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Actualités - REPORTAGE

60 % des Libanais enclins au départ : 61 % de chrétiens et 57% de musulmans L’émigration après la guerre de l’été en hausse vertigineuse DOSSIER RÉALISÉ PAR JAD SEMAAN

La guerre de l’été dernier a causé autant de départs à l’étranger que les événements de l’année 1975*, soit 400000 personnes, dont une partie est retournée au pays, en 1975 comme en 2006. Est-ce un mauvais présage ? Certaines données sont claires comme de l’eau de roche. Le nombre de demandes de visa «émigration» en cette année 2007, à destination des pays qui offrent encore cette possibilité, notamment le Canada, connaît une ascension vertigineuse. Les chiffres de la récente enquête du Centre libanais de la recherche sur l’émigration (LERC) sont tout aussi éloquents: 60% des Libanais souhaitent émigrer, 61,3% des chrétiens sont enclins au départ et 57,7% des musulmans le sont aussi. Les demandes de visa «court séjour» pour la France pour les mois de juillet à octobre 2005 étaient de 11 372. Pour la même période en 2006, ils étaient de 11 454. «La guerre pour deux prisonniers» ou «la victoire divine» n’a donc pas eu d’impact direct sur le nombre de demandes de visa «court séjour». À l’ambassade de Belgique, le consul, Carina Tuytschaever, confirme cette tendance. «Il n’y a pas eu de changement perceptible du nombre de demandes de visa, qui serait lié à la guerre de l’été dernier», assure-t-elle. Cette tendance est confirmée par les données de l’ambassade d’Allemagne. Entre janvier et juillet 2006, quelque 3500 demandes de visa ont été enregistrées contre 3300 demandes pour la période allant de juillet à décembre 2006. Cependant, le nombre de demandeurs d’asile libanais en Allemagne a augmenté de 2,2%, pour cette même période: avant la guerre de juillet, ils étaient 295 à demander l’asile; après la guerre, 306 autres demandes ont été présentées aux autorités fédérales. Un quota de 2500 visas par an Soyons lucides. Aucun des pays de l’Union européenne n’accorde de visa « émigration » depuis une décision remontant au début de la décennie 1970. Mais du côté du Canada, vers où l’émigration en bonne et due forme est encore possible, les données sont bien différentes. Contrairement à beaucoup d’autres secteurs d’activité dans le pays, les agents qui s’occupent des candidats à l’émigration ont vu leurs affaires s’épanouir après la dernière guerre. «C’est triste, mais c’est la réalité», affirme Henri Dib, qui dirige un bureau destiné aux candidats à l’émigration au Canada. «Avant juillet dernier, nous recevions en moyenne vingt demandes par jour, révèle-t-il. Aujourd’hui, nous traitons entre soixante-dix et cent demandes d’émigration par jour.» L’âge des candidats n’est plus le même non plus. «Ils avaient entre 23 et 30 ans pour la plupart. Aujourd’hui, la majorité des candidats a entre 30 et 45 ans», souligne Henri Dib. «Beaucoup de nos concitoyens n’ont plus aucun espoir en ce pays et ce sont les plus diplômés et les riches investisseurs qui s’en vont», remarque-t-il. À cet égard, il convient de signaler que le Canada octroie annuellement 2500 visas d’émigration pour le Liban. Le visa peut être individuel comme il peut être attribué à une famille nombreuse. Autrement dit, bien plus de 2500 Libanais partent, chaque année, s’installer au Canada (voir encadré). Du côté du «rêve américain», les permis de travail temporaires aux États-Unis accordés par l’ambassade sont passés de 194 en 2003 à 299 en 2004, puis à 360 en 2005. Quant aux visas d’étudiants aux États-Unis, ils ont grimpé à 426 en 2005 alors qu’ils étaient de 340 en 2003. La majorité veut partir En 1893, le Brésil comptait déjà 7214 émigrés libanais. En 1900, quelque 400 Libanais vivaient en Afrique. En 1901, les Libanais étaient au nombre de 4064 aux États-Unis, contre 2195 en Argentine et 1500 en Australie. En 1906, le total des Libanais émigrés était déjà de 80000 personnes, dont 69% de maronites, 15% de grecs-orthodoxes, 11% de grecs-catholiques et 5% de druzes et chiites**. Bien plus près de nous, la toute dernière étude du Centre libanais pour la recherche sur l’émigration (rattaché à l’Université Notre-Dame), LERC (www.ndu.edu.lb/lerc), montre que pratiquement les deux tiers (60%) des citoyens libanais interrogés souhaitent émigrer vers d’autres contrées. Seulement 39% des personnes interrogées étaient sûres de rester au pays. L’étude récente du LERC, qui porte le titre «Insécurité, émigration et retour, suite à la guerre de l’été 2006 au Liban», a été dirigée par deux professeurs universitaires, Guita Hourani, directrice du LERC, et Eugène Sensenig-Dabbous, et financée par le Consortium de l’Union européenne pour la recherche appliquée à l’émigration internationale (Carim). L’étude en question montre que 68% des personnes interrogées affirment que la guerre de juillet a eu un impact direct sur leur décision de partir. Quant à la raison du départ, 39% des sondés l’ont imputée au besoin de bâtir un meilleur avenir, tandis que 25% partiraient en raison de l’insécurité au Liban. Concernant la répartition confessionnelle, 61,3% des chrétiens sont enclins au départ et 57,7% des musulmans le sont aussi. Toujours dans la case du profil socio-démographique des candidats à l’émigration, 62% des jeunes âgés de 21 à 30 ans souhaitent s’en aller, contre 56% pour la marge d’âge 31-40 ans. Le second volet de l’étude concerne les émigrés eux-mêmes et les possibilités de leur retour au pays. Évidemment, les personnes interrogées étaient de divers horizons socioculturels. À l’instar de leurs compatriotes restés au pays, les inquiétudes et angoisses des émigrés libanais portaient sur l’instabilité politique et la peur des groupes armés au Liban. Les émigrés interrogés étaient 31% à dire qu’ils ne retourneraient pas en raison de l’instabilité du pays, 24% disent craindre la situation politique et 18% affirment ne pas vouloir rentrer pour des raisons économiques. Autre chiffre alarmant: 73% des sondés ont dit ne pas envisager un retour au pays au moins pour les cinq années à venir, contre 25% qui projettent d’y retourner. Concernant les effets de la guerre de juillet, 60% des émigrés ont répondu qu’ils avaient décidé de ne plus rentrer en raison de cette guerre alors que 37% ont répondu que la guerre de l’été n’a en rien influencé leur décision. 48000 départs définitifs par an Pour revenir aux chiffres de l’émigration, une étude publiée en mai 1995 dans le Commerce du Levant indiquait que 950 000 Libanais ont émigré durant la guerre civile (1975 à 1990). Plusieurs sources s’accordent à avancer un chiffre tournant autour du million de personnes parties définitivement durant la période 1975-1990. Une étude publiée par l’Universitaire Boutros Labaki en février 2001 confirme cette donnée et précise que 48000 personnes en moyenne ont annuellement émigré du Liban entre 1990 et 1994. La même étude signale qu’entre 1995 et 1999, le nombre des départs dépassait, par an, les 100000. En tout, quelque 1300000 départs ont été recensés entre 1975 et 2005. La palme d’or revient incontestablement à la guerre de l’été dernier qui a fait exploser tous les records: 400000 départs en un mois. Ce n’est pas là le vrai problème, puisqu’un grand nombre de ceux qui sont partis durant la guerre de juillet et août derniers sont retournés vivre au Liban. Mais la victoire du Hezbollah a coûté très cher à ce niveau. Elle a porté un coup sévère à la confiance des Libanais en l’avenir de leur pays. Le sondage d’Ipsos Stat réalisé pour L’Orient-Le Jour dès la cessation des hostilités révélait que 57% des 20-24 ans envisagent leur avenir professionnel à l’étranger, alors que 74% des 50-54 ans et des personnes âgées de plus de 65 ans envisagent leur avenir professionnel au Liban. La constatation est tout aussi simple qu’amère. Il ne resterait pratiquement plus au Liban que ceux qui ont connu et traversé, sains et saufs, les années de la guerre civile, les classes privilégiées et ceux qui n’auront pas les moyens de se payer un billet d’avion. J.S. * Boutros Labaki, Khalil Abou Rjeili, Bilan des guerres du Liban 1975-1990, Éditions L’Harmattan, Paris. ** Al-Hijra Min Moutassarrifiyyat Jabal Loubnan (L’émigration de la moutassarrifiyyat du Mont-Liban) 1861-1918, ouvrage du professeur Abdallah Mallah, vendu en librairies et au 26e Festival du livre d’Antélias, qui a lieu actuellement.
La guerre de l’été dernier a causé autant de départs à l’étranger que les événements de l’année 1975*, soit 400000 personnes, dont une partie est retournée au pays, en 1975 comme en 2006. Est-ce un mauvais présage ? Certaines données sont claires comme de l’eau de roche. Le nombre de demandes de visa «émigration» en cette année 2007, à destination des pays qui...