PORTRAIT D’ARTISTE - Son tableau, « La vierge veuve », est exposé au Salon d’automne du musée Sursock Élissa Raad: de la peinture sociale...

Sa « Vierge veuve » (huile sur toile) est l’une des pièces marquantes de ce 27e Salon d’automne du musée Sursock*. Une composition magistrale représentant une femme dévastée, anéantie, assise, nue, ou plutôt abandonnée sur une chaise, au centre d’un espace à son image: saccagé, ravagé, déserté... Seul son regard vers la fenêtre, qui laisse filtrer dans le clair-obscur un rai de lumière, traduit un soupçon d’espoir par l’attente qu’il exprime. «En fait, pour moi, elle attend quelqu’un qui ne va jamais venir, quelque chose qui est déjà mort. Mais cette attente, cet espoir, si faible soit-il, la maintiennent en vie», explique Élissa Raad, la signataire de cette peinture, fascinante d’éloquence poignante et de perfection technique. Au-delà des multiples interprétations que l’on peut y trouver (viol, sort de la femme, métaphore d’un Liban ravagé, etc.), ce tableau d’une terrible noirceur n’en demeure pas moins une œuvre séduisante. «J’aime combiner le plus harmonieusement possible le fond et la forme», indique cette artiste, qui avoue un sens « torturant » du détail ainsi qu’une recherche quasi obsessionnelle de la perfection, de l’exactitude et du réalisme. «Je suis très réaliste, je ne rêve pas», affirme d’ailleurs Élissa Raad, qui dit s’inspirer de son vécu, des expériences et des choses vues autour d’elle. Dans ses croquis au pastel, elle reproduit des scènes de rue, des attroupements, des discussions, des échanges. Des silhouettes debout, raidies, des épaules affaissées, des têtes voûtées... En noir, toujours, «l’élément» le plus important à ses yeux dans une toile. «Car tout est noir toujours. Sans la lumière, qui donne les couleurs, il n’y aurait que du noir.» Dénoncer l’injustice, la misère... Dans Zone d’intersection, une précédente huile sélectionnée il y a deux ans par le Salon d’automne du Musée Sursock, elle évoquait, à travers une représentation d’un ouvrier perdu sur un chantier avec pour seule compagnie un chien errant, les paumés de l’existence. Traité avec une palette quasi monochrome et cependant riche de tonalités et de minutieux détails, ce tableau dégage un même sentiment de solitude, d’abandon et de désespoir que La vierge veuve. Un thème récurrent dans l’œuvre de cette jeune femme qui promène un regard sombre, franchement pessimiste, sur la vie, les êtres, les situations. «Je n’y peux rien, je suis comme ça, c’est ma vision profonde», dit-elle, en s’excusant presque. En fait, si elle s’adonne aux œuvres graves, c’est par esprit social. «Je peins pour dénoncer l’injustice, la misère, la violence, le désespoir», avoue-t-elle. Poursuivant: «Si je maîtrisais l’écriture, j’aurais défendu ces thèmes par écrit. Il se trouve que j’ai toujours été plus douée pour le dessin.» Et pour la musique, le piano qu’elle abandonnera justement après plus de onze ans de cours pour le pinceau, la toile et la palette. «En musique, je n’étais capable que d’interprétation, je ne me sentais pas capable de composer. Il me fallait un moyen d’expression plus personnel.» Elle laisse tomber les gammes pour la gamme des couleurs, des tonalités et des sentiments. Mais de ses années musicales, elle a gardé cette sensibilité exacerbée, cette intensité, qui la poussent à vouloir provoquer chez le spectateur de ses toiles «des impressions fortes. J’aime qu’il y perçoive la violence vécue, la douleur ressentie, l’émotion profonde...» Une aspiration au réalisme expressif qui mène ce pinceau. Tenu d’une main ferme, reliée à un cœur battant d’humanisme... Zéna ZALZAL * Le Salon d’automne se tient jusqu’au 31 janvier 2007.