceux « nationaux » qui font, selon ses propres dires, « partie intégrante du devoir de l’université ». Et la commémoration du martyr des étudiants membres du Hezb relève, toujours selon le président de l’UL, de cette deuxième catégorie. S’adressant ensuite aux étudiants présents dans la salle, et après avoir fait l’éloge de leurs camarades morts « pour la résistance », il a souligné que « ces âmes (des martyrs) vous appellent à plus de responsabilité, plus de détermination encore, pour obtenir l’avenir que vous désirez avoir ». Une mission entravée par une «politique de négligence» Pour Issam Khalifé, il est essentiel que l’université reste « un cadre dans lequel l’esprit, l’éducation, la conscience, la démocratie et la diversité » cohabitent, tant « au niveau des étudiants que des professeurs ». Cette mission de l’université se trouve aujourd’hui menacée à cause de l’immobilisme de l’administration, qui se contente de faire des déclarations de bonne volonté, tout en s’abstenant de les appliquer. Et M. Khalifé de rappeler : « En 1902, lors de l’inauguration de l’Université hébraïque, le président israélien avait déclaré que la nation israélienne était née ». C’est dire toute l’importance du rôle qu’une université publique est amenée à jouer. Plus tard, poursuit le professeur d’histoire, Shimon Peres a déclaré que « l’avenir du conflit au Moyen-Orient ne sera tranché que sur les campus des universités ». Peut-on donc considérer que la négligence, dont est victime l’UL, soit en elle-même une politique ? M. Khalifé acquiesce : « Il est vrai qu’il y a aujourd’hui un nouveau bâtiment, celui de Hadath. Mais cela ne suffit pas car, dans les régions, nous n’avons toujours pas de nouveaux bâtiments. Prenez comme exemple celui où nous nous trouvons actuellement. Il appartient aux pères lazaristes et non à l’État. Pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas mis en place une politique de développement harmonieux de l’université, à travers le pays ? » En effet, le visiteur ne peut s’empêcher d’être surpris par la statue de la Vierge Marie qui trône à l’entrée de la faculté des lettres de Fanar, signe religieux ostentatoire qui contraste singulièrement avec la mission supposée de l’enseignement public... Mais ce n’est pas tout. Le problème des locaux, du matériel ne semble plus affecter M. Khalifé outre mesure. Ce qui le préoccupe de toute évidence aujourd’hui, c’est l’indifférence affichée des politiques à l’égard de l’avenir de l’UL : « La feuille de réformes de Paris III ne mentionne nulle part l’université. Cela traduit le manque d’intérêt du gouvernement pour l’avenir culturel du pays. » Des étudiants otages de la politisation à outrance de l’établissement Il est normal qu’en période de crise politique que cette tension se répercute sur les campus, notamment les campus publics. Mais à l’UL, c’est non seulement la tension qui se fait fortement ressentir, mais aussi une volonté délibérée de ne pas punir les fauteurs de troubles, pour ne pas barrer la route à la mobilisation à outrance – toutes tendances politiques confondues – dont les seules victimes sont finalement les étudiants. Et cette politisation à l’extrême se répercute aussi sur le niveau de l’enseignement dispensé. « Depuis 1997, c’est la catastrophe. Le décret n° 9048, qui réglemente la procédure d’embauche des professeurs contractuels, est constamment violé. Normalement, les besoins de l’université sont évalués un an à l’avance, pour déterminer le nombre de professeurs qu’il faut embaucher pour l’année d’après. Or, nous assistons depuis un certain temps à la nomination de professeurs, dans certains secteurs, alors que ces secteurs n’en ont pas besoin », indique à cet égard M. Khalifé. Il ajoute : « Certains professeurs intègrent l’UL grâce à des dossiers qui sont faux ou qui ont été enjolivés pour les besoins du poste. » Et cette entorse au règlement va encore plus loin, puisque M. Khalifé cite, en guise d’exemple, le cas d’un élève, Sami Bedran, qui a été envoyé, aux frais de l’UL, pour se spécialiser en langue anglaise à l’étranger. « À son retour, il était titulaire d’un doctorat et il s’attendait naturellement à réintégrer l’UL en tant que professeur. Or, cela n’a pas été le cas. Il a fini par enseigner dans le secteur privé. » Le professeur cite aussi le nom d’un autre élève, « Ziad Sawaya, qui s’est spécialisé en numismatique », et qui aurait vécu la même mésaventure. Issam Khalifé déplore, en outre, l’absence de nomination de doyens. « Cela fait 2 ans et 3 mois que cela dure », et impute en partie la responsabilité de cette situation au président de l’UL « qui a tendance à monopoliser le pouvoir et à vouloir prendre toutes les décisions au lieu et place des présidents de section, des élèves et des doyens » précise-t-il. Aujourd’hui, les observateurs ne peuvent pas nier l’importance du nouveau bâtiment de Hadath et le saut qualitatif qu’il a provoqué tant pour les professeurs que pour les étudiants. Mais une université ne se bâtit pas uniquement par des murs, elle se construit surtout grâce à des hommes et des femmes déterminés à former des élites dans tous les domaines. Encore faut-il que la volonté politique ne vienne pas contrecarrer ce désir de faire parvenir la connaissance au plus grand nombre, ce qui malheureusement est le cas aujourd’hui à l’Université libanaise.
L’Université libanaise (UL) a dû, une nouvelle fois encore, encaisser l’impact des dissensions politiques sur ses campus en tentant tant bien que mal de limiter les mauvaises ondes qui proviennent du milieu politique. En effet, l’incident qui s’est produit, il y a environ deux mois de cela, sur le campus Rafic Hariri de Hadath et qui a opposé des étudiants sympathisants du Hezbollah...