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Actualités - REPORTAGE

Les psychanalystes mettent en garde contre les dangers de récidive Le risque de guerre civile est-il imminent ou réversible ? Jeanine JALKH

Le mot est sur toutes les lèvres, mais personne n’ose le prononcer : la guerre. L’hideuse, effroyable et monstrueuse guerre peut-elle ressurgir de ce trou noir dans lequel les Libanais l’ont ensevelie il y a plus de 16 ans déjà? L’idée effleure les pensées, taraudent les esprits, mais reste encore confinée à la spéculation et à l’éventuel. Envisager une nouvelle guerre civile relève encore, pour le Libanais, de l’ordre du tabou, quand bien même le contexte environnant viendrait lui rappeler à chaque instant son imminence. Si la majorité des théoriciens et analystes politiques est aujourd’hui convaincue que les Libanais – désormais blindés par une expérience on ne peut plus douloureuse – ne passeront pas à l’acte, même si le contexte géopolitique s’y prêterait et les composantes logistiques disponibles, il n’en va pas de même pour un certain nombre de psychanalystes, qui perçoivent un risque sous-jacent et pernicieux de voir « les différents protagonistes acculés à réitérer la même erreur », du fait d’une prédisposition mentale, psychique, voire historico-culturelle. Un risque énorme, certes, mais qui n’est pas incontournable, dès lors que la prise de conscience est déclenchée et la volonté raffermie, assurent quelques-uns. Mais d’où vient donc ce risque, et comment en sommes-nous arrivés au point d’évoquer même cette hypothèse d’autant plus troublante que l’on n’a cessé de répéter à ce jour presque inlassablement : « Plus jamais ca » ? Pour Marie-Thérèse Kheir Badawi, tant que les Libanais n’ont pas encore fait le travail de mémoire en confrontant leurs traumatismes et tabous pour pouvoir enfin se réorganiser en conséquence, le péril guette et la récidive est possible. Car, soutient la psychanalyste, la guerre civile, qui a endeuillé des centaines, voire des milliers de familles libanaises et déchiqueté l’âme du pays, s’est subitement tue comme si de rien n’était. Accablés d’un lot de traumatismes innommables, les Libanais ont décidé de s’en décharger au plus tôt en ressoudant, à la va-vite, les plaies béantes provoquées par 20 ans de conflit civil. Ont-ils eu raison de « mettre entre parenthèses » l’épisode macabre de l’histoire moderne de leur pays, et de tourner la page aux scénarios de haine et de violence qu’ils ont eux-mêmes mis en scène des décennies durant ? Non, tranche le professeur, qui estime que le pays du Cèdre n’a pas encore fait son deuil, ni désigné ses maux pour pouvoir enfin s’en libérer et se reconstruire. C’est la mission qui incombe à l’ensemble de la classe politique et intellectuelle, appelée aujourd’hui à exorciser le mal profond autour d’une vraie table de discussion et dans le cadre d’une structure ad hoc. Anissé el-Amine explique pour sa part ce qui, aux plans historique, sociétal et psychologique, a propulsé une fois de plus les Libanais au sein de « clans politiques » – différents mais avec les mêmes problématiques – réveillant en eux des niveaux très archaïques, c’est-à-dire les appartenances. La psychanalyste justifie ce nouveau repli par « une insécurité fondamentale » qui s’explique différemment chez le sunnite, le maronite, le chiite ou le druze, animés par des angoisses et des inquiétudes propres à chacun. Celles-ci ont ressurgi à la surface dès lors que la lacune sécuritaire, au sens étatique du terme, est redevenue patente. La psychanalyste est cependant catégorique : une guerre civile n’aura pas lieu, assure-t-elle, en tous les cas tant que la haine et la violence continuent d’être exprimées verbalement à travers différentes tribunes. Chawki Azouri craint de son côté l’effet hypnotiseur que pratiquent, sans le savoir ou en connaissance de cause, nos leaders charismatiques sur leurs foules respectives.Le psychanalyste développe, à partir de la théorie freudienne du moi, du ça et du surmoi, l’impact que peut avoir l’hypnotiseur – le chef politique dans ce cas – sur ce qu’il appelle « l’idéal du moi ». idéalisé par chacun des membres de la foule, le leader l’assujettit alors complètement à son discours, pour le bien ou pour le mal. Il ne tient donc qu’à ces meneurs de foules, bien nombreux au Liban, de donner chacun l’ordre à ses partisans de tirer sur la gâchette, soutient le psychanalyste. Autant de points de vue complémentaires qui expliquent assurément cette latence chez le citoyen libanais. Il ne revient qu’à lui, en définitive, de la rendre réversible, à condition qu’il fasse auparavant son devoir de mémoire, de deuil, de pardon et enfin de réconciliation.
Le mot est sur toutes les lèvres, mais personne n’ose le prononcer : la guerre. L’hideuse, effroyable et monstrueuse guerre peut-elle ressurgir de ce trou noir dans lequel les Libanais l’ont ensevelie il y a plus de 16 ans déjà? L’idée effleure les pensées, taraudent les esprits, mais reste encore confinée à la spéculation et à l’éventuel. Envisager une nouvelle...