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AUTEURS EN DIRECT - Rencontre avec le prix Goncourt et prix de l’Académie française 2006 « Je ne suis pas un écrivain, j’ai écrit un livre », dit Jonathan Littell

L’enfant terrible de la littérature française couronné de prix (Goncourt et Académie française 2006), Jonathan Littell, est de passage à Beyrouth dans le cadre de l’opération «Auteurs en direct» qui remplace le traditionnel Salon du livre. Rencontre un peu à la sauvette en raison d’une programmation serrée, entre deux conférences, entre deux rendez-vous, au Centre culturel français. Rencontre avec un auteur surprenant, d’une charmante courtoisie, parfois peu loquace, mais en tout cas guère à l’image provocatrice de son personnage Maximilien, dit Max. Un personnage hors norme, nageant en toute liberté et cruauté enrobée de raffinement dans le stupre nazi, dans le monumental ouvrage Les bienveillantes (Gallimard, 903 pages). Un livre-fleuve, à tenir loin des petites natures, des âmes sensibles et dont la lecture ne s’inscrit pas du tout sous le label « vite lu, vite oublié »… Les traits tirés et un peu pâle, le regard bleu mobile, les cheveux blonds légèrement en bataille, la silhouette fine dans un costume gris avec chandail gris (au bout de manches élimées qui s’effilochent !) et chemise blanche, Jonathan Littell a ici quelque chose de la prime adolescence un peu excédée après une journée de fatigue. Une allure, un mouvement, mais pas le timbre de la voix, le tranchant de certaines réponses et la nervosité du geste. Avec un art consommé, mais franc, de l’esquive dans les réponses. Pas tout à fait des dérobades, mais une farouche volonté de défendre les terrains interdits, les carrés de privauté, le secret d’une inspiration…Un homme discret et pas bourru. À quarante ans, un homme pressé qui va droit à l’essentiel, à l’efficace. Pas de boucle d’oreille comme dans les photos qui ont littéralement inondé la presse. Un petit sourire avant de répondre : « Non, je ne porte pas de boucle d’oreille. On m’a conseillé de l’enlever avant de venir… » Mais à son petit doigt brille une bague, comme une chevalière. « C’est une copie de bague afghane en métal blanc », confie-t-il en toute simplicité, surpris par l’intérêt qu’elle suscite. Arrivé depuis deux jours au pays du Cèdre, Jonathan Littell a déjà visité Sidon, Tyr ( « Mais on n’a pas pu aller plus loin au Sud », souligne-t-il) et c’est exténué et avec une quinte de toux qu’il débarque des hauteurs des Cèdres. Impression de ces randonnées et des quelques images déjà captées ? Petits rires et la réponse fuse : « Depuis toujours j’ai voulu voir le Liban. La guerre ici m’a fasciné. Par ce côté absurde, urbain, fratricide. J’avais alors dix-huit ans. Je rêvais de venir ici, et quand Richard Millet me l’a proposé, j’ai accepté. Pour le remplacement du Salon du livre d’abord et ensuite pour concrétiser un rêve… Mes impressions ? C’est un pays qui est extrêmement chaotique et un peu tendu en ce moment. Il y a ces blindés dans les rues avec des soldats tranquilles ! Pour les Cèdres, c’est un mouchoir de poche… et puis c’est défiguré par un arbre sculpté… Je suis surpris par cet urbanisme sauvage et ces sacs en plastique. Ce n’est pas forcément une critique, mais cela dépend de ce que les gens ont comme rapport avec la nature… » Écrira-t-il un jour sur le Liban ? « Je ne sais pas si j’écrirai sur le Liban. Inchallah… » Pour en revenir à son énorme succès, quel effet cela lui fait-il d’être primé ? « Je ne voulais pas de prix, répond laconiquement Little, bon, on me les a donnés, khalass (dit-il en arabe avec un rire !). On n’écrit pas pour des prix ! » On dit son style neutre, est-il d’accord ? « On dit ce qu’on veut sur mon style, je n’aime pas parler de mon travail.» Une autre question pour garder le fil de la conversation. Quel est le livre qui l’a le plus marqué ? « Ils sont bien nombreux les livres qui m’ont marqué, mais si je dois citer un seul ce serait La folie du jour de Blanchot. Pourquoi j’ai aimé ce livre ? Je botte en touche… C’est une expression pour dire je passe… » Votre personnage Max est féru de Blanchot et de Brasillach. « Moi je n’aime pas Brasillach ! » Par-delà Max qui écoute religieusement du Couperin, quels sont les compositeurs qui composent l’univers musical de Littell ? « Couperin, Rameau, Monteverdi, Purcell, Bach, Deprez… Je ne sais pas lire une partition, mais je crois bien qu’on peut être quand même mélomane… » Et qu’aurait-il aimé être s’il n’était pas écrivain ? « Je ne suis pas un écrivain, j’ai seulement écrit un livre. Un livre à la main, en quatre mois, sur des cahiers d’écolier Clairefontaine… J’ai surtout travaillé avant dans l’humanitaire… » Dans Les bienveillantes, il y a une accumulation de noirceur, de perversion, de turpitude, d’horreurs. A-t-il voulu décrire le mal absolu ? « Mais la vie est comme ça… horrible… Quelques privilégiés s’en sortent mieux que d’autres. C’est tout ! Vous avez eu la guerre et ses horreurs. Vous passez le matin pour prendre votre café… Chacun a son “ blinker “, comment dire… son œillère, c’est ça œillère ! » Et quels sont les projets d’avenir de l’auteur ? Une formulation déjà accordée avec un large sourire. Une réponse « neversienne » (comprendre du duc de Nevers !), jouant adroitement du fleuret comme dans Le Bossu de Paul Féval : « Je botte en touche. On verra . » Programme d’aujourd’hui La Mission culturelle de l’ambassade de France accueille le public pour une conférence donnée par l’écrivain et journaliste Antoine Sfeir, à partir de son ouvrage Vers l’Orient compliqué, à 18h30, au théâtre Montaigne. « Antoine Sfeir offre ici un essai extrêmement bien mené, concis, synthétique et très pédagogique. Son grand mérite est de faire apparaître de façon claire combien le simplisme de la politique étrangère américaine se révèle inopérant, voire contre-performant, face à l’extrême complexité du monde arabe ». – François Burgat présente un café sociologique animé par Sari Hanafi sur le thème « Europe et islam » à 19h30, au café Ta Marbuta, centre Pavillon, Hamra – Vénus Khoury Ghata signe son dernier ouvrage, La maison des orties, à 17h00, à la Librairie Orientale. – Les auteurs jeunesse Frédéric Clément, Sylvie Deshors et Maryvonne Rippert signeront leurs livres à 17h00 à la Librairie el-Bourj. Les auteurs dédicaceront leurs ouvrages à la Mission culturelle française après chaque rencontre. Edgar DAVIDIAN

L’enfant terrible de la littérature française couronné de prix (Goncourt et Académie française 2006), Jonathan Littell, est de passage à Beyrouth dans le cadre de l’opération «Auteurs en direct» qui remplace le traditionnel Salon du livre. Rencontre un peu à la sauvette en raison d’une programmation serrée, entre deux conférences, entre deux rendez-vous, au Centre culturel...