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Actualités - CHRONOLOGIE

Assassinat Hariri - Cent ans sans sentence ? Le tribunal : erreurs de casting, de lexique et de trajectoire Jean ISSA

Au train où s’amorcent et vont, ou ne vont pas, les choses, justice ne serait pas rendue aux mânes de Rafic Hariri – comme des martyrs qui l’ont accompagné, précédé ou suivi – avant cent ans. À cause de l’obstructionnisme syrien ou prosyrien ? Certes, et l’on y reviendra. Mais également à cause d’autres facteurs à caractère judiciaire, policier ou politique. Justement, pour commencer, ce terme mixé d’« à caractère international » accolé à la dénomination du tribunal appelé à connaître de l’assassinat de l’ancien Premier ministre et d’autres crimes terroristes commis ici. Cela rappelle un peu la devise équivoque d’antan « Le Liban, pays à visage arabe ». Que votre oui soit oui, que votre non soit non, commandent les Écritures. L’ambiguïté, le mélange, l’amalgame ne sont jamais sains. Surtout en termes de justice : la vérité vraie du bon Dieu peut-elle être double, panachée, vue sous des angles distincts ? Peut-elle être jugée à l’aune, différente quant au fond, de l’internationalisme antiterroriste et de la souveraineté, de la blessure aussi, d’une nation déterminée ? En droit absolu, devant un tribunal international, créé sur ordre de l’autorité suprême qu’est le Conseil de sécurité, dont la loi prime sur tout autre, le Liban doit être plaignant, partie civile. Tout autant accusateur que le parquet, même si ce n’est que contre X. Il ne peut donc être en même temps juge et partie. Quitte du reste à engager chez lui un procès propre, en tant qu’État de droit. S’il le peut, ou s’il le souhaite. Ce qui n’est visiblement pas le cas. Et nul, étant donné la situation terrible où il se trouve, n’irait lui reprocher de faire abstraction de cette responsabilité. Cas de force majeure oblige. Fragilité Il faut ajouter, et reconnaître, qu’avec ou sans crise politique, la justice libanaise reste encore trop fragile pour assumer un dossier aussi lourd. Il y a d’abord une question primordiale d’empêchement sécuritaire. Qui lui interdirait d’agir sereinement. On sait ainsi qu’il existe une solide tradition locale aux termes de laquelle un procès présentant des aspects de la sorte, ou de conflit d’intérêts (vendetta ou trafic par exemple), est transposé d’une juridiction régionale à une autre. Mais ce n’est pas tout, infortunément. Le corps judiciaire libanais est encore loi d’avoir parachevé sa réforme. Il reste perméable, sensible, aux pressions des cercles influents de toute sorte, comme de l’opinion en général. Pourquoi ? Parce que le juge est un être de chair et de sang, on le voit dériver dans bien d’autres pays avancés, cf. la triste affaire d’Outreau. Et, à part cette généralité humaine, le juge libanais est souvent tributaire de son recrutement, sinon de sa désignation, de l’appui de tel ou tel. Et parfois, tout simplement, bénéficiaire d’un héritage de famille. Le Conseil supérieur de la magistrature entreprend certes le redressement, sous la direction avisée d’Antoine Khair. Il se heurte cependant à beaucoup de résistance. Et ainsi, en novembre dernier, le Premier président a eu ouvertement maille à partir avec un régime refusant de signer le décret des nominations-permutations judiciaires. C’est donc une grave erreur judiciaire, commise déjà avant de dire droit, que de vouloir désigner des juges libanais au sein d’une Cour internationale. On voit mal, par exemple, le secrétariat général de l’ONU nommer des magistrats provenant de pays qui, sans même être directement concernés, ont réagi en flèche, ou abondamment commenté, l’assassinat de Rafic Hariri. Personne ne pense ainsi qu’il y aurait des Américains, des Syriens, des Français ou autres Saoudiens siégeant au tribunal. Le barrage Assassinat terroriste et politique. Les deux se confondent. Dès lors, la politisation est inévitable. Elle est d’ailleurs déjà un fait accompli. Comme ont pu l’être, par la force des choses, le Watergate en Amérique ou l’affaire Dreyfus en France. Ainsi, la majorité locale ne cesse de marteler que la démission des ministres chiites, donc la supercrise présente, ont pour cause essentielle l’obstructionnisme syrien. Et le mot d’ordre qui en découle à l’adresse du Hezbollah, meneur de jeu dans le camp opposant. Le plus regrettable, sans doute, reste que Damas ne veut manifestement pas se contenter des amendements de statut obtenus via la Russie. Ni du fait que le tribunal, prévu à l’origine (et tout naturellement) pour être uniquement international, se soit vu adjoindre des juges libanais. À la demande pressante de l’opposition du cru. Ainsi, Bachar el-Assad a-t-il déclaré sans sourciller à Amr Moussa, qu’il ne saurait desserrer l’étau sur le pouvoir libanais, ou faciliter une solution de la crise au Liban, tant que le tribunal ne serait pas gommé des tablettes, relégué aux oubliettes. Ou, à tout le moins, réduit à l’état de marionnette inoffensive (pour son régime, s’entend). Comment donc parler de dépolitisation ? Elle ne peut qu’être circonscrite à l’impartialité, probable, des juges. Mais les débats de la Cour, et surtout son verdict quel qu’il soit, vont forcément entretenir le caractère (décidément on n’en sort pas) politisé du dossier. Par les inéluctables réactions qu’ils vont entraîner, du côté de toutes les parties concernées. Sans compter la houle qu’auparavant le rapport Brammertz définitif, si jamais il est rendu, aurait provoquée.
Au train où s’amorcent et vont, ou ne vont pas, les choses, justice ne serait pas rendue aux mânes de Rafic Hariri – comme des martyrs qui l’ont accompagné, précédé ou suivi – avant cent ans. À cause de l’obstructionnisme syrien ou prosyrien ? Certes, et l’on y reviendra. Mais également à cause d’autres facteurs à caractère judiciaire, policier ou...