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Un socle qui prend corps dans le climat de l’après-guerre Dossier réalisé par Jean ISSA

1949. C’est l’après-guerre. Certes, l’on a de suite enchaîné sur la guerre froide. Mais le temps est à la reconstruction, presque partout. Sauf au Liban, où la jeune république dort sur les lauriers de l’indépendance acquise en 43, et se laisse pourrir par les conflits d’intérêts et les zizanies politiciennes. Autant qu’à cause des complications de la mosaïque locale, alourdie par l’afflux en 1948 de quelque 120 000 réfugiés palestiniens fuyant leur terre après la (première) défaite face au nouvel État hébreu. Le 17 mars 1949, une date charnière. Ce n’est pratiquement plus l’hiver, et pas encore le printemps. C’est donc sous ce signe de trait d’union que le Parti socialiste a vu le jour, cette année 1949. Vingt-huit ans plus tard, en 1977, le régime de Damas, que Walid Joumblatt pointe du doigt, célébrait cet anniversaire à sa manière, en faisant assassiner, le 16, Kamal Joumblatt, alors âgé de 60 ans. Le brevet de naissance du PSP, l’avis de notification (« eelm wa khabar »), porte le numéro 789. Autour du père, alors député au Parlement, diplômé en droit, se groupaient : – Farid Gébrane, également député, désigné contrôleur des comptes. – Albert Adib, éditeur de la revue al-Adib (L’Écrivain). – Abdallah Alayili, chercheur et auteur, issu de l’université cairote d’al-Azhar. Il a été chargé d’établir les statuts du parti. – Fouad Rizk, juriste renommé. – Georges Hanna, médecin. Le 1er mai, Joumblatt devait tenir à son domicile de Beyrouth une conférence de presse pour rendre publique la création de son parti et en divulguer le pacte. L’année suivante, 1950, devait être consacrée à la transformation du groupe de son état initial de cénacle élitiste en parti de masses populaires. Le 1er avril, le siège principal de Beyrouth a été inauguré, où il y avait d’autres succursales de quartier, tandis que des branches s’installaient dans nombre de localités du Chouf, fief de Joumblatt, ainsi qu’à Zahlé, Rachaya, Baalbeck et Jbeil. Aujourd’hui, l’on dénombre plus de 16 000 militants affiliés au parti. Qui, depuis le départ, recrutait sur une base laïque, attirant nombre d’intellectuels de gauche. Mais, bien entendu, son réservoir principal reste la population druze de la Montagne. Par vocation naturelle, le PSP s’est tout de suite engagé dans une série de revendications sociales ou politiques. Il a ainsi présenté des projets pour une allocation-chômage, une coopérative agricole ; pour une assurance-maladie, la création d’un conseil des métiers, la suppression des titres distinguant ou discriminant les classes sociales, et une refonte de la loi électorale. Premiers coups d’éclat En 1951, le PSP a organisé à Beyrouth le tout premier congrès des Partis socialistes de Syrie, d’Égypte et d’Irak. En 1952, il a assumé un rôle pilote dans la formation d’une coalition d’opposition, d’ailleurs baptisée Front socialiste. Cette alliance englobait en réalité aussi bien la droite que la gauche nationale. À titre d’exemple, le Bloc national, adversaire traditionnel du Destour, parti du président Béchara el-Khoury, en était l’un des piliers, aux côtés de Hamid Frangié et des Kataëb de Pierre Gemayel. Après la démission du président Khoury, le Front a fait élire à sa place Camille Chamoun. Cependant, l’alliance entre le nouveau chef de l’État, lui-même leader au Chouf, et Kamal Joumblatt ne devait pas se prolonger. Chamoun a été accusé d’avoir retourné sa veste pour rejoindre la ligne américaine, en adhérant au pacte Dulles, dit de Bagdad. En 1953, le PSP a été le moteur d’un Front socialiste populaire regroupant toutes les fractions de gauche hostiles à la politique de Chamoun. Puis le PSP a pris les armes en 1958 contre le régime, en créant même des tribunaux de campagne bien à lui. Il a participé aux affrontements, en perdant au combat nombre d’éléments, aux côtés des nassériens comme des partisans du président Saëb Salam qui dirigeait le soulèvement à Beyrouth. Il convient de souligner toutefois que s’adressant à Abdel Nasser, alors président d’une RAU (République arabe unie) englobant la Syrie, Joumblatt lui avait fermement fait valoir, dans un discours resté célèbre, que l’indépendance du Liban ne devait sous aucun prétexte être remise en cause par qui que ce soit, ami ou ennemi. Notons dans ce cadre, au sujet de Chamoun, qu’en octobre 1990, après le massacre de son fils Dany, président du PNL, de sa femme Ingrid et de leurs deux garçons, Tarek et Julian, Walid Joumblatt leur a fait rendre d’émouvants hommages, avec cérémonies, portraits, cordons blancs et banderoles, dans tous les villages druzes ou mixtes de la Montagne. Le Deuxième Bureau À l’issue des événements de 1958, sous Chéhab, le parti et son chef sont restés loyalistes pendant quelques années, Joumblatt étant alors régulièrement nommé ministre, notamment de l’Intérieur. Poste où il s’est distingué à plusieurs reprises par son impartialité politique. Il refusait de participer aux combines électorales, municipales ou associatives, visant certains de ses adversaires politiques, dont Salam, qui dirigeait les Makassed. Et par son sens de l’ordre et de la moralité publics. Également chef d’un important bloc parlementaire, une constante dans sa famille, il lui avait donné en 1960 le nom de Front de la lutte nationale. Plus largement, il fondait la même année un Front des partis progressistes, qui devait constituer le noyau du Mouvement national formé pendant la guerre de 1975. Cependant, Joumblatt a fini par se détacher des chéhabistes. Principalement parce qu’il n’admettait pas la mainmise du Deuxième Bureau (SR militaires) sur le pouvoir politique. Et qu’il récusait, au nom de la démocratie, toute forme de dualité antilibertaire. On raconte à ce propos, que le film de Costa Gavras intitulé Z, fustigeant le totalitarisme de la junte militaire alors au pouvoir en Grèce, l’avait beaucoup impressionné. Et qu’il avait décidé de ne plus fermer les yeux sur les excès, les brutalités ou les pressions abusives que commettaient à ciel ouvert les cadres ou les agents du Deuxième Bureau. Les années rouge sang Joumblatt se focalise alors sur le socio-politique. Il mène campagne pour protéger, avec des barrières douanières, la production libanaise. Pour améliorer les conditions des prolétaires et des paysans. Le PSP présente dans ce cadre un programme en 12 points, dont le logement reconnu comme droit imposable ; la réduction des impôts directs ; la lutte contre le chômage, notamment par des facilités octroyées à l’agriculture ou à l’industrie ; la participation du travailleur aux bénéfices des entreprises ; la nationalisation des sociétés d’exploitation ; la Sécurité sociale ; la protection des libertés syndicales. Parallèlement, le parti réclamait de nouveau la révision de la loi électorale ainsi qu’un plan pour assurer l’eau et l’électricité à tous les villages reculés. Ou encore, l’application stricte du principe de réciprocité et d’égalité dans la conclusion d’accords économiques. La distanciation d’avec le régime devait s’accentuer sous le successeur de Chéhab, le président Charles Hélou. D’autant que la catastrophe de la guerre des Six-Jours, en juin 1967, avait constitué pour Joumblatt, comme pour tant d’autres, un choc profond, décisif. De plus, Israël agressait le Liban même, attaquant par exemple l’AIB le 29 décembre 1968, pour y détruire 13 appareils de la MEA. En avril-mai 1969, des heurts opposent les fedayins du Arkoub à l’armée libanaise. Joumblatt prend dès le départ fait et cause pour les Palestiniens. Le PSP voit en effet dans leur cause un problème panarabe vital. La situation s’aggrave. En 1971, les Palestiniens, nettoyés par Israël en Jordanie où leurs bases sont détruites, n’ont plus que le territoire libanais pour agir. En 1973, ils s’accrochent de nouveau avec l’armée libanaise. Entre le 10 et le 23 avril, des commandos israéliens assassinent à Beyrouth plusieurs de leurs cadres. Ce qui révolte encore plus Joumblatt. La guerre intestine éclate en 1975. Au tout début, le PSP s’efforce de jouer les pompiers. En août, il présente à cet effet un programme basé sur des projets de réforme. Mais il n’est guère entendu, le son du canon couvrant déjà toute voix. Du 28 du même mois au 1er septembre, des combats se produisent à Zahlé, 26 tués. Puis entre Tripoli et Zghorta. Les éléments progressistes sont en première ligne. En 1976, les Palestiniens mettent tout leur poids militaire à leurs côtés. C’est presque la fusion : Joumblatt crée et dirige le Mouvement national, qui se réunit régulièrement en présence de Yasser Arafat. Le 21 mars, à l’issue de la bataille dite des grands hôtels, le Holiday Inn tombe aux mains des combattants progressistes, bien implantés dans les quartiers voisins. Joumblatt s’impose comme le chef militaire autant que politique du camp propalestinien. Il veille cependant alors à ce que la Montagne reste quiète, sans accepter d’y ouvrir un nouveau front, ni de laisser les Palestiniens s’y répandre. L’été est moins favorable pour sa fraction. Le camp de Tall el-Zaatar tombe le 12 août, après 52 jours de siège. Et, surtout, la Syrie décide de soutenir le camp dit de l’Est. Finalement, le 18 octobre, les accords de Ryad sont signés, renforcés par ceux du Caire, le 26. Aux termes du contrat, une Force de dissuasion arabe, que la Syrie dirige en fait comme elle veut (les contingents des autres pays devant se retirer les uns après les autres au fil des mois), se déploie au Liban. Joumblatt y voit une sorte d’occupation, et ne le cache pas à Assad. Une entrevue de huit heures les réunit. Le résultat étant que le leader libanais est assassiné, sur la route menant à son palais de Moukhtara, le 17 mars 1977. Retournement Un crime que Damas a dû sans doute regretter l’année d’après. Car après l’invasion israélienne du 14 au 19 mars 1978, et le déploiement des 4 000 hommes de la Finul, la Syrie, mécontente de Camp David, se retourne contre ses précédents alliés chrétiens et les attaque à Beyrouth. 150 tués au moins, avant que les pressions arabes ne fassent cesser les tirs syriens. Qui dirigent, en juin, leurs canons contre Zahlé. En 1979, le PSP officialise son adhésion à l’Internationale socialiste, dont Walid Joumblatt est nommé vice-président. Lors de la grande invasion israélienne du 6 au 30 juin 1982, le PSP tente d’y résister. Il parvient, selon ses chroniques, à rouvrir la route Beyrouth-Damas, en assurant de même la jonction avec la résistance au Sud. Il s’accroche, le 30, avec les Kataëb, 17 tués. Le 3 juillet, siège de Beyrouth. Bombardements du 24 au 28. Le 18 août, le plan Habib est accepté. Le PSP dit alors adieu à ses alliés palestiniens, aux 15 000 fedayin qui se replient sur Tripoli. D’où ils seront chassés, le 22 décembre 1983, par les Syriens. La même année, le PSP fait une expérience de canton autonome, en instituant dans la Montagne ce qu’il appelle l’administration civile, pour pallier l’absence de l’État. Il supervise le fonctionnement des institutions pédagogiques ou sociales et assure diverses prestations publiques, côté approvisionnement, eau, électricité, santé ou télécommunications. Politiquement, le PSP participe, le 23 juillet 1983, à la formation d’un front d’opposition au régime d’Amine Gemayel, front auquel participent également les présidents Sleimane Frangié et Rachid Karamé. Le 4 septembre, il est débarrassé des Israéliens qui se retirent du Chouf. Aussitôt, le 6, il encercle les chrétiens et occupe la région. Puis, 1 200 à 1 500 chrétiens sont massacrés. 145 000 d’entre eux fuient la Montagne. 111 villages sont rasés, 85 églises et quelques sanctuaires druzes sont incendiés. Cette guerre de la Montagne contraste avec le fait que Walid Joumblatt, surmontant sa douleur dans les heures qui avaient suivi l’assassinat de son père en 77, était intervenu pour empêcher la poursuite de tueries de représailles qui avait fait 147 victimes chrétiennes. Du 31 octobre au 4 novembre, Joumblatt participe à la conférence de réconciliation nationale organisée en Suisse. Conférence qui ne donnera finalement rien : le 6 février 1984, le mouvement Amal, soutenu par la 6e brigade dissidente de l’armée, s’empare de Beyrouth-Ouest. Le PSP contrôle de son côté l’axe Aïn Ksour-Damour et opère sa jonction avec Amal le 30 avril. Walid Joumblatt entre cependant dans le cabinet d’union nationale formé alors avec Camille Chamoun, Rachid Karamé, Pierre Gemayel et Nabih Berry. En 1985, le PSP s’attaque, au sud-est de Saïda, à la présence FL, en y rasant les villages et en tuant des centaines d’habitants. Il participe, le 6 août, à la création d’un Front d’unité nationale, aux côtés d’Amal et d’une douzaine de partis. Mais du 20 au 24 novembre, une violente bataille, dite la guerre du drapeau (que le PSP récusait alors), l’oppose au mouvement chiite. Ils se retrouvent tous les deux, cependant, engagés dans la solution regroupant toutes les milices, élaborée le 28 décembre à Damas. Un plan qui devait tomber à l’eau, Élie Hobeika, FL, se trouvant évincé le 15 janvier 1986. Début 1987, combats en montagne : 200 tués en une semaine. Le 22 février, les Syriens réinvestissent Beyrouth-Ouest. Et réconcilient Joumblatt avec Berry, le 19 juin. Une bataille de tranchées oppose, à Souk el-Gharb, les forces du PSP aux unités de Michel Aoun, alors commandant en chef de l’armée. En 1988, le PSP amorce son revirement en établissant un plan pour le retour en Montagne des déplacés chrétiens. Plan annoncé lors d’une conférence tenue à Beiteddine et approuvé par l’État. Joumblatt prend en charge le dossier, un ministère étant créé à cet effet. Cependant, ce n’est qu’une bonne douzaine d’années plus tard qu’il pourra organiser, pour le patriarche Sfeir, une tournée historique en Montagne, afin de sceller la réconciliation druzo-chrétienne. À noter que, 17 ans après la paix, le retour des déplacés n’est toujours pas parachevé. Le 1er octobre 2004, attentat contre Marwan Hamadé, qui en réchappe de justesse, mais se trouve grièvement blessé. Joumblatt l’appellera le martyr vivant. Le 14 février 2005, Rafic Hariri est assassiné. Ces deux crimes portent Joumblatt à devenir l’un des chefs les plus en vue, et les plus virulents, du camp indépendantiste du 14 Mars. Pour bien marquer la priorité des options libérales de son progressisme, il dirige un regroupement baptisé Rencontre démocratique. Et il se rend régulièrement dans cette Amérique, jadis honnie, dont un puissant bâtiment de guerre, le New Jersey, bombardait du large ses positions dans la Montagne.
1949. C’est l’après-guerre. Certes, l’on a de suite enchaîné sur la guerre froide. Mais le temps est à la reconstruction, presque partout. Sauf au Liban, où la jeune république dort sur les lauriers de l’indépendance acquise en 43, et se laisse pourrir par les conflits d’intérêts et les zizanies politiciennes. Autant qu’à cause des complications de la mosaïque locale,...