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Actualités - OPINION

Le Grand Inquisiteur et le bréviaire de la haine Pr Antoine COURBAN

On oublie parfois que Satan n’est pas un griffon cornu et fourchu mais le plus beau et le plus lumineux des anges, celui-là même qui refusa de se prosterner devant Adam quand Dieu imprima son image sur ce vulgaire tas de glaise qu’on appelle homme, du moins selon certains écrits apocryphes et le Coran. La plus belle ruse du mal est de faire croire, justement, qu’il est laid et qu’il fait peur. On oublie ainsi qu’il est avant tout terriblement séducteur. C’est, en gros, l’enseignement d’Étienne de La Boétie dans son Discours sur la servitude volontaire ainsi que celui de Dostoïevski dans l’extraordinaire Discours du Grand Inquisiteur. Qu’on le veuille ou non, les hommes semblent parfois ne pas aimer la liberté et lui préférer l’enchantement des grands mouvements de masse quand les prédateurs de la cité, les inquisiteurs de tout poil, occupent l’agora et parviennent à mobiliser les multitudes malgré leurs discours liberticides. On demeure songeur en écoutant la jeunesse libanaise actuelle qui, à cet égard, ne doit pas différer de celle du reste du monde. Son engouement pour le populisme et la démagogie peut faire sourire alors qu’il devrait susciter les plus graves inquiétudes. Le fascisme rampant qui monte autour de nous est redoutable et annonce des lendemains sombres si on n’y prend pas garde. Jadis, il semblait aller de soi d’être communiste et révolutionnaire à 20 ans. Face à l’injustice, les jeunes universitaires protestaient contre les inégalités et voulaient construire un monde meilleur où les richesses seraient mieux réparties et où les différences de classe seraient moins scandaleuses. Mais que veut la jeunesse actuelle de notre pays ? Et pourquoi les discours démagogiques les plus populistes, tenus par des vieillards hargneux et vindicatifs, ont-ils tant de succès sur les campus? Tendez l’oreille aux jeunes et vous comprendrez. Les vieilles idéologies sont mortes, les revendications des ex-damnés de la terre sont aujourd’hui remisées au grenier. Le communisme de papa ne fait plus recette. La flamme de l’idéal révolutionnaire du marxisme est éteinte. Les jeunes d’aujourd’hui n’ont plus de références comme leurs aînés, ils ne sont donc plus intéressés par la répartition équitable des richesses mais par la seule probité morale des «leaders», de ceux qui exercent le pouvoir. Ils veulent des leaders propres. Le pouvoir paraît s’identifier, dans leur imaginaire du moins, avec la moralité de ceux qui l’exercent. Voilà en quoi semble se résumer toute l’ambition politique d’une génération. Un tel idéal est inquiétant. Il annonce une dérive puritaine, donc liberticide, de la vie publique. Curieusement, cet absolutisme puritain de l’espace public irait de pair avec un relativisme moral de l’espace privé. Promenez-vous sur les campus de Beyrouth et écoutez les jeunes séduits par le populisme revanchard. Point de recherche du bien commun. Aucun écho de la moindre «chose publique» ou d’une quelconque notion d’État ou de cité. Aucune réflexion sur un modèle de société, ou sur des choix culturels fondamentaux. Aucun débat sur les droits de l’homme. Vous n’entendrez rien, ou très peu, en dehors du refus de certains hommes identifiés au «mal», c’est-à-dire aux malversations financières. Toute la dynamique démocratique de lutte pour le pouvoir se résumerait à éliminer les représentants actuels du «mal» afin de les remplacer par ceux du «bien», c’est-à-dire leurs contestataires. Peu importent les programmes, peu importe la monstruosité d’un modèle culturel fondé sur l’absolutisme totalitaire, peu importe le sang des hommes libres assassinés par les protecteurs des représentants du «bien». Peu importe la notion de libertés publiques pourvu qu’un tel soit au pouvoir car un tel est réputé honnête ou je ne sais quelle autre raison tirée du bréviaire de l’absolutisme moral que Léon Poliakov appelle, à juste titre, le «bréviaire de la haine». Le phénomène n’est pas si banal que cela et ne peut être réduit à une simple saute d’humeur. Il pourrait annoncer une véritable lame de fond qui verrait le pouvoir au Liban devenir pire que tous ceux des régimes obscurantistes de la région. Ces derniers sont vulgairement autoritaires. Mais le Grand Inquisiteur qui s’invite au Liban est une divinité à deux visages: l’ordre brun de la brutalité puritaine et l’ordre noir de l’absolutisme métaphysique. Les universités libanaises ont un devoir moral ainsi que l’obligation civique de se mobiliser afin de sauver cette jeunesse et de laisser le Grand Inquisiteur hors de l’enceinte universitaire. C’est une question de vie ou de mort pour les libertés publiques. Article paru le Mardi 09 Janvier 2007
On oublie parfois que Satan n’est pas un griffon cornu et fourchu mais le plus beau et le plus lumineux des anges, celui-là même qui refusa de se prosterner devant Adam quand Dieu imprima son image sur ce vulgaire tas de glaise qu’on appelle homme, du moins selon certains écrits apocryphes et le Coran. La plus belle ruse du mal est de faire croire, justement, qu’il est laid et qu’il...